Depuis des années, on sait que les réservoirs créés par la construction des ouvrages hydroélectriques contribuent aux émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais dans quelle mesure? Deux chercheurs de l'UQAM, Yves Prairie etPaul Del Giorgio, ont contribué à une vaste étude, la plus exhaustive à ce jour,rassemblant toutes les données disponibles sur 85 réservoirs hydro électriques répartis à travers le monde. Leurs résultats, publiés en juillet dernier dans la version électronique de la prestigieuse revue scientifique Nature Geoscience, permettent de revoir à la baisse les émissions globales estimées lors d'études précédentes.
"Avec des collègues brésiliens et suédois, nous avons colligé toutes les données sur lesquelles nous avons pu mettre la main", affirme Paul Del Giorgio, professeur au Département des sciences biologiques et titulaire de la Chaire Hydro-Québec de biogéochimie du carbone des écosystèmes aquatiques boréaux. Selon leurs résultats, les réservoirs hydroélectriques émettraient 48 millions de tonnes métriques de carbone sous forme de dioxyde de carbone et 3 millions sous forme de méthane, ce qui correspondrait à 4 % de toutes les émissions de carbone provenant des eaux intérieures.
"Cela est moins important que ce qui avait précédemment été estimé, mais pas six fois moins, comme cela a été rapporté par certains médias", précise Yves Prairie, directeur du Département de sciences biologiques. L'estimation globale précédente de 321 millions de tonnes métriques de carbone mentionnée par les chercheurs dans Nature Geoscience concernait en effet l'ensemble des réservoirs artificiels de la planète, et non seulement les réservoirs hydroélectriques.
L'étude a également permis de confirmer que les émissions de GES varient en fonction de l'âge et de la latitude des réservoirs. Plus les réservoirs sont jeunes, plus ils émettent de GES, et c'est sous les tropiques, particulièrement dans la région amazonienne, que leurs émissions sont les plus élevées.
"Plus il fait chaud, plus la décomposition est rapide et plus il y a de consommation d'oxygène. Or, quand la couche profonde d'un réservoir est dépourvue d'oxygène, il y a une augmentation de production du méthane, un gaz à effet de serre 23 fois plus nocif que le dioxyde de carbone", note Yves Prairie. En comparaison, les réservoirs situés dans la forêt boréale, comme ceux d'Hydro-Québec, émettent très peu de méthane.
Une première mondialeLes deux chercheurs s'apprêtent à publier les résultats d'une autre étude qu'ils mènent depuis 2004 dans la région de la rivière Eastmain, où Hydro-Québec vient de construire un nouveau barrage. "Cette étude constitue une première mondiale, déclare Paul Del Giorgio. Car pour la première fois, nous mesurons non pas les flux bruts de carbone engendrés par un réservoir, mais les flux nets." Contrairement aux données recensées dans l'article publié par Nature Geoscience, les résultats de cette nouvelle étude tiennent compte, en effet, du bilan de carbone de la région avant qu'elle ne soit inondée. "Si l'on veut parler de l'effet net d'un réservoir, il faut absolument calculer ce que le paysage, avec ses forêts, ses rivières et ses tourbières représentait comme puits de carbone avant la construction du barrage", précisent les deux chercheurs.
Pour la première fois, des scientifiques ont donc été invités, avant le démarrage des travaux, à prendre des mesures. Michelle Garneau, professeure au Département de géographie et titulaire de la Chaire sur la dynamique des écosystèmes tourbeux et changements climatiques, ainsi que des chercheurs de McGill ont participé à la collecte de données. "Auparavant, ce type de données ne pouvait qu'être estimé rétrospectivement, de façon très imprécise", note Paul Del Giorgio, qui s'est occupé, avec Yves Prairie, d'évaluer le bilan de carbone de tout le système aquatique de la région, avec ses lacs et ses rivières.
"Avant l'inondation de la zone, la forêt et les tourbières constituaient un puits net de carbone alors que le réseau aquatique représentait une source nette, mentionne Yves Prairie. Dans l'ensemble, le bilan de la zone entière était plus ou moins neutre."
Décroissance rapide des émissionsLes chercheurs ont ensuite mesuré les émissions de la zone inondée durant les cinq premières années après la création du réservoir. Une autre équipe de l'UQAM procède en ce moment à la modélisation de ces données pour établir des prévisions sur les émissions à long terme. "Cette étude confirme que les émissions d'un réservoir sont très importantes tout de suite après l'inondation et qu'elles décroissent ensuite de façon très rapide pendant les quatre premières années, dit Yves Prairie. Nous pensons qu'un nouvel équilibre, qui ne sera pas neutre, sera atteint au bout d'une dizaine d'années."
Le bilan d'un réservoir hydroélectrique ne sera jamais de zéro, soulignent les chercheurs. Mais la recherche permet de mieux comprendre les facteurs qui influent sur le bilan de carbone de ces ouvrages, que ce soit leur localisation géographique ou leur forme, par exemple. "Un réservoir plus profond se réchauffera moins, donc les émissions de méthane y seront moins importantes", explique Yves Prairie.
Pendant longtemps, la question des GES n'a pas été prise en compte lors de la planification des barrages hydroélectriques, rappellent les deux chercheurs. On s'inquiétait des impacts sur les populations, sur la faune et la flore, pas des conséquences sur le climat. La situation a commencé à changer, même si, à l'échelle planétaire, les données demeurent parcellaires.
Paul Del Giorgio et Yves Prairie soulignent que le Québec est l'un des endroits au monde où il existe le plus de données sur les émissions de gaz à effet de serre des réservoirs hydroélectriques. En effet, Hydro-Québec a commencé il y a 20 ans à collecter ce type de données. "À l'étranger, Hydro fait figure de modèle en ce domaine", précise Paul Del Giorgio.
article écrit par Marie-Claude Bourdon, pour le Journal l'UQAM.
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