Du haut de ses 86 ans, le constat de l'agriculteur franco-manitobain à la retraite résidant aujourd'hui à Saint-Pierre-Jolys, Léonard Robidoux, est sans appel. "J'ai travaillé jours et nuits pour garder la terre, mais ça n'a pas suffi pour motiver mes fils", déplore-t-il.
Au-delà de sa propre ferme de céréales, porcs et vaches à lait qui ne sera pas reprise par ses enfants, c'est la fin des fermes familiales francophones dans leur ensemble que Léonard Robidoux voit venir depuis déjà plus de dix ans. "En 1994, j'avais déjà fait un recensement dans six municipalités rurales où résidaient des Canadiens français, se souvient-il. Du côté de Saint-Pierre-Jolys, 48 % des fermes étaient perdues comparé à la génération précédente. C'était le pire constat, et ce n'est pas mieux maintenant.
"On n'a pas su valoriser la terre dans nos paroisses, poursuit-il, donc
les jeunes s'en vont chercher autre chose ailleurs et personne ne fait
rien dans la communauté pour changer ça. Nos parents doivent crier
vengeance de voir qu'on n'a pas réussi à garder ce qu'ils avaient mis
tant d'efforts à accomplir pour nous. Je me sens coupable au nom de
toute la communauté."
Industrie difficile
L'instabilité du secteur agricole est en grande partie responsable. Pour
sa part, le fermier franco-manitobain de Saint-Norbert et Oak Bluff,
Marcel Gousseau, a même demandé à ses fils de ne pas reprendre la ferme
familiale.
"Mon père a dit à mes deux frères et moi qu'il n'y avait pas d'avenir à
la ferme, se souvient Michael Gousseau. Quand j'ai suivi quelques cours
d'agriculture en 2001 et que j'ai aimé ça, il m'a dissuadé de
continuer. Ça a influencé mon choix de carrière dans la médecine au lieu
de l'agriculture, même si ça m'attriste de voir cet héritage familial
disparaître."
Selon Léonard Robidoux, le point faible de la communauté agricole franco-manitobaine a surtout été de ne pas assez travailler ensemble. "On est trop occupés à faire marcher nos petites affaires pour s'occuper du grand problème et se mettre ensemble contre la menace, analyse-t-il. Nous sommes trop individualistes. Il faudrait qu'on soit plus liés. On l'était au début, et c'est pour cela qu'on avait du succès."
Mais ce qui inquiète Léonard Robidoux, c'est non seulement la perte des
terres agricoles francophones, mais aussi, par conséquent, la perte de
l'identité francophone elle-même dans son village. "Le nombre de jeunes francophones diminue car ils s'en vont, tandis que
le nombre de Mennonites, qui sont anglophones, augmente car ils
reprennent les terres, indique-t-il. En perdant la terre, c'est aussi
notre langue qu'on perd."
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