Lorsqu’un projet de développement affecte une communauté, il est évident que les audiences publiques du Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) doivent se tenir dans les communautés affectées. Cette présence en région témoigne justement de la pertinence du BAPE comme l’un des meilleurs outils de participation démocratique que le Québec s’est donné. Tenir des audiences publiques sur l’immense projet hydroélectrique de la rivière Romaine à Havre-Saint-Pierre est donc éminemment nécessaire.
Mais ne tenir ces audiences publiques qu’à Havre Saint-Pierre n’est pas conforme à l’esprit de participation populaire qui a justement donné naissance au BAPE. Le projet de La Romaine, de 8 milliards de dollars, est un projet d’envergure nationale. Nationale puisque la facture reviendrait aux contribuables québécois. Nationale également parce que les perspectives de rentabilité future de ce projet sont plus qu’incertaines. En effet, à l’heure où l’on paie 200 millions de dollars par année à TransEnergy pour fermer sa centrale de Bécancour, parce que les surplus d’électricité québécoise sont tels qu’ils sont invendables à l’exportation, il est justifié de se demander ce que l’on fera de l’énergie si coûteuse de La Romaine, alors qu’aucun contrat de ventes n’est en vue. De plus, nos voisins américains et potentiels acheteurs comptent bouleverser le contexte énergétique par des programmes d’économie d’énergie et de nouvelle production colossaux.
Et puis, il y a l’estuaire du Saint-Laurent, notre source nationale d’eau. Les impacts environnementaux de la Romaine nous concernent tous. Harnacher l’une des dernières rivières vierges de la Côte-Nord aurait des conséquences québécoises, sinon continentales. Ainsi, l’artificialisation de l’apport d’eau douce dans l’estuaire pourrait modifier grandement l’écosystème marin du Saint-Laurent. De même, la contamination au mercure, résultat de l’inondation des forêts boréales pour créer les quatre réservoirs que deviendra la Romaine, se propagerait bien au-delà des limites de la Côte-Nord.
Dans ce contexte, la demande de la Fondation Rivières de tenir des audiences par vidéos-conférences à Montréal et Québec sur ce projet n’est pas futile. Au contraire, cette demande vise à redonner l’esprit démocratique et participatif que doivent sous-tendre les audiences publiques sur tout projet présentant des impacts nationaux. Ce combat, nous le menons au bénéfice de tous les citoyens du Québec qui, de plus en plus, se retrouvent démunis face au BAPE. Trop souvent, en effet, des citoyens nous appellent à l’aide dans ce processus complexe afin qu’on leur explique le dédale des procédures ou, pire encore, afin de savoir où trouver des ressources financières pour participer. Comment de simples citoyens peuvent-ils, à temps perdus et sans argent, puisque le BAPE n’octroie aucune ressource, prendre connaissance et procéder à une contre-expertise des études d’impacts savantes qui ont souvent plus de 1000 pages?
La Fondation Rivières et les autres groupes environnementaux sont la seule ressource d’expertise indépendante de tout promoteur et de tout autre intérêt. Nos organismes ont pour seul souci le bien public, à court comme à long terme. Nous travaillons avec et pour les citoyens. En ce sens, demander au gouvernement de donner les moyens financiers requis au BAPE pour qu’il puisse accomplir sa fonction première de participation publique relève directement de notre mission. L’institution du BAPE est une de nos grandes institutions et nous la respectons. Mais elle doit revenir aux citoyens. Il y va de la possibilité pour tous de faire entendre leurs questions et d’avoir l’assurance, grâce à l’interaction avec le promoteur, d’obtenir des réponses satisfaisantes. C’est la seule manière de participer, ensemble, à construire l’avenir que nous souhaitons. N’est-ce pas là la véritable définition d’une démocratie?
Roy Dupuis, président,Fondation Rivières
22/10/24 à 11h20 GMT