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Donner à la création artistique sa juste valeur pour qu'elle perdure



  • Le paradoxe a toutes chances d'occuper quelques années encore les philosophes et autres aspirants sociologues. Jamais, d'une part, l'accès aux biens culturels n'a été si simple, si libre et... si gratuit, via les tablettes, ordinateurs et autres smartphones. Et dans le même temps, notre époque a fait des produits culturels, entendus au sens large, un véritable enjeu de l'économie. Est-il possible de faire rimer culture et gratuité ?

     

    L'affaire remonte à une dizaine d'année et est passée inaperçue dans le moment. Elle est pourtant révélatrice. En prenant les commandes de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, Richard Descoing, son regretté directeur avait crée, dans le cadre de la réforme de la scolarité, un module de cours dévolu à " la gestion des entreprises culturelles ". C'est dire si, tout en leur reconnaissant une spécificité intrinsèque, les biens culturels sont devenus des " produits " exigeant une gestion, une réflexion, une stratégie.  " La culture a un prix,  observait dans le bulletin de Sciences Po, Jérôme Clément, alors directeur d'ARTE France, à l'appui de cette initiative. Ce n'est pas une révélation. Les architectes des cathédrales, les peintres de la renaissance flamande faisaient figurer leurs donateurs sur leurs tableaux (...) Mais la question prend, avec le double mouvement de mondialisation et de numérisation,  un sens nouveau ".

    Propos lucides et précurseurs. Avec le développement exponentiel des nouveaux moyens de communication, la question à laquelle personne n'est parvenu à apporter une réponse pérenne et satisfaisante, demeure d'actualité. Il y a un an, le magazine Usbek et Rica organisait pour la cinquième édition de " tribunal pour les générations futures " une conférence sur le thème " la culture doit-elle être libre et gratuite ? " où toutes les formes d'expression artistiques ont été analysées et où le périmètre de leurs fragilités a été défini.

    Car l'incursion, somme toute assez brutale, d'Internet et de ses avatars (téléphones, tablettes..) dans la vie quotidienne a considérablement bouleversé la donne pour les artistes et pour ceux qui les soutiennent et les produisent. Comme si, dépassés par la technique, le risque pointait que plus personne ne maitrise le flux et la diffusion des oeuvres, qu'elles soient toutes en libre accès, sans autre considération. Non, " culture ne rime pas avec gratuité ! ",  s'exclamait il y a quelques mois une vingtaine de cinéastes français, aussi divers que Jeanne Labrune ou Gérard Jugnot, Michel Deville, Jean-Jacques Beineix ou Catherine Breillat, dans une tribune publiée par le Monde. Tous mettaient en avant " le dynamisme et la vitalité " de la création cinématographique française, malmenée -et peut-être asphyxiée- par les téléchargements sauvages des oeuvres.

    Le monde du 7ème art n'est pas le seul à s'être mobilisé. Celui de l'édition n'a pas tardé à mesurer les menaces et écueils du développement du " tout numérique ". " Je ne veux pas que l'avenir du livre ressemble à celui de la musique, appauvrie par la domination d'un revendeur tout puissant et si triste en matière de diversité ", indiquait dans une allocution publique Arnaud Nourry, le PDG d'Hachette livre, en insistant sur le fait que les éditeurs devaient s'employer à faire admettre que " leur métier n'est pas une industrie comme les autres, mais un métier de création pure ". 

    Une position qui a le mérite de replacer au premier plan le fait que la culture a une valeur. Valeur monétaire, valeur patrimoniale, valeur nécessaire et indispensable à la créativité dans tous les secteurs. Une position qui ne va porter ses fruits que si elle est portée de façon univoque par les acteurs du monde de la culture.

    C'est bien là un enjeu qui passe par la pédagogie, dès le plus jeune âge et sur tous les fronts. Apprendre qu'un tableau, un livre, un morceau de musique est avant le produit du travail d'un artiste et, à ce titre mérite considération, respect et rémunération juste sont des éléments qui relèvent également de la responsabilité des éducateurs entendus au sens large.  Sans cela, la sanction imaginée par la loi et qui condamne les " tricheurs ", sur le modèle de la très décriée HADOPI, ne peut être que vaine.

    A défaut de cette prise de conscience et de sa mise en oeuvre collective, à tous niveaux -politique, économique, pédagogique-, c'est toute la création artistique qui faute de trouver des moyens de vie, voire de survie, risque de s'assécher, mettant en péril l'avenir d'une certaine forme de civilisation, au profit des seules technologies, niant ainsi ce qui est le propre de l'homme : sa capacité d'imagination et de pourvoyeur de rêves.

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