De nombreuses études confirment que l'évolution de la situation écologique a un impact certain sur les rapports sociaux de sexe et notamment sur l'aggravation de la situation des femmes. Alors même qu'elles paient le plus lourd tribut lors de catastrophes naturelles, les femmes se voient attribuer un rôle clé dans la préservation de la planète. Peut on pour autant prétendre que la moitié de l'humanité serait plus à même de relever le défi écologique ?
Le genre, une dimension-clé du changement climatique
Jusqu'à présent, le débat sur le changement climatique a essentiellement porté sur les responsabilités relatives incombant à chaque Etat de limiter l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre et de financer des efforts réalisés afin de mettre en place des technologies " vertes " et des énergies dégageant des émissions faibles en carbone.
Néanmoins, le changement climatique est un sujet d'actualité urgent, dont les effets se font d'ores-et-déjà ressentir dans divers secteurs essentiels (agriculture, sécurité alimentaire, santé, énergie, économie, etc.), ainsi que sur les écosystèmes et les populations pauvres, les plus vulnérables et les moins aptes à s'y adapter.
Même si le changement climatique affecte tout le monde, il s'avère que ce phénomène élargira les écarts entre riches et pauvres, tout en amplifiant les inégalités entre les hommes et les femmes. Tout porte à croire que ces dernières - qui, rappelons-le, constituent la majeure partie des pauvres dans le monde - ne seront pas affectées de la même manière que les hommes. Selon le rapport 2009 de l'UNFPA sur l'état de la population mondiale, les femmes pauvres porteront le plus lourd " fardeau climatique ".
Toutefois, l'importance relative du genre ou de la pauvreté dans la compréhension de la vulnérabilité aux menaces du changement climatique est sujette à débat. Certains auteurs soutiennent que la pauvreté doit être considérée comme la variable principale, tandis que d'autres suggèrent que cette vulnérabilité est due aux conditions relatives au genre. En réalité, il est difficile de séparer ces deux aspects de la vulnérabilité des femmes, précisément parce que le genre joue un rôle important dans la détermination de la pauvreté.
Au vu des éléments prouvant les inégalités dont pâtissent les femmes dans de nombreux domaines, il semble que l'approche genre mérite une place centrale dans le débat sur le changement climatique. En effet, ces inégalités sont le résultat d'une construction sociale et culturelle de stéréotypes et de rôles spécifiques attribués selon le sexe. Ainsi, cette construction sociale aboutit à un accès différent aux droits, au pouvoir, à l'espace public, au travail, aux ressources et aux responsabilités. Par conséquent, il est possible d'affirmer que le changement climatique n'est pas " neutre " du point de vue du genre, expliquant ainsi le fait que les femmes vivent différemment les effets du changement climatique et sont moins à même de pouvoir s'y adapter.
Femmes, environnement et développement : un débat passionné
Face à l'échec du modèle de développement, axé sur l'avancement économique, est apparu un nouveau paradigme : celui du développement durable, qui entend attribuer un rôle particulier aux femmes. En effet, le principe 20 de la Déclaration de Rio affirme que " les femmes ont un rôle vital dans la gestion de l'environnement et dans le développement. Leur pleine participation est donc essentielle à la réalisation d'un développement durable".
Ce changement fondamental de développement souligne la transversalité des questions des rapports sociaux entre hommes et femmes. Depuis un certain nombre d'année, la communauté internationale a d'ailleurs largement reconnu l'égalité des sexes et l'empowerment des femmes comme une fin en soi et comme moyens de promouvoir le développement de manière générale (cf. 3e Objectif du Millénaire pour le Développement).
Parallèlement, un autre courant de pensée, mettant en cause le mode de développement "occidental", a émergé dans les années 1970. Produit de l'articulation des pensées féministes et écologistes, l'"écoféminisme" place au centre de ses analyses le rapport entre les femmes et la nature ainsi que le rapport de domination et d'oppression qui les lie. La lutte pour les droits des femmes est alors reliée à celle pour la défense de la nature, violées par le patriarcat. Maria Mies et Vandana Shiva - qui ont théorisé l'écoféminisme avec un ouvrage intitulé Eco-féminisme - soutiennent qu'un lien idéologique et biologique unit femme et nature, expliquant ainsi le fait que les femmes aient une tendance " naturelle " à avoir des pratiques protectrices et régénératrices envers l'environnement.
L'arrivée du paradigme du développement durable semble avoir fourni le cadre nécessaire à une forme d' " institutionnalisation " de l'écoféminisme, qui depuis exerce une influence dans les pays où les agences de développement sont actives. En effet, ces dernières - en quête de nouveaux critères - manifestent depuis une réelle préoccupation concernant les impacts des problèmes environnementaux sur la condition féminine.
Dans les pays en développement, on assiste parallèlement à l'émergence du leadership des femmes en matières d'environnement, qui se manifeste par une implication croissante face aux enjeux majeurs environnementaux et par la recherche de solutions drastiques (ex : Green Belt Movement au Kenya). Dans les pays en développement, des groupes organisés de femmes luttent contre la déforestation, la pollution et d'autres formes de dégradation de l'environnement et se battent en faveur de leur empowerment. On note alors l'émergence d'un nombre croissant de groupes de femmes et de projets d'auto-assistance pour la régénération de l'environnement. Les femmes, à la tête de ces campagnes et organisations environnementales, deviennent ainsi des modèles de leadership et une source d'inspiration pour un large éventail de femmes.
Certaines femmes ont joué un rôle crucial en améliorant la sensibilisation du public et la volonté politique pour la protection et la conservation de l'environnement, parmi lesquels, Donnella Meadows, Gro Harlem Brundtland et Wangari Maathai.
Ainsi, dans les années 1980, les travaux des féministes et écologistes, tels que Vandana Shiva et Wangari Maathai, ont contribué à reconnaître que l'implication des femmes était fondamentale en vue d'un développement durable.
Depuis, des nombreux événements, programmes de développement et projets environnementaux ont réservé une place privilégiée aux femmes, considérées désormais comme des agents puissants de changement, porteuses de solutions différentes. On peut alors parler d' " institutionnalisation du discours écoféministe ". Les écoféministes essentialistes auront, à cet égard, été très influentes, même si quelques points de divergences perdurent avec les ONG et les agences de développement, qui n'entendent pas repenser de manière radicale les paramètres de base du modèle de développement, mais seulement les améliorer.
Les femmes ont ainsi démontré qu'elles n'étaient pas des " victimes " impuissantes face à un climat changeant, mais plutôt des gestionnaires privilégiées de l'environnement, ayant des ressources et des connaissances spécifiques et précieuses pour tendre vers un développement dit " durable ", et ce, bien avant que les agences de développement ne leur attribuent ce rôle.
Néanmoins, cette relation femme/nature de type essentialiste est critiquée par certains, étant donné qu'elle pourrait contribuer à renforcer les dogmes et emprisonner les femmes dans une position qui leurs est traditionnellement associée.
De plus, une telle analyse pourrait aboutir à des projets de développement fondés trop fortement sur le travail des femmes. Par conséquent, les initiatives ne fournissant pas les intrants nécessaires (cf. éducation, information, droit à la propriété) risquent de représenter un fardeau supplémentaire sur le temps de travail - déjà conséquent - des femmes. On pourrait donc craindre, que de telles initiatives ne parviennent à aborder les transformations nécessaires pour le changement social ou la discrimination sexuelle, renforçant ainsi l'inégalité entre les sexes.
Une approche " genre ", certes plus complexe mais plus efficace à long terme, semble donc plus pertinente. En effet, il est primordial d'aborder les différences de pouvoir, la division sexuelle du travail, la redistribution des tâches, l'accès/le contrôle des ressources et l'évolution des stéréotypes. Il s'agit donc de proposer un changement dans l'organisation socio-économique des sociétés en prenant compte aussi bien des femmes que les hommes.
Selon Irène Dankelman, "pour que la situation des femmes s'améliore, mais aussi pour que l'environnement puisse être plus sain et plus productif, les femmes doivent avoir un contrôle sur les ressources, les rôles et les tâches doivent être redistribués et les stéréotypes doivent évoluer [1]".
La charge de la dégradation de l'environnement ne peut pas être mise sur les épaules des femmes seules. Le rôle des hommes dans la conservation et la gestion de l'environnement doit également être souligné. En effet, tout porte à croire que les politiques ciblant uniquement les femmes ne peuvent obtenir de bons résultats à long terme. Ainsi, il est nécessaire qu'ait lieu un profond changement dans l'organisation socio-économique des sociétés, pour que l'égalité des sexes puisse être promue. Hommes et femmes doivent donc travailler ensemble pour que puisse évoluer ce qui a été construit socialement.
[1] I. Dankelman, " Changement climatique : analyse de genre et expériences des organisations de femmes " in : Genre, mouvements populaires urbains et environnement, dirigé par C. Verschuur, Ed. L'Harmattan, Cahiers Genre et Développement, 2007, p. 314