À la faveur de grands projets d’infrastructures et du volet écologique du plan de relance, le secteur du BTP accélère une mue engagée de longue date au profit de modèles économiques plus vertueux. Prise en compte de l’environnement socio-économique des projets, fourniture de matériaux en circuits courts, recyclage et réemploi … l’économie circulaire s’est définitivement imposée au sein des chantiers. Donneurs d’ordres comme entreprises ont intégré ces critères sur l’ensemble de la durée de vie du projet. Et en ont fait des leviers de compétitivité et d’attractivité, dans un secteur soumis à rude concurrence et sommé d’innover pour répondre aux exigences de durabilité.
Le BTP, pourvoyeur de développement économique local
Le BTP est un vecteur hors-norme de développement économique local. Il représente, pour l’économie française, plus de 400 000 entreprises et près de 150 milliards d’euros de travaux. Gros consommateur de main-d’œuvre pour des tâches ne pouvant être dématérialisées, délocalisées ou automatisées, le secteur de la construction est un levier incontournable de développement local. Sur le plan du recrutement, les besoins des entreprises, à tous les niveaux de qualification, ont depuis longtemps poussé les pouvoirs publics à faire des acteurs de la filière des partenaires privilégiés de l’insertion professionnelle. Ainsi, sur le chantier du Grand Paris Express (GPE), le plus grand projet d’infrastructures d’Europe, 10% des heures travaillées doivent ainsi être réservées à l’insertion professionnelle. La Société du Grand Paris (SGP), porteuse du projet, impose également qu’au moins 20% des travaux soient exécutés par des PME, en cotraitance ou en sous-traitance. À titre d’exemple, la ligne 16 du GPE, remportée par un groupement emmené par Eiffage Génie Civil, génèrera 6 000 000 d’heures de travail dont plus de 500 000 en insertion. Sur les 1,84 milliards d’euros du contrat, 368 millions reviendront à des PME.
L’impact du BTP sur le développement local ne se limite pas aux seuls aspects liés à la réalisation des chantiers. Promoteurs, constructeurs, bureaux d’études se définissent de plus en plus comme des ensembliers, chargés de l’insertion harmonieuse de leurs constructions dans l’environnement socio-économique où ils interviennent. Cette philosophie infuse désormais la phase de conception du projet ainsi que l’usage qui en sera fait, dans une optique de retombées socio-économiques positives sur le long terme. Les écoquartiers, ces projets urbanistiques construits dans une optique de développement durable, se multiplient dans les métropoles, tel que Balcon Sur Paris (La Compagnie de Phalsbourg) à Villiers-sur-Marne, au pied de la future gare Villiers-Champigny-Bry du GPE. En adaptant l’urbanisme aux spécificités du territoire, les majors entendent ainsi éviter les projets « hors sol » et prendre en compte les spécificités locales – géographiques, économiques, humaines et environnementales – dans le développement de leurs projets.
Car l’un des enjeux du circuit court et du développement local est indéniablement la réduction de l’impact écologique des chantiers. Le secteur du BTP fait traditionnellement figure de mauvais élève dans ce domaine. D’après le ministère de la Transition écologique et solidaire, le secteur du bâtiment a généré 75% des déchets, 45% de la consommation énergétique et 27% des émissions de CO2 du pays. Dans ce contexte, la notion d’économie circulaire prend tout son sens : l’approvisionnement local, le recyclage et le réemploi sont des préoccupations centrales des parties prenantes aux chantiers. L’impulsion est donnée au niveau gouvernemental : la loi de finances 2021 place la transition écologique au cœur de la stratégie gouvernementale avec 18,4 milliards d’euros consacrés, dont une large part à des projets en faveur de la rénovation énergétique des bâtiments ou du réemploi et du recyclage. Et les entreprises ne sont pas en reste : le BTP a entamé sa mue vers de nouvelles méthodes de construction, nouveaux matériaux et nouvelles manières d’envisager le bâti. « Notre président-directeur général Benoît de Ruffray a été clair sur le sujet : il n’y a pas d’avenir pour Eiffage si nous ne sommes pas capables de réduire nos impacts et de proposer des solutions de construction prenant en compte les conséquences du dérèglement climatique », rappelle Valérie David, directrice développement durable et innovation transverse chez Eiffage. Approvisionnement local, économie circulaire et durabilité sont aujourd’hui les maître-mots du secteur.
L’économie circulaire au service de la transition écologique du BTP
Le renouveau de la filière bois dans le secteur de la construction a ainsi débouché sur la mise en valeur du patrimoine forestier français dans ce domaine. La forêt française est en effet constituée aux trois-quarts de feuillus, alors que 90% des sciages pour la construction sont issus de résineux. Pour favoriser les essences locales et limiter l’importation, le bois issu de feuillus a été remis à l’honneur dans certains projets de construction. Une filière bois issue de résineux s’est également structurée, à l’instar de la certification Bois des Alpes. L’écoconstruction est également vectrice d’utilisation de nombreux matériaux biosourcés et disponibles localement en France, comme le chanvre, le lin … La SGP s’est ainsi engagée à construire ses projets immobiliers avec 70% de matériaux biosourcés. Un pacte en ce sens notamment a été signé avec FiBois Ile-de-France, l’interprofessionnelle régionale de la filière forêt-bois française. Les grandes entreprises de la construction s’y mettent résolument : Demathieu Bard, dans le top 10 des entreprises de construction françaises, a notamment réalisé un programme de 122 logements privés pour l’établissement public d'aménagement Paris-Saclay, où 80% des matériaux utilisés seront le bois et les matériaux biosourcés.
Une autre illustration de l’engagement des acteurs du BTP en faveur des circuits courts est celle de la gestion des déchets de chantier. Le projet du GPE devrait à lui seul contribuer à produire 45 millions de tonnes de déblais. L’un des enjeux majeurs de l’acceptabilité environnementale du projet sera donc de valoriser ces déchets au maximum, et si possible, de façon locale, leur transport étant source d’émission de gaz à effet de serre. « En matière de transport, la SGP entend privilégier les circuits courts et les alternatives à la route » pour le chantier du GPE, assure Frédéric Willemin, responsable du développement durable au sein de la SGP. La spécialiste des sols Valhoriz travaille à leur valorisation locale dans le cadre d’aménagements paysagers, le bétonnier CEMEX a mis en place un système d’évacuation par voie fluviale. Des mesures qui portent leurs fruits : l’établissement public territorial Est Ensemble a signé en 2019 un partenariat avec la SGP, afin de réutiliser une partie des déblais issus du chantier du métro GPE dans l’aménagement du territoire et de ses espaces verts.
L’engagement des grands groupes en faveur d’une transformation de la filière construction permet par ailleurs le développement d’un écosystème de start-ups et de PME en pointe dans ce secteur. La start-up Backacia a développé une place de marché dédiée au réemploi des matériaux de chantiers non-utilisés. En moyenne, 60% des matériaux restants sur un chantier peuvent être réutilisés. Backacia les récupère et les revend à un prix de 50% à 70% inférieur au neuf. Son système d’économie circulaire aurait permis d’éviter l’émission de 500 tonnes équivalent CO2 en 2019. Et ses entreprises clientes auraient quant à elle réalisé 1 million d’euros d’économies. Repérée par le club industriel Sekoya, lancé par Eiffage et Impulse Partners pour développer des solutions bas-carbone pour la filière BTP, la start-up est en pleine croissance, malgré un trou d'air lié à l'arrêt des chantiers lors de la crise du Covid 19. Nul doute que les chantiers du GPE ou des Jeux Olympiques 2024 sauront faire la preuve du passage à l’échelle de sa solution innovante en matière d’économie circulaire.
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Illustration Wikimedia Commons, Anne 7373
[ECONOCIR]
20/08/22 à 08h30 GMT