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Changement climatique et forêts : comment inciter les pays du Sud à réduire la déforestation ?


Payer les pays forestiers pour qu’ils évitent de déboiser : c’est une proposition qui s'inscrit dans le cadre des débats de la Convention climat, et a fait l'objet d'une discussion lors d’un atelier international sur les politiques forestières dans les pays du Sud organisé à Paris, par le Cirad et ses partenaires, du 21 au 23 novembre 2007.
Le point de vue d’Alain Karsenty, économiste au Cirad

Quelle solution pour réduire la déforestation dans les pays tropicaux ?

Alain Karsenty : L’idée principale, pour l’heure, est de rémunérer les pays en développement qui réduisent la déforestation, soit par rapport à une période passée, soit par rapport à un scénario futur du type « les affaires comme d’habitude ». On retrouve aujourd’hui ce principe derrière le mécanisme de « déforestation évitée ». A l’issue d’une période d’engagement qui pourrait être de cinq ans, de 2013 à 2017 par exemple, la déforestation évitée, une fois mesurée, permettrait de faire le bilan, en termes de solde positif ou négatif, d’émissions de CO2. Ce mécanisme pourrait constituer un élément décisif pour un régime international et une gouvernance mondiale des forêts. Il sera au centre de l’atelier sur les politiques forestières organisé par le Cirad et ses partenaires - l’Iddri, le Cifor, le GIP Ecofor - fin novembre, et également discuté lors de la prochaine Conférence des parties sur le changement climatique qui se tiendra en décembre à Bali.

Pourquoi envisager une gouvernance mondiale des forêts ?

A. K. : Il y a de plus en plus d’institutions et d’accords internationaux qui concernent les forêts. Presque tous les pays sont signataires des mêmes conventions et les législations forestières tendent à se ressembler. On constate donc une homogénéisation des discours nationaux et internationaux. C’est ce que le Cirad montre au travers d’un projet de recherche en cours d’achèvement dans le cadre d’une action concertée incitative*. L’ensemble de ces éléments est-il susceptible de créer un régime international des forêts assurant leur gestion durable et leur conservation ? Pas encore, visiblement, si l’on considère que 13 à 15 millions d’hectares sont déboisés chaque année et que moins de 10 % des forêts tropicales sont aménagées. La déforestation tropicale représente 20 à 25 % des émissions de carbone et le rôle de puits de carbone des forêts tropicales est essentiel pour absorber une grande partie du CO2 atmosphérique.

Comment mesurer la réduction de la déforestation ?

A. K. : C’est tout le problème. Il est en effet bien délicat de se fonder sur un scenario de référence, qu’il soit passé ou futur car les trajectoires de déforestation ne sont pas constantes dans le temps. Dans certains pays comme la Malaisie ou l’Indonésie, la déforestation a été très élevée ces dernières décennies et il reste bien moins de massifs à convertir qu’avant. D’autres pays, tels que ceux du Bassin du Congo font état d’un relativement faible déboisement en raison non pas d’une bonne gouvernance mais de la faiblesse des infrastructures et de l’attractivité de la région pour les investissements agricoles. Enfin, des phénomènes aléatoires tels que des conflits, le cours des grandes commodités agricoles ou les variations climatiques limitent fortement les capacités de prévision. Faut-il alors récompenser les gouvernements pour des phénomènes dont ils ne sont pas à l’origine ?
Il peut également être envisagé de négocier un objectif quantifié à atteindre pour chaque pays. Dans ce cas, si les objectifs sont prévus pays par pays, l’attitude la plus rationnelle pour un pays sera d’obtenir un objectif très favorable, c'est-à-dire un scénario de déforestation élevée, puis… de ne rien faire. Il est en effet coûteux, politiquement, de s’attaquer aux causes structurelles de la déforestation (modèle de développement, système foncier, corruption…) pour d’éventuels bénéfices versés en 2018. En revanche, si l’on a bien négocié on peut néanmoins espérer être gagnant…

Qu’en est-il de la rémunération des efforts entrepris ?

A. K. : La première idée est de faire entrer les pays forestiers dans le marché du carbone. Cependant, le risque de devoir rémunérer en crédits carbone des réductions qui seraient survenues en l’absence de tout mécanisme incitatif - le problème de non additionnalité - conduirait à un afflux massif de crédits sur le marché du carbone, et exercerait ainsi une pression à la baisse sur le prix des « permis d’émission » (du CO2). Cela aurait pour conséquence d’affaiblir l’efficacité, déjà toute relative, du protocole de Kyoto pour induire des changements profonds dans les modes de production et de consommation.

Faut-il donc créer un marché indépendant de celui du carbone ?

A. K. : C’est, notamment, la proposition du Brésil qui demande que les crédits issus du mécanisme de « déforestation évitée » ne soient pas échangeables avec les crédits carbone issus du protocole de Kyoto. Celle d’un « fonds mondial pour les forêts » envisagée par différents acteurs dont plusieurs ONGs, notamment françaises, repose sur l’utilisation d’argent et non de crédits carbone. Ce système serait donc également découplé du marché du carbone. La Banque mondiale propose, quant à elle, un fonds prototype dont un des guichets doit financer des politiques et des mesures concrètes de lutte contre la déforestation. On s’éloignerait ainsi de la logique de la rémunération inconditionnelle des gouvernements, pour avancer vers un système de financement de nouvelles politiques publiques et de rémunération d’acteurs de terrain à travers l’utilisation de « paiements pour services environnementaux ». Il reste à trouver le moyen d’abonder suffisamment et durablement de tels fonds, mais c’est un problème récurrent du financement du développement durable, qu’il faudra bien surmonter par des mécanismes fiscaux à l’échelle internationale. Cependant, ces deux propositions n’éviteront pas le risque de devoir payer pour des réductions fictives.

Dans un système indépendant du marché du carbone, qui serait rémunéré et pour quoi ?

A. K. : Payer les gouvernements pour l’application des lois est efficace mais peut engendrer de graves effets pervers tel que le chantage étatique : « payez sinon je laisse détruire les forêts », dont on voit les prémices ces derniers temps en lisant la presse internationale. Le fonds devrait plutôt permettre de financer des mesures structurelles dans le domaine de l’agriculture et de la foresterie. Trois domaines sont prioritaires. Dans le domaine du foncier, il est nécessaire que des droits de propriété soient reconnus pour les populations usagères. Dans celui de l’agriculture paysanne, on doit aider les populations locales à modifier leurs systèmes agricoles plutôt que de les payer à être les « jardiniers conservateurs » de la forêt. Enfin, dans le secteur forestier, où le problème de l’exploitation illégale est central, les lois doivent être appliquées.

Appliquer les lois suppose inévitablement, dans ces pays, de combattre la corruption. Comment agir selon vous ?

A. K. : Une des causes de la corruption est la faiblesse des salaires des agents de contrôle. Augmenter le salaire des agents est une condition nécessaire mais pas suffisante. Une solution pour contrecarrer le système corruptif serait d’insérer des systèmes de contrôle indépendants qui travailleraient avec les services forestiers, comme c’est déjà la cas au Cameroun et au Congo-Brazzaville avec des ONGs spécialisées. On pourrait également introduire des mécanismes de management privé dans le système public tels qu’un corps spécial de contrôle des forêts. Le montant du revenu des agents serait lié aux résultats obtenus, avec le risque, pour les agents qui constitueraient ce corps, de redescendre dans le régime commun administratif en cas de mauvaise performances et a fortiori de corruption.


* Le projet de recherche « Régimes internationaux et transformations des politiques publiques affectant les forêts tropicales » porte sur les difficultés de la constitution d’un régime international des forêts au regard des politiques forestières nationales conduites dans les trois grands bassins forestiers du monde. Il est mené dans le cadre de l’Action concertée incitative (ACI) « Sociétés et cultures dans le développement durable » du Ministère de la recherche.


Contacts scientifiques
Alain Karsenty, alain.karsenty[at]cirad.fr
Unité de recherche Ressources forestières et politiques publiques

Source : CIRAD - Communiqué du 16/11/2007
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