Par Maïté Blancquaert de l'Institut des Sciences de l'Environnement de l'UQAM
Le gouvernement Trudeau a récemment annoncé la formation d’un groupe de travail en vue d’amorcer la refonte des lois et des politiques affectant les Premières nations, Métis et Inuits en territoire canadien.
Ce groupe, qui travaillera en collaboration avec des leaders et des membres des communautés, sera composé des six ministres des Affaires autochtones, de la Justice, de la Santé, de la Famille, des Ressources naturelles et de Pêches et Océans Canada. Ces derniers devront recommander les lois et politiques prioritaires à écrire ou à réviser afin de respecter les droits ancestraux et les droits issus de traités et afin de mettre en œuvre les engagements pris par le fédéral lors de la signature de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cette décision s’inscrit dans la volonté du gouvernement Trudeau de forger une relation de nation à nation avec les Peuples autochtones pour concrétiser la réconciliation annoncée.[1]
L’absence de la ministre d’Environnement et du Changement Climatique, Catherine McKenna, à la table de discussion est toutefois pour le moins surprenante. Les communautés autochtones sont en effet particulièrement touchées par les politiques environnementales fédérales et sont, par le fait même, régulièrement consultées par le Ministère.
D’une part, comme tous les autres ministères, des obligations constitutionnelles et légales contraignent Environnement Canada à solliciter la participation autochtone. Le ministère engage aussi le dialogue avec les groupes pour des raisons opérationnelles ou de bonne gouvernance.
D’autre part, les traités modernes confèrent aux gouvernements et conseils autochtones certains pouvoirs au niveau de la gestion de l’environnement qui s’accompagnent aussi d’obligations pour le ministère.
Les obligations constitutionnelles de consultation et de conservation
Les droits autochtones ancestraux et les droits issus de traités sont inscrits dans la Constitution canadienne. Le gouvernement a donc une obligation constitutionnelle de consulter et d’accommoder les Nations et organisations autochtones lorsqu’une de ses décisions est susceptible de porter atteinte aux droits autochtones.[2]
L’obligation de respecter les droits constitutionnels des autochtones entraine également une obligation de conservation. En effet, en reconnaissant des droits de chasse, de pêche et de cueillette, de multiples jugements ont statué que le gouvernement était par le fait même tenu à une obligation de conserver ces espèces et leurs habitats. Plus ces espèces sont en danger, plus la Couronne se voit dans l’obligation de les protéger ou d’accommoder les Autochtones pour non-respect des leurs droits.
Concrètement, cela s’est par exemple traduit quand la cour de la Colombie-Britannique a reconnu que la Couronne n’avait pas raisonnablement accommodé la Première nation de West Moberly. Celle-ci s’était vue empêchée de chasser une harde de caribous dont la survie avait été compromise par un projet minier.[3]
Les obligations légales
Il est d’autant plus étonnant de constater l’absence de la ministre de l’Environnement à cette table ronde que des dispositions de plusieurs lois environnementales, entre autres la Loi sur l’évaluation environnementale et la Loi sur les espèces en péril (LEP), prévoient la consultation et la collaboration avec les communautés touchées. À titre d’exemple, les communautés seront consultées pour toutes demandes de permis pour des activités qui pourraient enfreindre les dispositions de la LEP sur les territoires pour lesquels ils ont ou revendiquent des droits.[4]
Aussi, la décision de mettre une espèce sur la liste des espèces en péril peut avoir des impacts significatifs pour les communautés notamment si la récolte de ces espèces est autorisée par des droits ou si leurs habitats essentiels se retrouvent sur leur territoire. Ainsi, les nations sont souvent désireuses de participer au processus de conservation.
La gouvernance environnementale autochtone dans les traités modernes
Enfin, une majorité de traités et d’ententes d’autonomie gouvernementale signés après 1975 entre le fédéral, les provinces et certaines nations autochtones confèrent des pouvoirs législatifs et exécutifs sur des juridictions telles que l’utilisation du territoire, la gestion des ressources naturelles, la protection de la faune et des habitats essentiels, les transports, etc. Ces traités habilitent également la formation de conseils de gestion des ressources fauniques ayant par exemple des pouvoirs de recommandation ou d’approbation de certaines décisions faites par le Service canadien de la faune sur leur territoire. La mise en œuvre de ces traités nécessite donc une collaboration étroite entre les instances autochtones et Environnement Canada.[5]
Ainsi, bien qu’il soit surprenant que les politiques environnementales passent sous le radar de la table de travail, il est indéniable que les politiques environnementales fédérales concernent tout particulièrement les Nations autochtones. De plus, la collaboration entre les communautés et le gouvernement est, bien au-delà des raisons légales, incontournable autant pour la mise en œuvre de ces politiques que pour le respect des pouvoirs autochtones si péniblement regagnés sur leur territoire. C’est le début d’un travail de longue haleine qui s’amorce puisqu’il reste beaucoup à faire pour arrimer les politiques aux exigences des traités et à l’accumulation de la jurisprudence en faveur des droits autochtones.
[1] Radio-Canada Information. (2017, 22 février). L’examen des lois et politiques liées aux Autochtones devrait commencer sous peu. Radio-Canada.info. Récupéré de http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1018434/lexamen-des-lois-et-politiques-liees-aux-autochtones-devrait-commencer-sous-peu
[2] Gouvernement du Canada. Ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada. Mars 2011. Consultation et accommodement des Autochtones : Lignes directrices actualisées a l’intention des fonctionnaires fédéraux pour respecter l’obligation de consulter. Ottawa. Gouvernement du Canada.
[3] Thielmann, Tim. (2010, mai). “A Duty to Conserve: Articulating the Crown\'s Obligation to Protect Species of Significance to Aboriginal Peoples”. Acte du “6th annual Western Canada Aboriginal Law Forum” organisé le 11 mai 2011 à Vancouver, BC.
[4] Loi sur les espèces en péril. (2002). L. C. ch. 29
[5] Gouvernement du Canada. Affaires autochtones et du Nord Canada. (2010,15 septembre) Les traités conclus avec les Autochtones au Canada. Récupéré de https://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100032291/1100100032292
Source : GaïaPresse
06/05/24 à 12h32 GMT