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Femmes africaines (1) - Un continent sur les épaules



  • Article paru dans le journal Le Devoir (Canada-Québec) le mardi 9 août 2005 *.

    Elles sont l'espoir d'un continent qui croule sous les mauvaises nouvelles: guerres, sida, corruption, famines. Partout, elles s'engagent pour améliorer le sort des leurs. Notre collaboratrice s'est rendue aux quatre coins du continent africain pour rencontre ces femmes. Elle nous livre ici le premier d'une série de cinq articles.

    Les femmes africaines portent leur continent sur les épaules comme sur leur tête l'eau pour étancher la soif. Et malgré le vent de pessimisme et de découragement qui souffle sur le monde à propos de l'Afrique, les femmes africaines, vaille que vaille, continuent leur chemin. Elles créent toutes sortes d'associations : ce sont elles que l'on retrouve souvent au coeur des comités pour l'accès à l'eau, à l'électricité, à l'éducation pour tous, aux soins de santé. Dans les quartiers, les villages, les régions, elles mettent de l'avant des expériences citoyennes inédites. Et cela, partout sur le continent.

    Quelle que soit leur religion, leur ethnie, leur âge, leur classe sociale, elles se qualifient d'«activistes», et se battent, se débattent pour leur dignité et celle de leurs concitoyens. Au développement tous azimuts qui n'a pas porté les fruits promis, aux grands remèdes imbuvables proposés par la Banque mondiale et le FMI, elles opposent des initiatives modestes mais multipliées. Elles sont en train de démontrer que d'autres formes de développement sont possibles et efficaces : coopératives, mutuelles de crédit, micro-crédit.

    Aminata Sy vit à Guédiawaye, à une vingtaine de kilomètres de Dakar, la capitale du Sénégal. Avec ses voisines, elle a imaginé une cagnotte dans laquelle chacune dépose une petite somme hebdomadaire. La cagnotte est ensuite mise à la disposition de chaque femme du groupe, tour à tour, à intervalles réguliers. Elle servira soit à pallier au plus urgent des besoins familiaux, soit à investir dans une micro-entreprise : vente de gâteaux dans les écoles, livraison dans le voisinage de poches de riz achetées en vrac et à meilleur prix. Cette cagnotte est un exemple parmi d'autres d'initiatives originales.

    C'est ainsi que les femmes africaines, du nord au sud et d'est en ouest, armées de leur créativité et de leur empathie, essaient de redonner «un sens à l'existence sur leurs propres terres et selon leurs propres normes» (Aminata D. Traoré, écrivaine et ancienne ministre de la Culture du Mali).

    Au nord, en Algérie, il y a Fellah, une jeune avocate de 29 ans, qui donne des conseils juridiques à des femmes en difficulté dans le cadre d'une association appelée SOS Femmes en détresse. Tandis que sa collègue, Meriem, lutte pour une application du Code de la famille qui soit plus juste pour les femmes algériennes.

    Au sud, à l'autre bout du continent, il y a Gladys Nqoko, 65 ans, qui a fondé le refuge Siyafunda à Soshanguve, près de Pretoria, en Afrique du Sud. Ce refuge vient en aide aux grands-mères chargées du soin de leurs petits-enfants dont les parents sont morts du sida. Tandis que Gail Johnson, elle, 50 ans, une autre Sud-Africaine, a créé le refuge Nkosi à Johannesbourg pour accueillir des mères et leurs enfants atteints du VIH.

    À l'ouest du continent, au Sénégal, il y a Nafi Faye, 29 ans. Elle est l'une des directrices du réseau Siggil Jigeen qui chapeaute 18 groupes de femmes luttant contre la pauvreté, l'illettrisme, les mariages précoces chez les filles, la violence domestique, l'exploitation des femmes au travail... Tandis que sa compatriote, Awa Sanoko, 65 ans, une sage-femme à la retraite, fait des tournées à travers le pays sénégalais pour convaincre les exciseuses de cesser leurs activités.

    Tout à l'est du continent, au Rwanda, il y a Immaculée Ingabire, 40 ans, qui a mis sur pied, avec d'autres femmes, un centre d'aide juridique pour les veuves du génocide. Et puis toujours à l'est, en Tanzanie, Mary Mwingira, 58 ans, qui a créé un groupe de femmes professionnelles et intellectuelles, Taaluma Women Group. Triple objectif des militantes de Taaluma : contribuer à transformer leur lieu d'origine, leur lieu de vie, leur lieu de travail. Mary a contribué à la réparation d'une école dans son village natal, Nindai, au sud du pays. Puis elle a mis sur pied, à Dar es-Salaam où elle vit, un groupe de conscience d'une dizaine de femmes qui viennent réfléchir à leur condition une fois par semaine. Enfin au travail, en tant que directrice d'employés, elle se félicite d'avoir initié un style nouveau de direction, participatif et consensuel.

    Elles sont ainsi des milliers et des milliers de femmes engagées, militantes, dans toute l'Afrique. Elles se forment entre elles, parfois assistées, soutenues par des collègues venues d'ailleurs, de Suède, d'Australie, de France, du Canada, des Pays-Bas. On les voit en réunion, studieuses, disciplinées, dans les grands hôtels du continent. Novotel de Kigali, de Dakar, d'Arusha, Mövenpick de Dar es-Salaam, Aurassi d'Alger, Holiday Inn de Johannesbourg. Elles apprennent à se connaître, rient et pleurent ensemble, avancent sur de modestes fronts, petit à petit, projet par projet. Entre elles, des réseaux nationaux et continentaux s'élaborent.

    Les photocopieuses de ces hôtels ne dérougissent pas, et leurs «centres d'affaires» vibrent des centaines de courriels reçus, composés, expédiés par ces militantes de tous horizons. Les Fellah, Gladys, Justa, Immaculée de tous les coins et recoins d'Afrique, essaient d'inventer en paroles et sur papier ce qui pourrait améliorer le sort des leurs.

    Quand elles émergent de ces hôtels climatisés pour rentrer chez elles, ce qui s'offre à leur vue est partout pareil, à la grandeur du continent africain : routes et rues cabossées, pollution automobile à couper au couteau, taxis collectifs bondés et pétaradants, nuées d'enfants qui courent au milieu des poules et des chèvres. Des femmes qui marchent dans la poussière soulevée par les vents chauds. Des immondices partout, des sacs de plastique accrochés aux arbres. Des petits commerces faméliques le long des artères, où les hommes discutent entre eux en attendant le client qui passera dans une demi-heure, dans une heure. «Ces réunions-là me donnent des ailes», me dira Mary Mwingira la Tanzanienne. «Je rentre chez moi à chaque fois gonflée à bloc, déterminée comme jamais à agir. Ces réunions me donnent de l'espoir.»

    Elles font des stages de formation, non plus seulement dans les riches pays occidentaux qui les invitent, mais aussi, maintenant, dans d'autres pays en développement. Justa Mwaituka, tanzanienne elle aussi : «J'ai été conviée à une formation de sage-femme en Inde où j'ai rencontré des dizaines de femmes. Nous avons partagé nos expériences, nos réflexions, nos visions du monde. Mais j'ai surtout eu la chance d'être invitée, en 1990, par l'Université Sussex en Angleterre à un séjour d'études de trois mois sur les droits des femmes. Une vraie révélation. Ce séjour a complètement transformé mon regard. Je suis revenue débordante d'idées nouvelles.»

    Mary Mwingira raconte que sa plus grande fierté, c'est d'avoir été élue, à Bilbao en 1992, à la tête du Mouvement international des intellectuelles catholiques. «J'ai battu des candidates italiennes, vous vous rendez compte ? Quand je songe au village de misère d'où je viens dans le fin fond de la campagne tanzanienne, je me demande parfois : est-ce vraiment moi ?»

    Collaboration spéciale

    Monique Durand s'est rendue dans plusieurs pays africains grâce à un programme de l'ACDI destiné aux journalistes.

    * L'Institut de l'Énergie et de l'Environnement de la Francophonie (IEPF) remercie Madame Monique Durand et le journal Le Devoir d'avoir bien voulu contribuer à l'animation du portail "Femmes" de Médiaterre en acceptant d'y diffuser 5 articles sur le thème "femmes africaines et environnement" publiés dans Le Devoir du 8 au 13 août 2006 ainsi que 2 articles sur les femmes africaines publiés dans Le Devoir les 9 et 10 août 2005.
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