Depuis trente ans, les initiatives se multiplient pour associer recherche agronomique et développement durable. Quels rapports établir entre agriculture et changement climatique ? Comment repenser les liens entre agriculture et biodiversité, entre agriculture et gestion de l'eau ? Quelles solutions trouver aux pollutions agricoles ?
Le Cahier de l'ANR "Émergence de l'Agroécologie" revient sur dix ans de projets de recherches financés par l'ANR dans le domaine de l'agriculture et des écosystèmes. Ces projets relevaient des programmes "ADD - Agriculture et Développement Durable" (2005-2006), "SYSTERRA - Écosystèmes, territoires, ressources vivantes et agricultures" (2003-2010) et "AGROPBIOSPHÈRE - Viabilité et Adaptation des Écosystèmes productifs, territoires et ressources face aux changements globaux" (2011-2013).
Ils sont à l'origine de la naissance d'une agroécologie française construite dans l'interdisciplinarité et la collaboration, aussi bien internationale qu'institutionnelle.
Au cours des trois dernières décennies, deux grands courants ont marqué, tant scientifiquement que médiatiquement, la recherche agronomique mondiale.
L’un est lié à l’essor de la biologie moléculaire, dont les outils – connaissance du génome grâce à des techniques de séquençage et de génotypage de plus en plus performantes, connaissance du transcriptome, du métabolome et du protéome – sont devenus accessibles à la grande majorité des espèces d’intérêt agronomique.
Initialement focalisées sur la transgénèse, conçue comme une alternative à l’amélioration génétique “conventionnelle”, ces approches se sont peu à peu insérées dans la panoplie de tous les généticiens, à travers des méthodes comme la sélection assistée par marqueurs, puis la sélection génomique.
Dans le même temps, la perception des impacts négatifs des formes les plus intensives d’agriculture a fait que les questions environnementales, et plus généralement du développement durable, ont pris de plus en plus de place dans les préoccupations des chercheurs. Les grandes organisations de recherche agronomique ont consacré des moyens croissants à ce domaine, justifiés par les sommets de la Terre (et du “Développement durable”) de Rio de Janeiro et de Johannesburg. Les grandes thématiques de l’environnement mondial se sont alors traduites en programmes : le changement climatique et l’agriculture, la biodiversité et l’agriculture, la gestion de l’eau, la déforestation, les pollutions agricoles… En 1995, le Consortium des instituts internationaux de recherche agronomique (CGIAR) et le CIRAD identifiaient comme très important le retour de la “question malthusienne” : la capacité de la biosphère et des techniques de production agricoles suffiront-elles à alimenter la population mondiale à son maximum, attendu à l’époque en 2050 ?
En 2002, l’INRA confiait à Olivier Godard et Bernard Hubert la rédaction d’un rapport d’analyse et de propositions sur la recherche agronomique et le développement durable, rapport qui contenait plusieurs propositions sur les thématiques et les démarches de recherche ainsi que sur ses modes d’évaluation. Parmi celles-ci, figurait la conception d’un programme de recherche structurant qui visait l’ensemble des communautés scientifiques concernées, au-delà du seul établissement INRA. La construction de ce programme a reposé, tout au long de l’année 2004, sur une réflexion collective et une élaboration participative dirigées par deux chercheurs de l’INRA, Jean Boiffin et Bernard Hubert, qui ont organisé une série de séminaires à forte participation (ACTA, ADAR, ADEME, CEMAGREF, CIRAD, Chambres d’Agriculture…), des ateliers de réflexion thématiques et une analyse des programmes et projets passés et en cours. Il en a résulté un appel d’offres de recherche initialement cofinancé par l’INRA, le CIRAD, le CEMAGREF (devenu IRSTEA) et l’ADEME.
L’ANR, créée en 2005, a immédiatement apporté son concours au cofinancement initial, avant de le prendre en charge par la suite. Le programme ainsi constitué s’est intitulé “Agriculture et Développement Durable”(ADD).Dès 2005, ce programme a marqué le paysage par son parti pris d’établir une nouvelle aspiration générale pour la recherche agronomique, comme en témoignent les questions posées aux chercheurs dans les appels à projets : comment comprendre et prendre en compte les interactions entre processus écologiques, techniques, économiques et sociaux ? Comment articuler, voire mettre en synergie, les savoirs scientifiques et les savoirs profanes (notamment traditionnels) concernant ces interactions ? Comment développer une compréhension des enjeux et une appréhension des phénomènes qui articulent le court et le long terme ? Comment prendre en compte les discontinuités entre échelles territoriales et articuler les représentations construites à ces différentes échelles, du local au planétaire ?
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