Les idées reçues ont la vie dure en matière d’écologie. Celles sur l’impact environnemental de l’industrie du livre sont légion, et souvent bien loin de la réalité des pratiques actuelles. Alors, qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ?
Acheter un livre est bon pour l’esprit, mais l’est-ce pour la planète ? Dès qu’il s’agit de papier, les hérauts de l’écologie sortent sur le pont pour dénoncer une industrie énergivore. Mais de quoi parlent-ils au juste ? Commençons par un petit retour en arrière : au début des années 2000, le premier à communiquer largement sur le sujet est le Guide du Routard. Alors méconnue du grand public, la notion d’empreinte carbone arrive sur le tapis : le guide explique à ses lecteurs quelle est sa propre empreinte carbone, entre la fabrication du livre, le papier, les billets d’avion des auteurs… une façon intelligente d’attirer l’attention des lecteurs sur un enjeu à échelle planétaire.
L’empreinte carbone, kezako ?
Pour se faire une idée relativement fiable sur le bilan carbone du dernier Houellebecq acheté à la librairie du coin, il faut déjà s’accorder sur les définitions. A quoi correspond exactement le bilan carbone (du livre ou d’autre chose) ? La communauté scientifique pointe généralement du doigt les gaz à effets de serre (GES) générés par l’activité humaine. Cela concerne avant tout le dioxyde de carbone (CO2, d’où le nom d’empreinte « carbone »), mais pas seulement. Rentrent également dans la catégorie « mauvais élèves » le méthane, le protoxyde d’azote et divers autres gaz…
Dans le cas de l’industrie française du livre, l’empreinte carbone est calculée selon une recommandation de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), organisme indépendant placé sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et solidaire, de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Chez Hachette par exemple, la méthode de calcul a été confiée à la société de conseil Carbone 4, dirigée par Jean-Marc Jancovici. Son équipe a opté pour la méthode étendue dite du « Scope 3 ». Cette méthode prend en compte le bilan carbone réel des trois étapes de la vie du livre : l’avant, le pendant et l’après. L’avant, ce sont les émissions liées à la gestion des plantations d’arbres. Le pendant, c’est la fabrication proprement dite des matières premières (papier et encre), puis le façonnage des livres en imprimerie. L’après, ce sont toutes les interventions externes pour la distribution, l’empaquetage, le transport jusqu’aux points de vente... Le tout se résume ensuite à un nombre en kilogrammes de carbone. Il y a les (très) mauvais élèves, comme le transport aérien : par exemple, un aller simple Paris-New York pour un voyageur en classe économique équivaut à 1,1 tonne de carbone. Il y a aussi les bons élèves (mais controversés), comme la filière nucléaire. Où se situe donc le monde de l’édition ?
L’édition, cancre de l’environnement : Faux
Cette idée reçue risque de coller longtemps à la peau de l’édition, à cause de l’industrie du papier. Chaque année sortent des rapports contradictoires, les uns pointant du doigt des géants du papier comme le Canadien Resolute, accusés d’exploiter abusivement des régions boisées, les autres montrant toutes les initiatives pour adapter l’industrie aux impératifs du développement durable. Objectif pour les grandes enseignes, comme pour les petits éditeurs régionaux : montrer qu’ils respectent l’environnement et que les forêts sont exploitées de manière durable. A Toulouse, un petit éditeur – Plumes de carotte – est en pointe dans le domaine, se battant depuis dix ans pour une prise de conscience du secteur. Et sa démarche porte ses fruits. Frédéric Lizak, son propriétaire, voit deux engagements possibles pour la filière : « D’abord, des choix de fabrication, nécessitant une veille technologique, sur les papiers, les encres, la distance à laquelle se trouve les imprimeurs… Ensuite, des choix sociaux afin de travailler avec des sociétés ayant un minimum de respect vis-à-vis des auteurs. » Les géants du secteur empruntent aujourd’hui ce même chemin. « Nous sommes un groupe écolo, clame le directeur de la communication d’Hachette Livre, Ronald Blunden. Le label FSC (Forrest Stewardship Council, un système de certification international et indépendant), qui constitue la clé de voûte de notre politique en matière de responsabilité environnementale, n’est pas négociable. » Et toute la chaîne de production tente de se mettre au diapason. Selon un rapport de la Confédération des industries européennes du papier (CEPI) en 2011, « l’industrie papetière a réduit de 40% ses émissions de CO2 par tonne de papier produite par rapport à 1990 ». Une réduction bien plus importante que dans d’autres secteurs, comme le transport ou l’agriculture.
Le livre papier, plus nocif que la liseuse : Faux
Le cabinet de conseil Carbone 4 a sorti sa calculette pour arriver à la conclusion suivante : à moins de lire 80 livres par an, le livre papier reste moins nocif pour la planète qu’une liseuse électronique. Car ces liseuses ne poussent pas sur les arbres. Pour les fabriquer, il faut des matériaux (puces, écrans, batteries…) qui sont tout sauf ecofriendly. Selon Françoise Berthoud, directrice d’un groupe de recherche au CNRS, « le premier problème est l’épuisement des gisements de métaux non renouvelables que l’on extrait du sol. Des problématiques importantes de pollution des sols, de l’eau et de l’air se posent aussi au moment de l’extraction ». A cela s’ajoute le fret et la livraison partout sur la planète de ces liseuses fabriquées dans leur quasi totalité en Chine, ainsi que l’électricité nécessaire à une recharge quotidienne, le recyclage des pièces en fin de vie… La liste est longue et, au final, ces liseuses ont un « coût » environnemental très élevé. Conclusion de Carbone 4 : une liseuse affiche un bilan carbone de 240kg, soit 80kg par an sur trois ans (durée de vie moyenne d’une liseuse). L’équivalent d’environ 80 livres… Mais qui lit 80 livres par an ? Sachant que les Français lisent en moyenne 16 livres par an, l’objectif est aujourd’hui hors d’atteinte. Il faut donc prendre l’équation à l’envers : le progrès technologique permettra certainement – à long terme – d’abaisser le bilan carbone des liseuses. Pour l’heure, le livre en cellulose semble donc avoir encore de beaux jours devant lui.
L’industrie du livre pourrait faire (encore) mieux : Vrai
Tous les acteurs de l’industrie du livre sont d’accord sur ce point : ils peuvent faire encore davantage. Des idées à long terme font leur chemin : mieux gérer les ressources naturelles, réduire le grammage du papier, réduire la taille des livres, imprimer à la commande ou encore généraliser le papier recyclé (70% aujourd’hui). Les initiatives viennent des géants comme le français Hachette (nº1 français) ou le britannique Pearson (le leader mondial de l’édition), conscients de leur responsabilité sociétale, mais aussi d’autres acteurs, à dimension plus humaine, également en pointe dès qu’il s’agit de développement durable. C’est le cas par exemple de l’éditeur Terre Vivante. Dans une étude intitulée Analyse du cycle de vie du livre, cet éditeur basé en Isère lance de nouvelles pistes de réflexion et propose des solutions concrètes sur les encres à base végétale, sur le raccourcissement du transport… et surtout sur le recyclage : « L’utilisation de papier recyclé permet de moins consommer de bois et de préserver les forêts. Sa fabrication est aussi plus économe en eau et en énergie. » Mais comme pour toute bonne idée, encore faut-il la faire connaître.
Comme dans de nombreux secteurs économiques, la réduction du transport est également un objectif revendiqué. Une solution possible est l’impression à la commande. Ce modèle balbutie, mais semble prometteur. Chez le distributeur Interforum (Groupe Editis, nº2 français), on en est même persuadé comme en témoigne l’inauguration en juin dernier du service Copernics. Selon son PDG Eric Levy, « la quasi absence de stock permet de réduire le pilon de 15% en moyenne. Objectif : 20% des livres seront imprimés sur site, cette économie sur le transport permettant de réduire de 25% notre bilan carbone ». D’après Interforum, le procédé n’offre que des avantages, comme la réduction de la consommation de papier, d’encre, la gestion des déchets et des solvants…
Tous ces facteurs, si pertinents soient-ils, resteront sans effet si les consommateurs ne sont pas informés et sensibilisés à la question de l’empreinte carbone des livres. Certains acteurs réclament même des normes vraiment contraignantes. Le Syndicat national de l’édition, l’Agence française de normalisation et l’Ademe travaillent conjointement pour élargir les critères au-delà de la simple émission de gaz à effets de serre. Ils souhaiteraient ajouter plusieurs critères pour que les lecteurs achètent leurs livres en toute connaissance de cause, grâce à un étiquetage pensé à l’échelle européenne. Certains critères restent obscurs pour le grand public (comme l’eutrophisation de l’eau et la pollution photochimiques), d’autres semblent tomber sous le sens aujourd’hui comme l’éthique ou la traçabilité du papier. Les professionnels du livre aimeraient d’ailleurs que les fabricants de liseuses fassent de même, avec la provenance des minerais rares utilisés dans la fabrication des supports digitaux.
Les consommateurs, en France et ailleurs, devraient donc bientôt voir fleurir, en 4e de couverture des livres disponibles en librairie, une mention « prix équivalent carbone ». Cela deviendra-t-il un argument commercial ayant un impact sur les ventes ? Impossible à dire aujourd’hui. Alors pour l’heure, aucun doute, le livre papier reste dans l’air du temps.