Alors que la lutte contre la pollution plastique est devenue un enjeu majeur pour la biodiversité mondiale et la santé humaine, nombreuses sont encore les entreprises de différents secteurs économiques qui ne jouent pas vraiment le jeu. Petit tour d’horizon non-exhaustif de ces mauvais élèves qui naviguent à contre-courant de la prise de conscience écologique.
Formidable « plasticité », forte résistance par rapport à son poids, inertie biologique, prix peu élevé… Grâce à ses multiples qualités, le plastique est devenu incontournable dans notre économie depuis les années 50. La production mondiale a encore doublé entre 2000 et 2019, pour atteindre 460 millions de tonnes, selon l’OCDE. Dans le même temps, la production de déchets plastiques a logiquement plus que doublé également, à 353 millions de tonnes… et pourrait encore tripler d’ici 2060 si la tendance n’est pas inversée.
Les impacts négatifs sur l’environnement de ce matériau sont bien documentés : dégradation des systèmes naturels liée aux fuites d’emballages plastiques, en particulier dans les océans, et émissions de gaz à effet de serre lors de la production et de l’incinération des déchets. Selon l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement, les plastiques représentent « au moins 85 % du total des déchets marins ». Il y aurait même 24,4 milliards de milliards de particules de microplastiques en suspension dans les mers du globe, selon une étude publiée dans Nature.
Il y a donc urgence à agir, et en premier lieu à réduire drastiquement l’utilisation de plastiques à usage unique. C’est l’un des principaux objectifs des nouvelles réglementations européennes et de la « loi anti-gaspillage pour une économie circulaire » (Agec) en France. Plusieurs produits en plastique à usage unique ont déjà été interdits (assiettes, pailles, gobelets, couverts, cotons-tiges, etc.), ainsi que la vaisselle jetable dans la restauration rapide. Pour aller plus loin, la loi prévoit la fin de la mise sur le marché des emballages en plastique à usage unique d’ici 2040.
Pourtant, malgré l’urgence, l’utilisation du plastique a continué à se généraliser, en particulier durant la pandémie de Covid-19. Une étude sino-américaine évalue ainsi à 8,4 millions de tonnes les déchets plastiques supplémentaires engendrés par la lutte contre le virus. Masques, surblouses, bouteilles de gel hydroalcoolique, autotests… Le médical est responsable aux trois quarts de cette inflation plastique... Mais l’usage des emballages a également augmenté du fait de l’explosion des achats en ligne et des livraisons de nourriture durant le confinement. La plupart des fabricants d’emballages pour l’agroalimentaire ont ainsi connu une nette hausse d’activité.
Les géants de l’agroalimentaire dans le collimateur
Au-delà de cette période particulière, force est de constater également que l’engagement des grandes entreprises en faveur d’une réduction du recours au plastique reste souvent lettre morte. Selon une enquête menée par la plateforme européenne de datajournalisme (EDJnet), deux tiers des promesses des géants de l’agroalimentaire restent sans lendemain : 68 % des 98 engagements sur le sujet, pris au cours des dernières années par 24 entreprises européennes, n’ont pas été honorés. De plus, moins de 20 % de ces engagements permettraient de réduire effectivement la quantité de plastique utilisé. En matière de greenwashing, l’exemple du brasseur belge Anheuser-Busch InBev (Budweiser, Corona) est particulièrement édifiant : en 2017, il avait promis de « protéger 100 îles de la pollution plastique en milieu marin d’ici à 2020 »… En réalité, il s’est contenté d’organiser 214 nettoyages ponctuels de plages dans treize pays.
Une étude de l’université de Duke, aux Etats-Unis, publiée dans la revue scientifique One Earth montre également que si 72 % des 300 plus grandes entreprises au niveau mondial se sont engagées à réduire la pollution plastique, peu d’entre elles donnent la priorité à la réduction de l’utilisation de plastique. A l’instar de Danone, la principale réponse des industriels se limite souvent au recyclage, qui reste pourtant un levier marginal dans la mesure où seuls 9 % des déchets plastiques sont aujourd’hui recyclés à l’échelle planétaire.
Les géants de l’agroalimentaire ne peuvent pas fuir leurs responsabilités, car ce sont bien leurs emballages que l’on retrouve d’abord dans les milieux naturels. La coalition internationale Break Free from Plastic demande ainsi régulièrement à des milliers de bénévoles de récolter des déchets plastiques partout dans le monde et d’identifier à quelles marques sont liés ces déchets. Invariablement, Coca-Cola arrive en tête, suivi par PepsiCo, Nestlé, Danone...
Les mauvais élèves de la grande distribution
Les bonnets d’âne de la lutte contre la pollution plastique se recrutent également dans la grande distribution. Après avoir passé au crible en 2022 plus de 250 produits alimentaires, vendus dans neuf enseignes, l’association de défense des consommateurs CLCV déplore ainsi le suremballage alimentaire « superflu » qui subsiste dans les rayons. Paquets contenant plus d’air que d’aliments, films plastiques entourant des boîtes de thé ou des confiseries, compotes et autres pizzas... Les aberrations ne manquent pas.
De nombreux acteurs de la grande distribution cherchent des moyens de contourner la réglementation. Ils augmentent par exemple le grammage de plastique pour que la vaisselle casse moins et ne soit ainsi plus considérée comme « jetable » mais « réutilisable ». Pendant plusieurs mois, Carrefour, Franprix ou Leader Price ont ainsi vendu ces objets en plastique qui n’avaient de réutilisable que le nom, parfois par packs de 100. Ce n’est qu’à la suite de l’intervention de l’association Zero Waste que ces couverts ont été retirés de la vente. On a même vu en Autriche et au Royaume-Uni des bananes pré-épluchées vendues dans une grosse boîte en plastique.
Certains acteurs de la restauration rapide ont aussi des efforts à faire dans la lutte contre la pollution plastique. En février 2023, une dizaine d’enseignes, en France, n’avaient pas encore présenté leur plan d’action sur la mise en place de la vaisselle réutilisable, pourtant obligatoire depuis le 1er janvier 2023, et sont menacés de sanctions par le gouvernement.
Le géant du e-commerce Amazon est aussi un géant de la pollution plastique. Selon un rapport publié par l’ONG Oceana, les activités de la firme de Jeff Bezos auraient généré plus de 320.000 tonnes de matières plastiques en 2021, un chiffre en hausse de 18 % en un an, et de 52 % en deux ans. Ces déchets plastiques proviennent principalement des emballages, nécessaires au transport des 7.7 millions de colis livrés chaque année par la multinationale américaine. Des déchets particulièrement polluants, notamment en raison de la facilité avec laquelle ils se propagent dans les milieux naturels, en particulier aquatiques.
Sans surprise, l’agroalimentaire et la grande distribution sont des sources importantes de pollution plastique malgré les discours positifs des industriels désireux de donner des gages face à l’urgence climatique. Les mots ne parviennent toutefois pas à cacher les maux et deviennent même toxiques quand certains présentent le plastique comme une solution écologique appelée à se généraliser.
Impression fiduciaire : quand le plastique contamine un secteur traditionnellement épargné
Ce cas surprenant se rencontre dans le monde de l’impression fiduciaire. Pendant des siècles, les billets de banque ont été fabriqués en papier (un mélange de coton et de lin), mais en 1988, l’Australie a été le premier pays au monde à introduire des billet en polymère. Un terme peu compris du grand public et désormais employé par une vingtaine de banques centrales pour pudiquement parler de billets de banque en plastique. Du Canada au Royaume-Uni en passant par le Mexique, le « polymère » se répand petit à petit grâce à des atouts largement mis en avant par ses défenseurs : durée de vie plus longue et recyclage. Des avantages par rapport au billet en papier qui n’ont pas été démontrés empiriquement.
En effet, afin de faire accepter un billet de banque dans un matériau très peu écologique, les banques centrales qui y ont recours expliquent que la durée de vie est supérieure avec pour conséquence un impact carbone plus faible in fine. Un argument remis en cause récemment avec 50 millions de billets de 5 et 10 livres sterling ont dû être remplacés entre 2016 et 2020 en raison d’une usure bien plus avancée qu’escompté. Une double mauvaise nouvelle, car selon les recherches de l’organisme de crédit britannique Moneyboat, les billets en plastique sont trois fois plus nocifs pour l’environnement que les billets en papier. Si l’on considère le nombre moyen de billets de banque utilisés par un adulte chaque année, les billets de dix livres en plastique libèrent en effet 8,77 kg de dioxyde de carbone contre 2,92 kg pour les versions classiques en papier de coton.
Le choix du plastique – très partiellement assumé derrière le terme polymère – est donc un non-sens écologique qui n’a pas sa place aujourd’hui. Cela est d’autant plus vrai que « le coton des billets est dérivé des résidus issus du peignage du coton, un sous-produit de l'industrie textile [dont] les fibres courtes constituent une matière première idéale de haute qualité ». Entre un matériau naturel et récupéré de l’industrie textile et du plastique issu de l’industrie pétrochimique, le choix devrait être évident.
Si les billets en plastique représentent une goutte d’eau dans l’océan de pollution, cet exemple est symptomatique d’un mal profondément ancré. Plutôt que de changer des comportements et des processus de fabrication nuisibles à la planète, une partie des élites (politiques, économiques et industrielles) préfère utiliser des arguments infondés, mais couverts d’un vernis écologique. Une volonté de s’extraire de la réalité qui va dans les cas les plus extrêmes, rendre des secteurs peu polluants, dépendants au plastique. La trajectoire de nos économies et des entreprises les plus polluantes ne peut devenir positive qu’avec un encadrement légale bien plus ambitieux et une mise en œuvre des promesses affichées. L’avenir de la planète est en jeu et les mots seuls ne sont pas une réponse adéquate.