Comme c'est souvent le cas, c'est de Mediapart que le scandale est arrivé. Une semaine avant sa date de publication prévue, un rapport de l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise d'énergie, était enterré et… fuitait. Son contenu était de fait un brin explosif : produire une électricité à 100% issue des énergies renouvelables est possible en France d'ici à 2050. Dit autrement, se passer du nucléaire dans le pays qui en a plus que généralisé l'usage est possible. Le gouvernement a-t-il enterré le rapport? Ses conclusions sont-elles scientifiquement valables?
Arrêter le nucléaire est impossible selon les responsables politiques français
Naturellement, Mediapart et de nombreux autres organes de presses se sont posés ces deux questions. Pour tenter de répondre à la première, le média en ligne a contacté l'ADEME. Sa réponse fut effectivement évasive. Le report de la publication a été décidé car "certains points doivent être confrontés avec les professionnels du secteur".
Une justification qui n'a convaincu personne dans la mesure où un "comité scientifique constitué d'experts nationaux et internationaux du domaine de l'énergie, à la fois industriels et académiques" est censé avoir déjà validé les résultats présents dans le rapport.
De là à estimer que les pouvoirs publics ont, vainement, tenté de protéger la filière nucléaire française, aussi puissante que pourvoyeuse d'emplois, il n'y a qu'un pas. En effet, selon l'écrasante majorité de la classe politique actuelle, gouvernement compris, se passer du nucléaire est impossible en France si l'on souhaite conserver notre indépendance pour la production d'électricité. Seule la réduction de son importance dans le mix énergétique est possible.
C'est d'ailleurs ce que prévoit la loi de transition énergétique actuellement défendue par Ségolène Royal au Parlement. D'ici à 2025, si ce texte est voté, la part du nucléaire devrait ainsi passer d'environ 75 à 50 % du mix énergétique. Une baisse substantielle, mais très éloignée d'un arrêt total.
Un prix de l'électricité dépendant de l'efficacité énergétique
En attendant que la lumière soit faite sur la mise à l'écart de ce rapport à la thèse radicale, il est possible de confronter ses principaux postulats. Logiquement, la discorde est de mise entre les différents experts interrogés.
Le coût affiché par l'ADEME d'un mix énergétique 100 % renouvelable est à cet égard certainement l'élément le plus contesté. L'Agence estime en effet qu'il s'élèverait à 119 euros par mégawattheure : un prix pas si éloigné des 91 euros actuels. Plus fort, le coût du mégawattheure avec un mix énergétique à 40 % renouvelable – ce vers quoi la France souhaite tendre – serait de 117 euros. Des chiffres issus d'une étude, explique Mediapart, prenant en compte "les coûts d'installation de maintenance des filières de production et de stockage, les coûts d'exploitation et d'investissement dans le réseau de transport et les coûts variables des combustibles pour produire l'électricité".
Là où le bât blesse c'est que ce scénario est bâti sur la présomption d'efforts significatifs en matière d'efficacité énergétique. La consommation d'énergie des Français doit baisser, ce qui est loin d'être acquis et qui, dans tous les cas, prendra de nombreuses années.
La généralisation des énergies renouvelables dépendante des capacités de stockage
En outre, comme le met en avant Rémy Prud-homme, professeur à Paris XII et interviewé par le site Atlantico, l'ADEME surestime les possibilités de stockage de l'énergie. Pour M. Prud-homme, "l'impossibilité de stocker l'électricité est le talon d'Achille des renouvelables intermittents".
Un pessimisme compréhensible, même si le développement des réseaux intelligents (smart grids) devrait, dans un futur très proche, résoudre une grande partie de cet enjeu central, grâce notamment au perfectionnement et à la réduction du prix des batteries lithium qui permettent le stockage de l'électricité à grande échelle.
Par conséquent, Mediapart a doublement raison en écrivant que "ce rapport n'est pas la pierre de Rosette de la transition énergétique", mais "qu'il a le grand mérite d'offrir les éléments factuels et chiffrés nécessaires à un débat raisonné sur notre modèle énergétique : qu'est-ce qui est physiquement et technologiquement possible ? A quels coûts pour l'économie et la société?".
L'arrêt total du nucléaire et le développement des énergies renouvelables à tel point qu'elles permettraient de fournir le pays en électricité n'est certainement pas pour demain. Mais les capacités technologiques sont toujours plus importantes pour tendre vers cet idéal écologiste.
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