Par Nora T. Lamontagne, pour GaïaPresse
Au fil des ans, habitants et touristes du port de Baltimore ont adopté Mr Trash Wheel, le sympathique collecteur de déchets flottant aux yeux globuleux et à l’humour pétillant.
Un ingénieur vous dirait simplement que l’engin sert à récolter les déchets aquatiques à l’aide d’un tapis roulant qui fonctionne à l’énergie solaire et aux courants. Stratégiquement positionné à l’embouchure d’une rivière, il empêche les détritus d’atteindre l’Océan Atlantique.
Mais Adam Lindquist, du Waterfront Baltimore Partnership, le décrirait plutôt comme un personnage aux yeux protubérants qui a permis de récupérer plus de 5000 tonnes de déchets et de sensibiliser la population à la cause environnementale grâce à une savante campagne de mobilisation.
Redonner de l’amour au fleuve
Comme dans bien des villes américaines, le port de Baltimore a développé par le passé une vocation industrielle, coupant ses citoyens d’une accès direct à l’eau. Or, dans les années 70, un maire avant-gardiste entreprend la revalorisation du bord de l’eau, conscient du potentiel et de l’importance de l’endroit. L’idée fait son chemin, lentement.
Plus de trente ans plus tard, en 2010, le Waterfront Baltimore Partnership, dont Lindquist fait partie, se demande toujours comment faire pour que les habitants se réapproprient leur port, alors qu’il est encore largement perçu comme pollué, peu attractif et industriel.
L’équipe parvient à la conclusion que son message ne peut uniquement être centré sur l’environnement. Après des consultations avec des agences publicitaires, elle développe une stratégie en plusieurs temps qui permettra de redonner du lustre au port, mais aussi de convaincre les habitants de l’aimer.
Une star est née
C’est ainsi qu’un collecteur de déchets flottant est installé en 2014, à l’endroit où la rivière Jones Fall se jette dans la Baie de Chesapeake. Pour Lindquist, il s’agit du «deuxième meilleur endroit» où l’installer, puisque l’idéal serait d’empêcher la pollution des cours d’eau à la source.
Un an plus tard, Mr Trash Wheel, toujours sans nom ni particularités, réussit à récolter 19 tonnes de déchets après une tempête de pluie particulièrement intense. Après ce succès et un vidéo relativement viral, une agence de publicité propose de personnifier la drôle de machine.
«On n’avait pas encore compris comment rendre un collecteur de déchets particulièrement intéressant pour le public», se rappelle le directeur du Baltimore Waterfront Partnership, mais la proposition l’enthousiasme: un tel personnage a le potentiel de rendre le port distinctif.
On ajoute donc au collecteur de déchets une paire d’yeux globuleux, on lui crée une personnalité et un compte Twitter où il décrit de manière fort humoristique son quotidien de poubelle de rivière. Une star est née.
Le volubile personnage raconte ses trouvailles quotidiennes: un serpent vivant, une guitare, un soulier à talon haut… Il fait la promotion d’une bière à son effigie, encourage les équipes de nettoyage de la ville et n’hésite pas à remixer des mèmes populaires. Plus de 19 000 abonnés suivent aujourd’hui ses péripéties.
Bien ancré dans le port de Baltimore, Mr Trash Wheel a avalé plus de 2,3 millions de livres de déchets depuis sa création, ce qui représente des milliers de conteneurs. C’est dire l’ampleur du problème — et l’efficacité de la solution. Pour lui venir en aide, Professeure Trash Wheel et Capitaine Trash Wheel, deux nouvelles machines-personnages, ont été appelés à la rescousse, respectivement en 2016 et en 2018.
Un succès à la fois environnemental et collectif
Réduire la pollution océanique est une chose, mais transformer le port de Baltimore, un «écosystème qui était pratiquement mort», dit Lindquist, en un endroit intéressant en est une autre. Mr Trash Wheel fait partie d’une stratégie plus large de sensibilisation du public et de restauration de milieux aquatiques.
L’équipe de revitalisation du Waterfront Baltimore Partnership a d’ailleurs entrepris de nombreux autres projets en ce sens. De la plante d’îles végétales flottantes, à une course en kayak annuelle, à la réintroduction de plus de 250 000 huîtres d’une espèce endémique qui filtre l’eau du bassin portuaire, tous les efforts sont de mise. La clé, selon le directeur, est de faire en sorte que les gens se soucient du cours d’eau, qu’ils l’adoptent, en quelque sens.
Et les résultats sont au rendez-vous. En plus d’une qualité d’eau grandement améliorée, le port reçoit de plus en plus de visites de crabes, d’anguilles, de poissons, de canards, de hérons, de tortues, et, bien entendu, d’humains.
Adam Lindquist, du Waterfront Baltimore Partnership, détaillait les étapes qui ont mené à ce succès d’«urbanisme bleu» lors de la conférence Americana, qui a eu lieu à Montréal.
19/11/24 à 15h53 GMT