Transmis par les moustiques du genre Aedes, le virus de la dengue affecte cent millions de personnes dans une centaine de pays tropicaux et cause 25 000 décès par an. En l'absence de vaccin, déterminer les facteurs qui influencent les épidémies pour mieux les prévoir est un véritable enjeu de santé publique. Une étude scientifique, menée en Nouvelle-Calédonie, démontre le rôle primordial du climat local dans la dynamique des épidémies. Des chercheurs de l'IRD et leurs confrères néo-calédoniens(1) ont analysé les données épidémiologiques et climatologiques recensées depuis quarante ans à Nouméa. Ils ont ainsi mis en évidence la corrélation entre des conditions climatiques précises et l'apparition de flambées de dengue.
Ces travaux ont permis d'élaborer des modèles statistiques explicatifs et prédictifs des épisodes viraux. Alors que les autorités de santé publique calédoniennes ont déjà intégré ces outils dans leurs stratégies d'aide à la décision, une approche similaire dans d'autres pays du Pacifique Sud se développe, avec un nouveau programme régional collaboratif.
Véhiculée principalement par le moustique Aedes aegypti, la dengue est présente dans une centaine de pays de la zone intertropicale. Elle y affecte cent millions de personnes, provoquant des symptômes plus ou moins sévères tels que fièvre, douleurs musculaires, maux de tête, troubles digestifs, voire des hémorragies qui causent 25 000 décès par an dans le monde. Il n'existe à ce jour aucun vaccin ni traitement spécifique.
La région Pacifique Sud est régulièrement le siège d'épidémies de dengue, dont la fréquence et l'amplitude tendent à augmenter. En Nouvelle-Calédonie, la dernière s'est produite en 2009 avec 8 400 personnes atteintes. C'est le deuxième territoire français d'outre-mer le plus touché. Comme pour les autres maladies vectorielles, la survenue ou non de flambées épidémiques est la conséquence d'interactions complexes entre hommes, virus et moustiques vecteurs, influencées par des facteurs environnementaux et climatiques. Ces relations demeurent jusque-là mal connues.
A Nouméa, un système de surveillance fiable des cas de dengue existe depuis quarante ans. Parallèlement, des mesures météorologiques journalières ont été assurées depuis les années 1950. Des chercheurs de l'IRD et leurs partenaires(1) ont comparé ces données météorologiques et épidémiologiques mensuelles, trimestrielles et annuelles sur 40 ans. L'existence de ces séries longues leur a permis de construire un modèle statistique qui démontre le rôle primordial du climat local dans la dynamique des épidémies à Nouméa. Les scientifiques ont également identifié avec précision les conditions météorologiques déterminantes dans la survenue d'épidémies.
De l'explication...
Afin d'analyser les 40 années de données, les médecins, entomologistes, climatologues, mathématiciens et prévisionnistes ont d'abord étudié la variabilité saisonnière de la maladie, en différenciant années épidémiques et non épidémiques. Toutes les flambées ont une répartition comparable, avec un début en janvier, un pic entre mars et mai, et une fin en juillet.
Dans un deuxième temps, les chercheurs ont analysé la variabilité d'apparition d'épidémies de dengue d'une année sur l'autre. Pour cela un modèle " explicatif " a été développé à cet effet. Il a fait ressortir, pour la première fois, que l'occurrence ou non des épidémies dans le grand Nouméa s'explique par deux variables de température et d'humidité relative. Depuis 40 ans, le même scénario s'opère. Si la température dépasse 32°C pendant plus de 12 jours en janvier, février et mars (soit durant l'été austral) et que l'humidité de l'air dépasse 95 % pendant moins de 12 jours en janvier, une vague de dengue se produit. Et vice versa : lorsque des températures estivales plus fraîches se conjuguent avec un temps plus humide, une épidémie survient dans la quasi-totalité des cas.
... à la prévision.
Toujours grâce à ces données sur la durée, un second modèle " prédictif " a été élaboré pour anticiper d'une année sur l'autre les épidémies. Il est cette fois basé sur les valeurs maximales des températures et d'humidité relative des mois d'octobre à décembre de l'année précédente. Ces résultats sont cruciaux. Grâce au dispositif développé, les autorités de santé publique peuvent anticiper les commandes de répulsifs anti-moustiques et d'insecticides, organiser la lutte vectorielle, optimiser les systèmes de soins, etc.
El Niño et dengue : aucun lien direct
Des variables climatiques de plus grande échelle de type El Niño / La Niña influencent le climat local. Ce phénomène se manifeste tous les 3 à 7 ans. Contrairement aux suppositions, l'étude n'a pas mis en évidence de lien statistique entre les épidémies et La Niña en Nouvelle-Calédonie. Ces résultats suggèrent que les influences de ce type de variables climatiques sur les flambées de dengue dépendent de spécificités géographiques complexes.
D'un point de vue opérationnel, le programme AeDenPAC(2), dirigé par l'Institut Pasteur de Nouvelle Calédonie et impliquant de nombreux chercheurs de l'IRD et autres partenaires(3), est en cours. Il a pour objectif de développer des modèles similaires et d'étendre la recherche sur le plan entomologique dans le Pacifique Sud, en particulier en Polynésie Française et aux Fidji. Cette expansion alimentera petit à petit les connaissances de l'impact du réchauffement climatique sur la dynamique des épidémies de dengue dans le Pacifique.
Rédaction : Dic, Magali Boussion
(1) Ces travaux ont été réalisés en partenariat avec Aix-Marseille Université, le Centre Hospitalier de Nouméa, l'Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie, Météo France de Nouvelle-Calédonie, la Direction des Affaires Sanitaires et Sociales (DASS) et le Secrétariat du Pacifique Sud (CPS).
(2) Modélisation climat / moustique / épidémie
(3) Institut Pasteur NC, IRD, Institut Louis Malardé, Secrétariat du Pacifique Sud, ministère de la Santé Fidji et Tonga, Centre Hospitalier NC, Otago University-NZ.
Pour en savoir plus
Contacts :
Christophe MENKES, chercheur à l'IRD
Tél. : (687) 26 10 00
Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques Locean (UMR IRD / CNRS / MNHN / Université Pierre et Marie Curie Paris 6)
Morgan MANGEAS, chercheur à l'IRD
Tél. : (687) 26 08 32
UMR Espace-Dev (IRD / universités Montpellier 2, de La Réunion, des Antilles et de la Guyane)
Adresse
IRD Nouméa
BP A5
98848 Nouméa cedex
Nouvelle-Calédonie
Elodie DESCLOUX, médecin-chercheur au Centre hospitalier territorial de Nouvelle Calédonie
Tél. : 687 25 67 32
UMR Emergence des pathologies virales EPV (IRD / Aix-Marseille Université)
Références :
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