Lorsque les jeunes Finlandais se sont hissés en 2001 aux premiers rangs du test PISA, l’enquête de référence sur les acquis des élèves conduite par l’OCDE, ce résultat a beaucoup intrigué le monde de l’éducation. Comment ce petit pays qui n’avait jusque-là pas spécialement brillé dans les comparaisons internationales était-il parvenu à atteindre un tel niveau? Cette réussite avait surpris jusqu’aux Finlandais eux-mêmes. Puis, la tendance s’est confirmée et les élèves finlandais ont continué d’obtenir, année après année, des notes supérieures aux attentes. Dans le monde entier, spécialistes de l’éducation et dirigeants ont alors commencé à se pencher sur le cas de la Finlande, modèle de système éducatif performant. Dans ce pays, les élèves affichent invariablement d’excellents résultats, mais pas seulement les inégalités entre élèves et d’une région à l’autre sont parmi les plus faibles du monde. Quand qualité rime avec équité.
Dans le sillage de sa réussite aux tests PISA, la Finlande est devenue l’objet de toutes les attentions internationales. Beaucoup s’y pressent pour voir de plus près les écoles et s’entretenir avec ses acteur: enseignants, élèves ou responsables ministériels. Une visite récente en Finlande avec mon équipe m’a permis de prendre toute la mesure de l’exception finlandaise. Car l’école en Finlande défie les conventions, avec un seul examen standard à la fin du deuxième cycle du secondaire, peu ou pas de devoirs à la maison, des programmes flexibles, une autonomie pédagogique totale et une place de premier plan accordée à l’éducation artistique et sportive. Et comme ça marche visiblement, il peut être tentant de vouloir imiter ce modèle. On pourrait voir dans ces visites sur le terrain finlandais une tentative de s’inspirer des meilleures pratiques pour les adopter dans d’autres contextes. De fait, mes tweets relatant notre dernière visite ont amené certains à s’interroger, avec une pointe de cynisme, sur l’utilité de ce type d’initiative: quel est donc l’intérêt pour la Banque mondiale de regarder du côté de la Finlande alors que la réalité des pays avec lesquels elle travaille est radicalement différente.
Il est bien évidemment erroné de vouloir importer telles quelles des politiques publiques. Et les pays pourraient commettre une erreur en imitant les pratiques éducatives actuelles de la Finlande. D’abord parce que la réussite du système finlandais repose sur des enseignants de très grande qualité, extrêmement bien formés et impliqués. Sachant que la plupart des systèmes éducatifs ne disposent pas de cet ingrédient essentiel, il est impossible de mettre en œuvre directement les pratiques finlandaises.
Même s’il est utile de savoir comment fonctionne l’école finlandaise aujourd’hui, ce n’est pas dans la situation actuelle que nous devons puiser des leçons. Il s’agit en revanche de comprendre comment ce pays, encore moyen dans les années 70, est parvenu à l’excellence. C’est ce parcours qui doit nous intéresser.
D’où vient la Finlande? Avant 1968, le tri des élèves s’effectuait au terme des quatre premières années du primaire, la poursuite des études s’effectuant soit dans des établissements axés sur les lettres classiques soit dans des établissements à vocation professionnelle. La fin des années 60 a été marquée par l’adoption d’une nouvelle législation et l’introduction d’un nouveau cursus scolaire national fusionnant ces deux filières dans un tronc commun de neuf années d’enseignement, dont six années d’enseignement primaire et trois années correspondant au premier cycle d’enseignement secondaire (aujourd’hui, nombre de pays africains ont neuf années d’école obligatoire). La mise en place de cette école à vocation générale a débuté en 1972 et en Laponie, la région la plus septentrionale du pays. Les autorités, conscientes que la réforme de l’éducation prendrait du temps, avaient prévu qu’il leur faudrait jusqu’en 1978 pour déployer le tronc commun dans le sud, plus peuplé, du pays. Pendant ce temps, elles ont procédé à une réforme radicale de la formation des enseignants destinée à doter ces derniers des compétences nécessaires pour assumer plus de responsabilités, en matière par exemple d’aménagement des programmes scolaires et d’évaluation des élèves.
Jusqu’au début des années 70, la formation des enseignants s’effectuait dans des écoles normales de niveau inégal. Les enseignants devaient ensuite suivre strictement les programmes et étaient soumis au contrôle d’inspecteurs. En 1974, une réforme a transféré la formation des enseignants à l’université. Et, en 1979, celle-ci a encore gagné en rigueur, en exigeant l’obtention d’un master pour exercer le métier. Les enseignants déjà en poste ont reçu une formation approfondie visant à faire de l’école une expérience enrichissante pour l’élève. Ce n’est que dix ans plus tard, quand la réforme avait été déployée dans l’ensemble du pays, que la Finlande a connu une évolution radicale dans la perception de la carrière d’enseignant et du prestige qui lui est associé, et que les enseignants ont commencé à se voir accorder une autonomie croissante. Au début de cette transformation, les décisions, consignes et règlements relatifs aux écoles à vocation générale étaient fortement centralisés. Les choses ont changé en 1985, sous l’effet d’un processus de décentralisation générale qui a accru les libertés et les responsabilités des municipalités dans de multiples champs, y compris la politique d’éducation. Puis, en 1994, le Conseil national de l’éducation a élaboré un programme national fondamental limité à de grands objectifs et des directives sur les contenus d’enseignement des différentes disciplines, les municipalités et les établissements scolaires pouvant définir leur propre programme local. Les modalités d’inspection et de contrôle ont perduré jusqu’en 1991, soit plus de 20 ans après le lancement de la réforme.
Alors oui, les enseignants finlandais jouissent d’un prestige social considérable, mais il aura fallu dix ans, après la refonte de leur système de formation, pour parvenir à ce résultat. Alors oui, l’école finlandaise est un système très décentralisé, marqué par la confiance dans des enseignants qui ne sont pas soumis à un contrôle central serré, mais cette liberté et cette autonomie sont le fruit de plus de vingt ans de surveillance rapprochée. Alors oui, on peut tirer une multitude d’enseignements de l’école finlandaise, mais il ne faut pas sous-estimer ni oublier le chemin parcouru pour devenir l’un des systèmes éducatifs les plus performants du monde.
Source: Groupe Banque Mondiale
01/10/24 à 07h35 GMT