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Etudier la réponse des organismes vivants aux changements climatiques



  • Face à ce qui ressemble de plus en plus à une tendance irréversible, il apparaît essentiel d'étudier la réponse des organismes vivants aux changements climatiques. Contrairement à d'autres espèces qui ont attiré l'attention des scientifiques, les insectes semblent avoir été laissés pour compte. Un projet de l'UE cherche à combler cette lacune en prenant en compte les caractéristiques spécifiques des insectes.

    Le projet CLIMINSECTS (The effect of expected climate change on insect performance: physiology, behaviour and life history) est né de l'observation du fait que les insectes apportent des réponses très souples au changement climatique.

    Contrairement aux mammifères ou les oiseaux, les insectes peuvent voir leurs performances affectées par des changements brusques et peu durables de la température, un phénomène appelé variance des traits climatiques. Cela signifie que les variations annuelles ou mensuelles auxquelles se réfèrent généralement les autres études sont le plus souvent non pertinentes dans le cas des insectes.

    Le Dr Inon Scharf, qui coordonne le projet à l'université de Tel-Aviv, expose les premiers résultats de son étude sur les triboliums de la farine et sur des insectes collectés par l'université au cours des 100 dernières années, ainsi que sur d'autres espèces d'insectes prédateurs, déjà étudiés dans le laboratoire dans le cadre d'autres projets.

    Pourquoi est-il si important d'en savoir plus sur les effets de la variance environnementale sur les insectes?

    La variance est très importante pour différentes raisons. Tout d'abord, le réchauffement climatique est exprimé non seulement en tant qu'accroissement de la température moyenne annuelle, mais aussi en tant qu'augmentation de la fréquence des évènements extrêmes, comme les vagues de chaleur. Il est donc important d'étudier comment un changement brusque de température, même pour une période limitée dans le temps, affecte les performances des insectes.

    Deuxièmement, les insectes subissent des changements quotidiens de température, parfois sur un laps de temps très court, ce qui fait que les températures annuelles ou mensuelles auxquelles se réfèrent en général ces études peuvent être moins pertinentes pour ces animaux. Troisièmement, les insectes ont une durée de vie plus courte que la plupart des vertébrés, et donc des évènements extrêmes, même de courte durée, peuvent avoir d'importantes conséquences sur les réponses et les performances des insectes.

    La variance des traits de réponse est également importante. Longtemps, les écologistes se sont principalement intéressés aux réponses moyennes à différents facteurs, et ont considéré comme du «bruit» la variance affectant les variables de réponse. Cependant, cette variance est très importante quand on cherche à comprendre le potentiel pour les changements évolutifs. Lorsque des individus sont testés plusieurs fois, il n'est pas anodin de savoir si, et dans quelle mesure, des individus répondent de façon répétée (par exemple, en répondant toujours mieux ou pire que la moyenne), si les mâles et les femelles répondent de façon similaire, et comment l'âge et d'autres facteurs de stress subis par des groupes d'individus induisent cette variance.

    Quels sont les principaux types d'effets avez-vous étudiés et pourquoi?

    Nous nous sommes posé trois questions: Comment la capacité des insectes à tolérer des températures défavorables, chaudes ou froides, est-elle affectée par d'autres sources de stress, comme le manque de ressources alimentaires ou l'âge? Comment l'exposition à des températures différentes, au stade larvaire ou adulte, affecte-t-elle la tolérance des insectes à des chocs de température extrême, froide ou chaude, la survie en cas de disette et pendant la reproduction, et comment un stress thermique répété affecte-t-il les performances des insectes? La réduction de la taille des insectes est-elle une réponse possible au réchauffement climatique en cours?

    Il est important de répondre à la première question, car les insectes vivent dans des environnements complexes et doivent faire face simultanément à plusieurs sources de stress. Étudier leur réaction au stress thermique est important pour mieux comprendre la variété des réponses à des conditions climatiques défavorables, qui dépendent aussi d'autres facteurs environnementaux. Cela est également important pour comprendre comment les animaux arbitrent entre des exigences différentes.

    La deuxième question se pose lorsque l'exposition thermique durant les différentes étapes de la vie peut produire des résultats différents. Alors qu'au stade adulte une exposition légère à des températures défavorables conduit souvent à une acclimatation bénéfique à des températures plus rudes, l'exposition à des températures défavorables durant la croissance est moins susceptible d'avoir un effet bénéfique. Cette question est importante non seulement dans le contexte du changement climatique, mais aussi pour comprendre si certaines étapes de la vie sont plus critiques que d'autres.

    En ce qui concerne la troisième question, de nombreux chercheurs pensent actuellement que la réduction de la taille du corps est une réponse au réchauffement climatique, tandis que d'autres doutent de l'universalité de cette réponse. Même si cette diminution a été étudiée chez les mammifères et les oiseaux, on ne sait presque rien au sujet des insectes, en dépit du fait qu'ils constituent la majeure partie de la biomasse terrestre et des espèces.

    Comment avez-vous procédé pour répondre à ces questions?

    Tout d'abord, nous avons mis en place en laboratoire un système à base de triboliums de la farine. Ce sont des parasites répandus qu'on trouve les zones de stockage de nourriture, surtout dans les pays en développement, et qui sont faciles à élever en laboratoire. La brièveté de leur cycle générationnel permet une adaptation et une réponse relativement rapides aux changements environnementaux et ils sont ectothermes: ils sont plus affectés par le climat que les endothermes, qui régulent leur température corporelle. Nous avons élevé ces coléoptères dans différentes conditions thermiques, testé différentes réponses comportementales, physiologiques et biologiques, les avons conservés jusqu'à leur vieillesse, les avons affamés et soumis à des stress thermiques répétés. Nous voulions étudier l'effet de tous ces facteurs sur la tolérance thermique et d'autres traits relatifs aux performances éco-physiologiques, comme l'activité, le comportement d'accouplement, la reproduction et la survie.

    En plus de ces expériences en laboratoire, nous avons également eu accès à la grande collection d'insectes de l'université de Tel Aviv (une partie du Musée Steinhardt d'histoire naturelle), avec quelques millions de spécimens collectés au cours des 100 dernières années. Cette collection nous a permis d'étudier une possible réduction de la taille corporelle en réponse au changement climatique.

    Enfin, nous avons réorienté les projets en cours dans le laboratoire, portant principalement sur des insectes prédateurs qui utilisent des pièges pour la chasse, comme les fourmilions ou les vermileonidae, pour y intégrer certains aspects de l'écologie thermique. Nous avons notamment comparé le comportement (comportement anthropophage, par exemple) d'insectes provenant de différentes régions climatiques en Israël. Nous nous sommes intéressés à la façon dont le climat affecte de façon générale le comportement.

    Selon vous, quels sont à ce jour les résultats les plus notables de vos recherches?

    Nous avons pu observer que la tolérance thermique des insectes se détériore à un âge avancé ou en cas d'inanition. L'effet de l'inanition est néanmoins réversible. Ensuite, nous avons remarqué que les températures aux stades de croissance et adulte ont un effet différent et parfois contrasté sur la tolérance thermique.

    Une troisième constatation est qu'une répétition du stress thermique en laboratoire pousse les insectes à entrer dans une sorte de mode «d'économie d'énergie», un mode résilient marqué par une activité et une reproduction réduites, mais assurant une meilleure tolérance à un accroissement du stress. Il y a un effet de report vers la progéniture des parents exposés à un stress répété, leurs descendants étant un peu plus petits.

    Enfin, l'analyse des spécimens collectés pendant plus de 100 ans montre que, contrairement aux mammifères et aux oiseaux, la taille du corps des insectes ne diminue probablement pas en réponse au changement climatique en cours. Chez les coléoptères, nous ne sommes pas parvenus à montrer une diminution de la taille du corps. Nous en avons conclu que cette «règle», même si elle est valide pour les mammifères et les oiseaux, ne se confirme pas pour les coléoptères, et vraisemblablement pas pour les autres insectes. Il se pourrait que la plasticité phénotypique des insectes (la capacité à exprimer des phénotypes différents à partir du même génotype sous l'influence des conditions environnementales immédiates) soit trop forte et annule les effets potentiels du changement climatique.

    Sur la base de ce projet, comment pensez-vous que les insectes évolueront face aux changements climatiques et quelles pourraient en être les conséquences?

    C'est difficile à dire. Nous nous sommes principalement intéressés aux réponses phénotypiques immédiates au changement climatique. Je pense que nos travaux démontrent surtout la plasticité des insectes face aux changements, et comment les conditions à court terme peuvent avoir des effets importants et diversifiés. Je pense que les insectes sont plus résistants qu'il n'y paraît et que, grâce à leur forte plasticité, ils survivront très bien. D'autres chercheurs s'attendent même à une augmentation des performances des insectes, parce que les plantes seront plus stressées et produiront moins de composés biochimiques pour les protéger contre les insectes qui s'en nourrissent. Cela peut avoir des conséquences inquiétantes en ce qui concerne les ravageurs et l'agriculture.

    D'une manière générale et sans un lien direct vers nos recherches, l'effet du changement climatique sur les insectes peut être important en ce qui concerne la phénologie, en l'occurrence le lien temporel entre la floraison des plantes et leurs insectes pollinisateurs, avec des effets négatifs sur les deux, ainsi qu'en ce qui concerne les aires de répartition de différentes espèces. Inutile de dire que les espèces les plus menacées sont celles qui ont une aire de distribution réduite, celles qui ont une faible capacité de dispersion, ou celles qui vivent dans des régions très froides: elles ne peuvent s'échapper nulle part, alors que les espèces vivant dans les régions chaudes peuvent migrer vers des régions auparavant trop froides pour elles. Fait intéressant, les insectes se développent plus rapidement dans des environnements plus chauds, et l'augmentation des températures leur permettra d'envahir des habitats qu'ils n'occupent pas actuellement.

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    Source : CORDIS
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