Et si l’énergie verte était en réalité bleue ? C’est en tout cas ce que préfigurent les premiers projets atour de la captation des mouvements marins afin de produire de l’électricité. L’énergie hydrolienne promet d’ores et déjà une production dense et continue, des répercussions environnementales minimes et une hausse sensible de l’emploi. Que de raisons de suivre le courant.
Ça commencerait comme le préambule d’une mauvaise plaisanterie – comment appelle-t-on une éolienne sous-marine – et pourtant, on a affaire à ce qui pourrait être l’une des innovations les plus porteuses en matière de production verte d’énergie dans les années à venir. Une hydrolienne est une turbine hydraulique qui capte les courants pour les transformer en électricité. L’innovation c’est aussi sortir des clous prévus pour le progrès. Cette technologie, très proche des éoliennes – qui utilisent l'énergie cinétique du vent – ouvre une nouvelle voie dans la transition énergétique, s’appuyant sur les courants marins ou fluviaux, une source régulière et inépuisable. Ici, la densité naturelle de l’eau est un immense avenage, puisque sa masse volumique est 832 fois plus élevée que celle de l'air (environ 1,23 kg·m-3 à 15 °C). En conséquence, malgré une vitesse de fluide en général plus réduite, la puissance récupérable par unité de surface d'hélice est beaucoup plus grande pour une hydrolienne que pour une éolienne.
A cela, il faut ajouter un élément de planification très utile lorsque l’on sait que la plupart des sources d’énergie renouvelable sont peu prévisibles, puisque les marées peuvent être calculées à l’avance. Le Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom) est capable d’en prédire les fluctuations cent ans à l’avance. En effet, les marées sont le fruit de l’attraction de la lune, dont les mouvements sont connus avec une précision sans défaut. Aussi, les courants sont continus et relativement constants. L’énergie hydrolienne ne présente de plus aucune gêne pour les animaux marins puisqu’en général les hélices tournent entre 10-15 tours par minutes, soit 10 fois moins vite que les hélices d’un bateau. Autre point positif : la quasi-totalité de la structure de l’hydrolienne est située sous l’eau (elle est composée d’une base qui permet de la fixer au sol et d’un rotor qui tourne avec l’énergie cinétique des courants marins, et l’électricité produite est envoyée sur terre par des fils électriques posés au fond des océans). Les réserves esthétiques posées par certains citoyens, accusant les éoliennes de dégrader le paysage national, sont ainsi elles aussi de l’histoire ancienne. Il faut également noter que les hydroliennes sont beaucoup plus petites que les éoliennes pour une même puissance.
On le sait aujourd’hui, les potentiels des courants marins sont très importants. D'après EDF, qui se penche sur la question de près depuis plusieurs années, le potentiel européen exploitable serait d'environ 12,5 GW (dont 2,5 GW sur les côtes Françaises), soit l'équivalent de 12 réacteurs nucléaires de 900 MW. Ce qui représente la consommation continue de 6 à 8 millions d’habitants. Le géant de l’énergie français n’a d’ailleurs pas attendu avant de se lancer dans le développement de ses propres projets de captation des courants, EDF a développé les deux premiers modèles de turbine hydrolienne DCNS/OpenHydro, qui ont été immergés avec succès, mercredi 20 janvier dernier, à près de 40 mètres de profondeur au large de Paimpol-Bréhat. Chaque turbine pèse environs 300 tonnes pour 16 mètres de diamètre. Elle est fixée sur un socle de 900 tonnes pour résister aux puissants courants marins qui circulent dans cette zone. C’est « la première ferme hydrolienne expérimentale au monde », précise Pierre-Guy Thérond, directeur chez EDF Energies Nouvelles. Ces deux machines pourront produire 1 mégawatt (MW) d'électricité, ce qui correspond à l'approvisionnement en énergie de 1 500 foyers.
La mise à l’eau de l’hydrolienne représente une étape importante de ce projet de parc démonstrateur hydrolien mené par EDF. La prochaine opération sera le raccordement de la turbine au réseau électrique. Un autre parc est en projet et devrait être installé à « Raz Blanchard » à la pointe ouest du Cotentin. Là, les courants sont bien plus forts qu’en Bretagne nord et c’est donc le site idéal pour entamer une production industrielle. Le troisième et dernier volet consacrant le début de l’exploitation de fermes pilotes d’hydroliennes devra avoir lieu au plus tard le 20 mars 2017. Une PME quimpéroise plus modeste, Sabella, a elle immergé la première hydrolienne « D10 » en face de l’île d’Ouessant en juin 2015. Elle a généré plus de 50 MWh d’électricité en conditions d’exploitation réelles. « Un contrat d'exclusivité avec un développeur philippin est en cours de signature. (…) Il devrait aboutir dans le courant de l'année », indique son dirigeant. Ces projets démontrent en tout état de cause le potentiel significatif d’une filière industrielle encore aujourd’hui à peine émergente. Les promesses sont également élevées en matière d’emploi : selon Antoine Rabain, responsable du pôle énergies et technologies vertes au cabinet Indicta, l’énergie hydrolienne pourrait « permettre de créer jusqu’à 10 000 emplois en France à l’horizon 2030 ».