Le Livre vert sur la nouvelle politique agricole et alimentaire du Québec, qui devrait être rendu public au cours du mois de décembre, est le résultat de 10 ans de réflexions, de débats, de consultations et de négociations sur les dérives de l'agriculture au Québec et dans le monde.
Ce Livre vert, mis au point par le défunt ministre Claude Béchard, est censé définir la nouvelle politique agricole du Québec suite aux recommandations du rapport de la Commission Pronovost sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois publié en janvier 2008. Le ministre Laurent Lessard, qui cumule la responsabilité de l'agriculture et des affaires municipales, a laissé entendre qu'il risque de heurter de plein fouet les syndicats agricoles, c'est-à-dire le puissant et unique syndicat agricole accrédité au Québec, l'Union des producteurs agricoles (UPA).
Pour comprendre l'importance des enjeux en cause, il est
nécessaire de rappeler les principaux événements qui ont conduit
l'agriculture chez nous et un peu partout dans le monde à la crise
actuelle.
La conquête des marchés
La signature de l'ALENA en 1992 et l'avènement du libre-échange ont forcé notre agriculture à un virage majeur vers l'agriculture industrielle. Depuis les années 50, la modernisation de notre agriculture s'était donnée comme premier objectif l'augmentation de notre taux d'autosuffisance alimentaire : "Nourrir le Québec". À partir du Sommet de Trois-Rivières en 1992, l'UPA, l'État et l'industrie agroalimentaire vont tenter d'affronter la concurrence mondiale sur les marchés intérieurs et extérieurs : l'objectif sera désormais la conquête des marchés.
Pour se qualifier dans cette arène, l'agriculture québécoise, jusque là encore largement familiale et diversifiée, a dû se mettre rapidement à l'heure de l'agriculture productiviste : spécialisation et concentration des fermes et des usines de transformation, développement des cultures et des élevages intensifs comportant des pratiques plus lourdes pour l'environnement (engrais chimiques, pesticides, OGM, lisiers, drainage, monocultures de maïs, élevages hors sol, etc.), avènement du système d'intégration, développement de l'industrie porcine comme fer de lance de nos exportations (8 millions de porcs dont près de 70 % pour l'exportation), introduction du droit de produire avec immunité et limitation des pouvoirs des municipalités, avènement des producteurs de porcs et de maïs à la direction de l'UPA. Le Sommet des décideurs en agriculture, à Saint-Hyacinthe en 1998, a consacré cette volonté de "voir grand" (Lucien Bouchard).
Remise en question du modèle productiviste
Ce modèle productiviste n'allait pas tarder à être remis en question au Québec comme un peu partout dans le monde.
Chez les citoyens des campagnes d'abord, dérangés par l'invasion des porcheries industrielles qui bouleversent le modèle traditionnel des fermes laitières et suscitent la colère et l'inquiétude en raison de l'impact des épandages de lisiers sur l'air, l'eau et l'environnement en général. Pendant quelques années, l'UPA et l'industrie réussiront à imposer aux ministères de l'Agriculture et de l'Environnement la priorité du droit de produire industriellement moyennant le respect de distances séparatrices qui atténuent sans les supprimer les dommages sur l'environnement et la santé. Mais au début des années 2000, la pression devient plus forte. La demande pour les produits biologiques, les produits locaux et les produits du terroir ne cesse d'augmenter. La conscience écologique se généralise. La création de l'Union paysanne permet à l'opposition citoyenne de s'organiser. Puis ce seront coup sur coup le BAPE sur l'eau, le moratoire et le BAPE sur l'industrie porcine, la création des organismes de bassins versants, le gel de l'expansion de la production agricole dans les zones en surplus de phosphore, pour aboutir en juin 2006 à la création, par le ministre Yvon Vallières, de la Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois, présidée par Jean Pronovost.
Entre temps, l'enthousiasme des producteurs pour la conquête des marchés avait pris passablement de plomb dans l'aile. L'arrivée massive des produits bon marché en provenance des pays émergents ou plus performants, ajoutée aux pertes causées par le climat et les épidémies, dans le porc notamment, avait entraîné une chute dramatique des prix et des revenus. À tel point que les prestations versées par l'Assurance Stabilisation du Revenu Agricole (ASRA) sont devenues pour la plupart des producteurs la seule planche de salut, à l'exception des producteurs de lait, de volailles et d'oeufs protégés par la gestion de l'offre mais étouffés par le prix des quotas. La protection illimitée de l'ASRA, réservée aux grandes productions commerciales, est calculée sur la base des volumes produits et de coûts de production non régionalisés généralement surévalués par les producteurs et les intégrateurs, en plus d'être gérée par la Financière agricole, elle-même contrôlée par l'UPA. Inévitablement, l'ASRA est vite devenue un gouffre financier dont le déficit des dernières années a atteint près d'un milliard et demi. Quant aux petits producteurs non admissibles à l'ASRA, notamment les producteurs biologiques, particulièrement en région, ils ont été abandonnés à leur sort. Le nombre de fermes ne cesse de diminuer, le nombre d'élevages et de cultures spécialisées qui passent sous intégration ne cesse d'augmenter, la relève est devenue impossible dans la plupart des cas. L'impasse est totale.
Le constat de la Commission Pronovost est incontournable : le statu quo n'est plus une solution. Un virage s'impose.
Une analyse signée Roméo Bouchard, accessible dans sa totalité en cliquant sur le lien ci-dessous.
Mots-clés : Livre vert, agriculture, politique agricole, Commission Pronovost, Union des producteurs agricoles (UPA), Québec (province de).
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