Premier
gaz à effet de serre, la vapeur d'eau - et les processus nuageux associés - reste
un facteur d'incertitude dans les projections climatiques à l'horizon 2100. Une
nouvelle technique, mise au point par des chercheurs de l'IRD et leurs
partenaires(1), permet désormais de mesurer la composition isotopique(2) de la vapeur
d'eau atmosphérique. Celle-ci permet d'étudier des éléments aussi variés que le
transport et l'origine des masses d'air ou la formation des nuages, de manière
plus précise qu'avec les variables météorologiques classiques. Relevées
pendant une année entière à l'IRI(1) au Niger, ces données isotopiques ont conduit
les chercheurs à décortiquer les rouages du cycle de l'eau au Sahel. Elles révèlent
que, même en saison sèche, il existe un apport d'humidité, et que ces
intrusions régulières d'air humide arrivent de Méditerranée. Cette humidité,
préexistante à la mousson, joue sans doute un rôle important dans le
déclenchement des pluies(3). Mise
en oeuvre aujourd'hui en routine en Afrique, cette technique pourra être étendue
à d'autres régions tropicales comme les Andes où le relief rend encore plus
incertaines les projections de changements de précipitations.
La vapeur d'eau est le premier gaz à
effet de serre, assurant à elle seule environ 60 % de cet effet. Cependant, les
processus nuageux qui lui sont associés demeurent l'une des principales sources
d'incertitude dans les projections climatiques, en particulier dans les régions
tropicales et subtropicales telles que le Sahel. Il est ainsi indispensable de comprendre le
transport, les sources et les puits de l'humidité atmosphérique. Des chercheurs
de l'IRD de l'unité HSM et leurs partenaires français et nigériens du LSCE et
de l'IRI(1) ont mis au point une nouvelle technique de mesure pour aller plus
loin dans cette compréhension.
Des observations
de terrain
Cette méthode novatrice mesure la
composition isotopique(2) de la vapeur d'eau in situ. Il s'agit d'une technique laser, basée sur les spectres
d'absorption des différentes molécules d'eau qui forment la vapeur
atmosphérique.
Les isotopes stables de l'eau
constituent un traceur géochimique bien connu pour reconstruire les variations
de notre climat passé à partir d'archives telles que les carottes de glace*.
Mais leur capacité à nous renseigner sur la variabilité actuelle demeurait
méconnue. Grâce à la nouvelle technique permettant d'observer ces isotopes dans
la vapeur atmosphérique, les scientifiques viennent de montrer qu'ils sont
beaucoup plus sensibles aux processus physiques atmosphériques que les simples variables
météorologiques telles que le taux d'humidité ou la pression. Ils offrent ainsi
le moyen d'étudier précisément des éléments et phénomènes aussi variés que
l'origine des masses d'air, la formation des nuages ou encore les différents
types de transport d'humidité.
Cette technique a été déployée par
l'équipe de recherche sur le campus de l'IRI à Niamey, grâce au soutien
financier de l'IRD. Sous la houlette de cet institut nigérien, les mesures isotopiques
sont effectuées en continu au-dessus du Sahel depuis l'été 2010.
De l'eau en
provenance de Méditerranée
Les climatologues ont analysé ces
mesures sur une année complète, incluant la période de mousson de 2010 et la
saison sèche qui l'a suivie. De manière inattendue, les données isotopiques
montrent une très forte variabilité de la disponibilité en eau atmosphérique tout
au long de l'année. Et ce, même pendant la saison sèche, période où l'absence
de pluie laissait supposer que rien ne se passait au-dessus du désert. L'étude
montre également que cette vapeur d'eau provient d'intrusions régulières d'air
humide arrivant d'Afrique du Nord, avec un paroxysme pendant les mois de
janvier et février - en pleine saison sèche. Ce résultat suggère que le climat
au Sahel dépend du moindre changement de la circulation atmosphérique à
l'échelle régionale, et en particulier en Méditerranée. Par ailleurs, cette
humidité, préexistant à l'arrivée de la mousson au Sahel quelques semaines plus
tard, joue sans doute un rôle important
dans le déclenchement des pluies. Ces travaux apportent ainsi un éclairage
nouveau sur la variabilité de l'atmosphère tropicale en-dehors des périodes de
mousson, qui restait très peu étudiée.
La
ligne de grain décortiquée
La résolution temporelle d'acquisition
des données, de l'ordre de quelques secondes, a aussi permis aux spécialistes
de décortiquer la genèse et la propagation des lignes de grain caractéristiques
des orages de mousson. Ils ont en particulier étudié les processus
d'hydratation (comme l'évaporation des gouttelettes d'eau) et à l'inverse de
déshydratation (comme l'apport d'air sec par des courants d'air verticaux
descendants) qui contrôlent directement la disponibilité en eau de l'atmosphère.
Les isotopes de l'eau présentant des signatures différentes selon le processus
prépondérant, les chercheurs ont démontré la forte présence de ces deux
phénomènes au Sahel, pouvant générer des fronts de rafale qui favorisent la
propagation des orages.
Les nouvelles données obtenues vont
permettre d'améliorer les projections sur l'évolution du régime de
précipitations au Sahel, fondées sur des modèles dans lesquels la forte
variabilité des apports en eau observée n'est pas
complètement représentée**.
Utilisée en routine à l'IRI, cette
technique est mise à disposition d'autres laboratoires africains pour
l'ensemble du continent. Elle pourra aussi être étendue à d'autres régions
tropicales où l'évolution des précipitations pourrait réduire la disponibilité
de la ressource en eau, comme les Andes. Les projections y sont encore plus
incertaines qu'au Sahel. A la complexité du cycle de l'eau atmosphérique
tropical vient s'ajouter un obstacle de taille : le relief, également mal
représenté dans les modèles de climat...
* voir fiche n°300 -
Mieux comprendre l'évolution globale du
climat grâce à l'étude d'un glacier patagonien
et
fiche n°232 -
Le
climat tropical passé revisité : l'Amazonie plus humide que prévue il y a 20
000 ans
Rédaction Françoise Vimeux et Gaëlle
Courcoux
Notes
(1) Ces travaux dans le cadre des thématiques du
programme Analyse Multidisciplinaire de la Mousson
Africaine (AMMA) ont été réalisés par les chercheurs de l'unité HydroSciences
Montpellier (IRD-CNRS-UM1-UM2) et du laboratoire des Sciences du Climat et de
l'Environnement (CEA-CNRS-UVSQ) et leurs partenaires de l'Institut des
RadioIsotopes (Université Abdou Moumouni).
(2)
Les éléments oxygène et hydrogène possèdent
plusieurs isotopes stables qui diffèrent par leur nombre de neutrons. Il en
résulte des formes différentes de la molécule d'eau H2O, plus ou
moins lourdes. La composition isotopique est la quantité relative de ces
différentes molécules dans la vapeur d'eau.
(3)
La mousson au Sahel se forme à travers le
flux d'humidité en provenance du Sud - Sud-Ouest qui se met en place au début
de l'été.
**Le saviez-vous ?
A ce jour, plus des deux tiers des modèles de climat
sont en désaccord sur l'amplitude et le
signe même (positif ou négatif) des changements de précipitations à la fin du
21e siècle au Sahel et en Amazonie.
Pour en savoir en plus
Contacts
Françoise VIMEUX, chercheure à l'IRD
Tél : 33 (0)1 69 08 57 71
francoise.vimeux@ird.fr
UMR 50 HydroSciences Montpellier %u2013 HSM (IRD, CNRS, UM1, UM2)
Adresse
LSCE, CEA Saclay
Orme des Merisiers, bât. 701
91191 Gif-sur-Yvette Cedex
Guillaume TREMOY, doctorant
Tél : 33 (0)1 69 08 94 63
guillaume.tremoy@lsce.ipsl.fr
Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement %u2013 LSCE (CEA, CNRS, UVSQ)
Adresse
LSCE, CEA Saclay
Orme des Merisiers, bât. 701
91191 Gif-sur-Yvette Cedex
Salla MAYAKI, professeur à l'université Abdou Moumouni
Tél: 227 20 31 58 50
mayakisalla@gmail.com
Institut des RadioIsotopes, IRI
Adresse
IRI, Université Abdou Moumouni
BP 10727
Niamey, Niger
Références
Tremoy G., Vimeux Françoise, Mayaki S., Souley I., Cattani O., Risi C., Favreau Guillaume, Oï Monique. A 1-year long 18O record of water vapor in Niamey (Niger) reveals insightful atmospheric processes at different timescales, Geophysical Research Letters, 2012, in press.
http://dx.doi:10.1029/2012GL051298.
Tremoy G., Vimeux Françoise, Cattani O., Mayaki S., Souley I., Favreau Guillaume. Measurements of water vapor isotope ratios with wavelength-scanned cavity ring-down spectroscopy technology: new insights and important caveats for deuterium excess measurements in tropical areas in comparison with isotope-ratio mass spectrometry. Rapid Communications in Mass Spectrometry, 2011, 25 (23), p. 3469-3480.
fdi:010054250 4ème Conférence internationale AMMA, du 2 au 6 juillet 2012, Toulouse, France.
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www.indigo.ird.fr