Bien que la faible densité de population du bassin arctique ne produise que peu de déchets sur place, cette nouvelle étude montre que les mers du Groenland et de Barents (la partie nord de l'Atlantique Nord) accumulent de grandes quantités de débris plastiques, apportés par les courants océaniques. Dans cette région du monde, les répercussions écologiques potentielles de l'exposition aux débris plastiques sont amplifiées par le caractère unique de cet écosystème, encore vierge et reculé.
L'équipe chargée de l'étude, dirigée par le professeur Andrès Cózar de l'Université de Cadix en Espagne, est composée de 12 institutions de 8 pays : la Fondation Tara Expéditions (France), l'université des sciences et technologies du roi Abdallah (Arabie saoudite), le CNRS (France), l'Imperial College de Londres (Royaume-Uni), le Lake Basin Action Network (Japon), l'université des îles Baléares, le Conseil supérieur de la recherche scientifique (CSIC, Espagne), l'université de la Sorbonne, l'université d'Aarhus (Danemark), l'université d'Utrecht (Pays-Bas), l'université de Harvard (USA), la Fondation basque pour la science IKERBASQUE (Espagne) et le Centre technologique expert en innovation marine et alimentaire AZTI (Espagne).
L'équipe de recherche d'Andrès Cózar avait précédemment démontré que chacun des cinq gyres océaniques agit comme une immense zone de convergence pour les débris plastiques flottants. Dans une étude plus récente, ils ont montré que les mers semi-fermées à forte densité de population, telles que la Méditerranée, constituent également des zones d'accumulation importante de débris plastiques. L'océan Arctique, éloigné des zones d'habitation, n'était initialement pas candidat à l'accumulation de microplastiques.
Lors de l'expédition TARA OCEANS (2013), la goélette Tara a effectué des prélèvements autour du bassin Arctique, échantillonné du plancton mais également des microplastiques pendant cinq mois et a permis de réaliser une carte mondiale de la pollution plastique flottante. « Les concentrations en plastique dans les eaux arctiques étaient faibles, comme nous nous y attendions, mais nous avons découvert un secteur au nord des mers du Groenland et de Barents présentant des teneurs relativement élevées » commente Andrès Cózar. « Il y a un transport continu de déchets flottants depuis l'Atlantique Nord, et les mers du Groenland et de Barents constituent une impasse pour ces plastiques, convoyés vers le pôle par les courants marins et contraints de rester en surface. »
La quantité de débris plastiques flottants piégés dans les eaux de surface de cette zone est estimée à plusieurs centaines de tonnes. Elle est constituée de près de 300 milliards d'éléments, principalement des fragments de la taille d'un grain de riz. Les quantités sont peut-être plus importantes encore. L'eau de surface n'étant pas la destination finale du plastique flottant, l'étude émet l'hypothèse que des quantités importantes existent sur les fonds océaniques de l'Arctique.
Si une partie des plastiques trouvés dans l'Arctique provient de sources locales, principalement du fait de l'augmentation de l'activité maritime dans cette zone, les charges élevées de plastique dans l'océan Arctique résultent en majeure partie du transport à grande échelle de déchets, provenant des côtes densément peuplées de l'Atlantique Nord, généré par les courants océaniques. Ce transfert de plastique vers les pôles est lié à la circulation méridienne de retournement dans l'Atlantique, un « tapis roulant » connu jusqu'à présent pour redistribuer la chaleur des latitudes les plus chaudes vers les pôles.
Pour déterminer le devenir du plastique dans l'Atlantique Nord, l'équipe a utilisé des données provenant de plus de 17 000 bouées dérivantes flottant à la surface de l'océan et suivies par satellite. « Ce qui est vraiment inquiétant, c'est que nous pouvons suivre ce plastique jusqu'aux abords du Groenland et dans la mer de Barents directement depuis les côtes du nord-ouest de l'Europe, du Royaume-Uni et de la côte est des États-Unis. Ce sont nos déchets plastiques qui finissent là-bas », déclare Erik van Sebille de l'Institut Grantham à l'Imperial College de Londres.
L'humanité utilise du plastique depuis seulement quelques décennies, mais la pollution générée dans les milieux marins est déjà un problème à l'échelle mondiale – preuve indubitable que les hommes ont la capacité d'altérer notre planète. « La mer n'a pas de frontière », souligne Maria-Luiza Pedrotti du CNRS. « Une pollution plastique générée dans un endroit peut souiller d'autres régions isolées et exercer ainsi des effets dévastateurs sur un écosystème vierge tel que l'Arctique. Cette zone forme un cul-de-sac, une impasse où les courants laissent les débris à la surface. Nous assistons peut-être à la formation d'une autre poubelle de la planète, sans comprendre totalement les risques encourus pour la faune et la flore locales ».
« Les résultats de cette étude soulignent l'importance de minimiser et de mieux gérer les déchets plastiques dès leur source par les industriels, dans les foyers, par les collectivités et les États car une fois que ceux-ci atteignent l'océan, leur destination et leurs impacts deviennent incontrôlables », dit Romain Troublé, directeur de la Fondation Tara Expéditions.
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