Le Centre d'Analyse Stratégique a publié le 19 octobre 2009 le rapport "Sortie de crise : vers l'émergence de nouveaux modèles de croissance ?" réalisé sous la présidence de Daniel Cohen, Professeur d'économie à l'École normale supérieure, à Paris 1 et à l'École d'économie de Paris, Directeur du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP).
Les principaux messages de ce rapport, qui a été remis par Daniel Cohen à Nathalie Kosciusko-Morizet, sont les suivants:
1 - Trois crises en une.
On ne peut réduire la crise à sa dernière manifestation, celle du surendettement des ménages américains. La crise est multiple car elle concentre les conséquences de trois crises : - celle de 2000 qui interroge la rémunération des facteurs et la soutenabilité de l'innovation ; - la crise des matières premières et de l'environnement ; - la crise de surendettement des ménages / faillites bancaires surtout aux États-Unis.
Si on élargit la crise à ses deux premiers volets (innovation, ressources rares), se pose la question d'une inflexion durable ou d'une reprise du rythme de croissance potentielle.
2 - La crise peut paradoxalement freiner le phénomène de destruction créatrice mais elle diffère plus qu'elle n'interrompt la vague d'innovations.
La crise actuelle n'a pas été précédée d'une période d'euphorie comme c'est le cas dans les scénarios de forte innovation. Contrairement aux idées reçues, les crises peuvent figer les modèles de production : - importance des coûts fixes d'un changement de modèle productif ; - mortalité des nouveaux entrants. Si la R&D exerce traditionnellement un rôle stabilisateur sur l'activité, le resserrement du crédit risque, dans le contexte actuel, de faire reculer les dépenses d'innovation, de favoriser les entreprises établies au détriment des nouveaux entrants et d'entraver in fine le redéploiement vers les nouveaux secteurs (d'où l'importance du Crédit d'Impôt Recherche et du soutien au financement des PME).
Néanmoins, l'idée d'un ralentissement durable de la croissance par essoufflement technologique ne parait pas recevable. Certains domaines issus de l'hybridation des champs scientifiques (nanotechnologie, biotechnologie, informatique, sciences cognitives) sont très riches de promesses, tandis que leurs applications servicielles se développent (environnement, santé, éducation...).
3 - Les nouvelles interfaces industrie-services constituent un gisement potentiel de croissance.
Le renouvellement des moteurs de croissance pourrait dès lors résider dans une nouvelle articulation entre les services et les biens répondant à la satisfaction d'un besoin fonctionnel plus vaste que le produit lui-même. La valeur ne réside plus dans la production matérielle mais dans la capacité à répondre à un besoin. La protection des données et l'équilibre concurrentiel doivent rester une préoccupation des pouvoirs publics.
4 - Le déclassement accéléré d'une économie industrielle polluante et sa réinvention lente.
L'émergence des nouveaux modèles sera longue et la transition vers une économie soutenable avait déjà débuté, en Europe tout au moins, avant la crise : - les secteurs de l'automobile et de la construction ont été les épicentres de la crise ; - la construction sera soutenue sur le long terme par de nouvelles exigences d'aménagement urbain durable qui intégreront notamment les changements sociodémographiques renouvelant les formes d'habitat des personnes âgées comme des populations étudiantes ou des ménages ; - des évolutions technologiques (voiture intelligente, motorisation hybride ou électrique, domotique, économie d'énergie, etc.) sont susceptibles de renouveler ces secteurs mais sur une période assez longue du fait de la contrainte de prix des innovations, dans leur phase d'émergence, et des taux de renouvellement des équipements. L'intervention des pouvoirs publics (Grenelle 1 et Grenelle 2, plan de relance, normalisation technique, formation professionnelle, ...) est nécessaire pour accélérer ces mutations.
5 - De nouveaux biens et services qui ne sont pas encore à la portée de tous : une crise du pouvoir d'achat plus que de l'hyperconsommation.
L'idée selon laquelle les nouveaux arbitrages des consommateurs viseraient à corriger les abus d'une " hyperconsommation " passée et seraient durablement défavorables à la croissance doit être relativisée. On assiste moins à une crise de l'hyperconsommation qu'à une mutation de la consommation et à des redéploiements du pouvoir d'achat.
6 - La dernière décennie a fait ressortir de profonds problèmes de solvabilisation de la demande de nouveaux produits qui ont deux sources principales.
Le développement de la consommation des nouveaux produits et services peut être entravé par la difficulté de financer celle des biens premiers (notamment logement, transport) et par l'augmentation des dépenses contraintes.
7 - Le modèle d'ajustement dual de l'emploi et d'incitation au travail en question.
Les mécanismes à l'œuvre aujourd'hui valident et amplifient l'idée d'une " dualisation " du marché du travail. Les comportements de rétention des compétences observés durant la crise peuvent aussi être l'expression d'une certaine inertie d'adaptation des secteurs matures. Les pouvoirs publics doivent continuer à faciliter les transitions professionnelles entre secteurs. L'introduction massive des rémunérations variables liées à la performance s'est révélée un mécanisme de flexibilité pour les entreprises. Mais les travaux en économie des ressources humaines (" Personnel economics ") précisent les cas, les secteurs ou les entreprises, dans lesquels les gains escomptés des indicateurs (une plus grande motivation des salariés) sont annulés par les inconvénients. Des études récentes remettent en cause l'efficacité de la motivation des individus par leur niveau de salaire et témoignent d'une transformation de la valeur travail. L'actionnariat salarié, de même que les entreprises coopératives, peuvent fournir un mode plus équilibré de participation des salariés à la vie et aux profits de l'entreprise.
8 - Repenser l’ancrage territorial des activités et des hommes.
Le mouvement d’externalisation par délocalisation ou externalisation pour motif de rationalisation des coûts s’est intensifié au cours des dernières années. La recherche d’une répartition optimale des activités du point de vue des coûts de transaction et de la stabilité de l’emploi confère un rôle clé aux politiques procompétitives (R & D, financement des PME, infrastructures...) et aux stratégies territoriales.
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