Depuis la dernière visite officielle du Premier Ministre mauricien, du 9 au 14 juin 2008 à Paris, la proposition Française de co-gérer l’île Tromelin nous rappelle combien la donne géopolitique et géostratégique pèse toujours sur les relations internationales dans l’Océan Indien. Ce qui a changé, c’est que la diplomatie de ressources a remplacé, dans une large mesure, la diplomatie de la canonnière au niveau des grandes puissances traditionnelles et les grandes puissances en devenir. Par conséquent, l’accès aux ressources notamment les matières premières, les énergies fossiles, les productions agricoles et l’accès aux marches des exportations sont autant de facteurs qui pèsent sur la politique Sud-Nord.
Sur le contentieux Franco-Mauricien sur l’île de Tromelin qui est un îlot qui se trouve à environ 350 km à l’est de Madagascar, on est toujours dans le cadre de la rhétorique diplomatique. Le litige sur Tromelin relève pour beaucoup à une affaire de traduction du Traité de Paris de 1814 selon lequel seront rendues à la France les îles lui ayant appartenu « sauf Maurice et ses dépendances, nommément Rodrigues et Seychelles ». Or dans la version anglaise le terme utilisé à la place de ‘nommément’ est le mot ‘especially’ qui en français signifie ‘notamment’. Maurice bien entendue s’appuie sur la version anglaise pour justifier sa revendication.
Selon le Premier ministre mauricien, cité par le quotidien Le Mauricien en date du 12 juin 2008, « même le différent sur l’îlot de Tromelin est en voie d’être résolue après des décennies d’incompréhension et des discussions stériles. Nous avons déjà fait un progrès significatif et les discussions futures s’annoncent prometteuses ». La partie française a souhaité que l’île Tromelin soit cogérée par la France et Maurice. Cette dernière a souhaité que les discussions se poursuivent et qu’il faut séparer la question de la souveraineté mauricienne et la co-gestion.
Ce n’est pas la première fois que la question de co-gestion entre la France et l’île Maurice revient sur le tapis. Le prédécesseur de Nicolas Sarkozy, M Jacques Chirac avait proposé une telle solution dans le cadre du sommet de la COI en 1999.
La question qui mérite d’être posée, dans le cadre de la réouverture de cette négociation, est de savoir ce que Maurice a à gagner du point de vue de souveraineté et d’exploitation des ressources dans la zone économique exclusive de Tromelin ? L’îlot dispose d’une Zone Economique Exclusive de 280,000 km2 pour une surface terrestre d’un kilomètre carré. Il présente de nombreux blocs coralliens et recouvert de sable. La flore est constituée principalement d’herbes grasses et d’arbustes peu denses. Quant à la faune, elle est composée d’une colonie de tortues et d’oiseaux de mer. Par conséquent, les ressources sont limitées aux ressources halieutiques notamment le thon et d’autres pélagiques migrateurs tel que les tortues de mer. Bien sur à cela s’ajoute l’étendue de la Zone Économique Exclusive (ZEE) qui recèle d’autres ressources potentielles. Sur la base des informations disponibles, l’île qui est très exposée aux alizés durant toute l’année n’est pas propice aux activités touristiques. L’enjeu, d’une part, est d’ordre géopolitique avec l’exploitation des ressources marines dans la ZEE à un moment où Maurice a l’ambition de devenir un ‘Sea Food Hub’ et d’autre part, la valeur scientifique en tant qu’un des observatoires des cyclones dans le sud ouest de l’Océan Indien et un lieu de prédilection pour les tortues marines. Dans ce contexte, est ce que la co-gestion ne doit-elle pas limiter l’île à une vocation scientifique permettant aux chercheurs de deux États de mettre en place une nouvelle forme de partenariat, et non pas de simple collaboration ponctuelle, sur la gestion et la conservation des ressources marines dans un esprit d’équité et de solidarité Nord-Sud ?
Maurice assure qu’en acceptant l’idée de la co-gestion, elle ne renonce pas pour autant à la revendication de sa souveraineté sur Tromelin. Dans ce cas, les deux Etats devraient parallèlement se mettre d’accord sur une période donnée pour compléter la négociation dans un esprit de partenariat et de dialogue sur la question de souveraineté. Si le calendrier reste ouvert, les négociations risquent de ne jamais aboutir.
En attendant, et avant toute prise de décision, il faudra que la proposition de co-gestion soit clarifiée en termes de contributions, d’obligations et de devoirs pour chacun des Etats, ce qui, aujourd’hui, n’est toujours pas le cas. Du moins, ça ne l’est pas de façon officielle. Qu’est ce que l’île Maurice a à gagner en acceptant cette proposition ? Quels sont les vrais enjeux d’une telle négociation ? A ce stade il y a plus de questions que de réponses et Maurice a tout intérêt à faire attention de ne pas hypothéquer son droit historique de souveraineté tout comme il l’affirme avec plus de force sur le dossier de l’archipel des Chagos y compris Diego Garcia. Il est grand temps que ce dossier soit traité dans toute sa rigueur : Maurice ne doit pas sacrifier sa souveraineté au profit du soutien de la France à certains dossiers sensibles ou prioritaires. Nous espérons que la France, avec ses diverses soutiens financiers ou techniques, et Maurice, en les acceptant, ne soient pas en train de marchander l’issue de l’affaire Tromelin.
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