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Le recul des glaciers menace la biodiversité



  • Alors que le dégel se poursuit dans le monde entier du fait du réchauffement climatique, la richesse des écosystèmes de montagne est en péril. Des chercheurs de l'IRD et leurs partenaires (1) viennent de révéler, dans la revue Nature Climate Change, que la disparition des glaciers entraînerait l'extinction de 10 à 40 % de la faune aquatique selon les régions %u2013 tropicales, tempérées ou arctiques. Les écologues ont en particulier étudié la biodiversité des ruisseaux issus des eaux de fonte dans les páramos, paysages typiques des Andes, perchés entre 3 500 et 5 000 m d'altitude. Les espèces qui peuplent ces cours d'eau, principalement des insectes, sont pour bon nombre endémiques de ces milieux extrêmes, soumis à la fois au gel et à un rayonnement intense, balayés par les vents, etc. La disparition de cette faune exceptionnelle constituerait une perte en termes de conservation de ces écosystèmes uniques au monde. Mais les invertébrés jouent aussi un rôle de bioindicateurs, notamment de la qualité de l'eau, qui alimente les villes en aval comme Quito, la capitale équatorienne.

    Dans le monde entier, la disparition annoncée des petits glaciers* menace de priver d'eau de nombreuses villes dans les vallées, comme la capitale équatorienne, Quito, alimentée par les rivières provenant des montagnes alentours. Mais le retrait des glaces met aussi en péril la faune des eaux douces. D'après une étude publiée dans Nature Climate Change, la diversité locale et régionale de la faune aquatique de montagne sera considérablement réduite si les prévisions se réalisent. Jusqu'à présent, l'impact du dégel mondial sur la biodiversité des cours d'eau n'avait pas été quantifié.

    Les insectes, un groupe modèle

    L'équipe de recherche (1) s'est penchée sur l'avenir des habitants des ruisseaux issus des eaux de fonte dans les Alpes, en Alaska ainsi que dans les Andes équatoriennes, terrain d'études des chercheurs de l'IRD. Ces derniers ont collecté des échantillons dans une cinquantaine de sites différents dans les páramos. Ces écosystèmes herbacés tout à fait particuliers sont caractéristiques des sommets andins, perchés à plus de 3 500 mètres d'altitude entre la limite de la forêt et les neiges " éternelles ". Les écologues y ont recensé la population de macroinvertébrés %u2013 principalement des larves d'insectes, telles que les Éphémères, les Trichoptères ou encore les Diptères. Ces organismes, qui peuplent en majorité le fond des torrents glaciaires, appartiennent à un groupe d'ores et déjà bien étudié, dont les exigences environnementales sont relativement bien connues et qui peut ainsi être considéré comme modèle pour les scientifiques. Grâce à plus d'un an de prélèvements réguliers, ils ont identifié par exemple dans le seul páramo du volcan Antisana, le " château d'eau " de Quito, plus de 150 espèces d'invertébrés.

    De 10 à 40 % d'extinction

    Dans les trois régions d'études %u2013 tempérée, arctique et tropicale %u2013, l'équipe de recherche a analysé la réponse de trois éléments clés aux variations de la surface des glaces : la diversité taxonomique locale, c'est-à-dire le nombre d'espèces différentes présentes par exemple dans un ruisseau, ou régionale, par exemple de l'ensemble d'un réseau hydrographique, et la variation de cette diversité entre les cours d'eau. Grâce à des échantillonnages à différentes distances des glaciers, ces données ont révélé que, dans les Andes, la richesse locale augmente à mesure que l'on s'éloigne vers l'aval. Par ailleurs, il apparaît que le peuplement des différents ruisseaux à une même altitude est très hétérogène. A une centaine de mètres de distance, les communautés rencontrées dans deux torrents d'apparence similaire peuvent être bien différentes en fonction du glacier drainé. En effet, les glaciers andins ont des dynamiques diverses, fondant plus ou moins vite en fonction de leur taille, très variée, et de leur exposition au soleil, par exemple.

    Au regard de ces prélèvements, ainsi que des données de suivi des communautés aquatiques pendant plus de 20 ans, dès que la couverture glaciaire diminue pour ne représenter plus que 30 à 50 % de la surface du bassin versant, plusieurs espèces commencent à disparaître. Et si les glaciers venaient à dégeler complètement, de 11 à 38 % de la richesse régionale risqueraient de s'éteindre selon la zone d'étude, y compris des espèces endémiques.

    Des faunes uniques au monde

    Les régions de haute montagne représentent des îlots isolés, où la migration de nouvelles espèces est restreinte et la spéciation (2) favorisée. La température et la pression atmosphérique faibles, le rayonnement solaire intense, les pluies irrégulières, le vent desséchant, le gel... sont autant de conditions extrêmes qui ont poussé les variétés présentes à des adaptations singulières, en particulier dans les Andes tropicales. Les torrents glaciaires imposent également des conditions de vie difficiles à leurs habitants, du fait de leur faible teneur en minéraux (3) et des crues quotidiennes (4) qui génèrent de fortes perturbations. Un haut degré d'endémisme caractérise alors les páramos, avec des espèces uniques au monde, mais aussi par conséquent un risque d'extinction inexorable si le recul des glaces se poursuit.

    Une perte de services rendus

    Cette étude a montré le rôle crucial que jouent les glaciers dans l'origine et la dynamique de la biodiversité, et donc l'impact de leur diminution pour la conservation de cette richesse. Mais ce n'est pas le seul dommage pour la planète. Les insectes jouent un rôle majeur dans le fonctionnement des écosystèmes de montagne, notamment via la décomposition de la matière organique qui permet la constitution des sols. Ils peuvent également s'avérer utiles en aval, par exemple pour les quelque 2 millions d'habitants de Quito. Ces organismes constituent en effet des bioindicateurs de la qualité de l'eau qui abreuve la ville et peuvent être utilisés comme outil par les gestionnaires de la ressource. La menace de l'extinction de nombreuses d'espèces fait craindre la perte de ces services écosystémiques cruciaux.

    Le rôle écologique de la plupart des invertébrés menacés dans les rivières glaciaires demeure à ce jour méconnu. Les conséquences pour les niveaux trophiques supérieurs tels que les poissons, les amphibiens, les oiseaux et les mammifères restent difficiles à prévoir. Mais ces écosystèmes exceptionnels semblent condamnés à disparaître, avant même qu'ils aient pu livrer tous leurs secrets aux chercheurs.

    * voir fiche d'actualité n° 127 - Petits glaciers des Andes tropicales : une disparition annoncée

    Rédaction IRD, DIC : Gaëlle Courcoux

    Notes

    (1) Ces travaux ont été dirigés par l'IRD et l'université de Copenhague au Danemark, en collaboration avec les universités de Birmingham et de Leeds au Royaume-Uni, d'Alaska aux Etats-Unis et de Paris-Sud 11, ainsi que de la Pontificia Universidad Católica del Ecuador à Quito et le CNRS.

    (2) Processus évolutif grâce auquel de nouvelles espèces émergent.

    (3) Les milieux très peu minéralisés sont généralement défavorables à la faune aquatique qui puise dans l'eau des éléments essentiels à sa survie, par exemple les chlorures ou le sodium.

    (4) Le jour, le glacier fond et augment le débit des ruisseaux, tandis que la nuit ce dernier diminue.

    Pour en savoir plus

    Contacts :

    Olivier DANGLES, chercheur à l'IRD

    Tél. : ( 593) 95651883

    olivier.dangles@ird.fr

    UR 072, Biodiversité et évolution des complexes plantes-insectes ravageurs-antagonistes %u2013 BEI)

    Adresse :

    Pontificia Universidad Católica del Ecuador

    Laboratorio de Entomología

    oficina 207, Edificio de Ciencias

    Av. 12 de Octubre

    Quito

    Equateur

     

    Dean Jacobsen, professeur associé à l'université de Copenhague

    Tél. : ( 45) 35321913

    Djacobsen@bio.ku.dk

    Freshwater Biological Laboratory

    Adresse :

    Department of Biology, University of Copenhagen

    Helsingørsgade 51, DK-3400 Hillerød

    Denmark

     

    Références :

    jacobsen d., milner a.m., brown l.e., dangles olivier Biodiversity under threat in glacier-fed river systems. Nature Climate Change, 2012, doi:10.1038/nclimate1435.

    Jacobsen, D., Dangles Olivier. Environmental harshness and global richness patterns in glacier-fed streams. 2011. Global Ecology and Biogeography, doi:10.1111/j.1466-8238.2011.00699.x

    Dangles, Olivier, Crespo-Pérez Verónica., Andino P., Espinosa R, Calvez Roger, Jacobsen D (2011) Predicting richness effects on ecosystem function in natural communities: insights from high elevation streams. Ecology, 2011, 92(3), 733%u2013743.

    Vidéo Canal IRD

    Brochure Fauna acuática de la Reserva Ecológica Antisana

    Blog de l'expédition Antisana

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