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Vienne, 20 ans après des avancées au Moyen-Orient et en Afrique du Nord mais les droits restent relatifs et perdent du terrain


Par Susan Tolmay pour AWID

Dans cette entrevue, réalisée dans le cadre de sa commémoration du vingtième anniversaire de la Conférence mondiale sur les droits humains tenue en 1993 à Vienne, l'AWID a abordé avec Mahnaz Afkhami, Directrice du Women's Learning Partnership, quelques-uns des progrès et défis des droits des femmes et de l'organisation des droits des femmes dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) au cours des vingt dernières années.

AWID : Quels sont, à votre avis, les progrès accomplis au cours des vingt dernières années dans la réalisation des droits humains universels pour les femmes ? Quelles sont certaines des avancées favorables aux femmes enregistrées dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) au cours des vingt dernières années ?

Mahnaz Afkhami (MA) : L'une des principales réalisations de la Conférence mondiale sur les droits humains (Conférence de Vienne) a été la reconnaissance formelle, à l'échelon mondial, du fait que les droits des femmes sont des droits humains, et que les droits humains universels sont au-dessus de toute valeur culturelle qui pourrait aller à l'encontre de ces droits.

Lorsqu'elles sont fructueuses, des réunions mondiales comme la Conférence de Vienne conduisent à un changement de paradigme qui ouvre la voie à d'autres actions. La Conférence de Vienne a permis la création du Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l'homme, et ensuite du poste du/de la Rapporteur-euse des Nations Unies sur la violence à l'égard des femmes. La Conférence a contribué à recentrer la mission des Nations Unies sur le caractère fondamental des droits humains. La Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes adoptée par l'Assemblée générale, deux ans après la Conférence de Vienne, est devenue un modèle et une incitation pour l'adoption de lois pertinentes de la part des parlements nationaux. Le soutien apporté par la Conférence aux organisations nationales indépendantes des droits humains explique que celles-ci soient passées de 35 à 100.

La réalisation majeure de la Conférence a été le consensus sur l'applicabilité universelle des droits humains. Les institutions et les instruments issus de la Conférence de Vienne ont permis aux femmes de se doter d'outils solides à l'échelle nationale et internationale pour mobiliser, organiser et promouvoir leurs droits, même si beaucoup reste à faire pour garantir et sécuriser les droits humains des femmes.

Dans la région MENA, des idées mondiales comme l'universalité des droits humains ont énormément contribué à la prise de conscience des femmes, en particulier pour comprendre que les droits sont parties intégrantes de notre définition en tant que femmes et en tant qu'êtres humains. Ces droits sont inhérents à notre humanité et ne dépendent pas de notre appartenance à une religion, une race, une culture ou une nationalité. Cette prise de conscience constitue le fondement sur lequel se construisent la solidarité et les mouvements. Elle est le résultat du travail d'activistes courageuses qui sont confrontées à d'énormes défis, ainsi que de la connectivité croissante entre les populations de ces pays, dont 70% ont moins de trente ans et sont de plus en plus adeptes des technologies modernes de l'information et des communications (TIC) qui leur permettent d'établir des liens avec leurs pairs dans le monde entier.

Le renforcement des mouvements dans la région MENA a permis la réalisation de plusieurs campagnes très réussies qui ont ouvert la voie à de nouvelles possibilités. Un exemple intéressant et réconfortant de cette communauté de concepts et de stratégies au-delà des frontières est le droit de la famille instauré au Maroc. Des décennies de combat ont conduit à l'adoption, en 2004, du code de la famille du Maroc, qui constitue un instrument phare pour les droits des femmes musulmanes.  L'âge du mariage a été relevé et, en cas de divorce, les épouses partagent avec leurs maris les responsabilités et le contrôle de certains biens familiaux comme la propriété. Il pénalise également le harcèlement sexuel. Ces processus de lobby et de plaidoyer ont été documentés, traduits et divulgués à l'échelle internationale. En 2006, les activistes des droits des femmes en Iran ont, à l'aide de stratégies similaires, lancé leur extraordinaire Campagne pour Un Million de Signatures pour la réforme du droit de la famille, un modèle de campagne de porte-à-porte, de travail en réseau social et de communication qui a mobilisé un pourcentage étonnant de 30% de signatures masculines. Ce travail en réseau et de renforcement de mouvements a été l'un des principaux moteurs du Mouvement vert apparu en 2009 en Iran qui, malgré sa dissolution, est une expérience qui a toujours un impact sur le processus de développement de la démocratie dans ce pays.  

Il existe d'autres exemples de réussites dans d'autres pays, dont beaucoup sont liés à la campagne citoyenne dont le fer de lance a été le Liban, qui ont contribué à étendre le plaidoyer en faveur des droits à la nationalité des femmes, dans le cadre des droits et des responsabilités du citoyen à titre individuel, qu'il soit homme ou femme, vis-à-vis de l'État. Ceci constitue un bon cadre de référence pour le débat sur les droits, notamment pour mettre l'accent sur le rôle des femmes dans les mouvements de conquête de la démocratie et sur l'importance de leur partenariat avec les hommes pour parvenir à l'égalité et le respect des droits de tout-e un-e chacun-e.

AWID : Malgré l'adoption de la Déclaration et du Programme d'action de Vienne (VDPA), ainsi que de beaucoup d'autres déclarations, conventions et instruments, les droits humains des femmes sont encore bafoués, souvent dans la plus totale impunité. Quelles sont les nouvelles violations ou les violations croissantes des droits humains des femmes  dans le monde entier, en particulier en ce qui concerne les droits culturels des femmes de la région MENA ?

MA : Le défi en matière de droits humains des femmes est double. Il porte, d'une part, sur le concept général de la relativité des droits, position idéologique qui a été réfutée à la Conférence de Vienne et à toutes les autres conférences des Nations Unies sur les femmes. La relativité des droits dans la région MENA est prônée par des fondamentalistes qui affirment que certains droits vont à l'encontre de l'Islam et ne sont donc pas applicables dans les pays à majorité musulmane. Cette position est soutenue par certaines féministes occidentales au nom du choix et de la diversité, même si nul n'ignore que, partout dans le monde et au fil des siècles, la position fondamentaliste qui prône cette relativité est contraire à la fois au choix et à la diversité. Selon certain-e-s, il n'existe aucun conflit entre l'Islam et le féminisme qu'une interprétation correcte des textes religieux ne puisse résoudre. Malheureusement, lorsque le concept d'égalité entre les sexes est soumis à l'interprétation de textes religieux, les perdantes sont les femmes. Pour que les femmes musulmanes puissent pratiquer librement leur foi et faire respecter leurs droits, il doit y avoir une séparation entre la religion et la gouvernance, faute de quoi le groupe majoritaire va imposer son style de vie et ses valeurs à tous les autres.

L'autre défi est le regain de conservatisme à l'encontre des femmes à l'échelon mondial, qui menace de nous ramener en arrière. Des femmes activistes ont, par exemple, dû renoncer à l'idée d'organiser une cinquième Conférence mondiale sur les femmes par crainte de conséquences défavorables pour les engagements sur les droits des femmes, contractés par la communauté internationale depuis presque vingt ans, qui pourraient en sortir affaiblis, voire réduits à néant. Ce courant réactionnaire a été particulièrement marqué au cours des dernières années dans la région MENA. Les femmes ont été au premier rang des mouvements qui ont conduit aux transitions enregistrées dans le monde arabe en 2011. Elles ont utilisé leurs capacités de plaidoyer et les médias sociaux pour faire connaître leurs griefs, leurs revendications et leur vision de l'avenir. Elles ont énormément contribué aux manifestations de façon ouverte et visible, et plus encore  dans les coulisses, en apportant des soins d'urgence et une aide aux victimes de la violence et en nettoyant après le passage des foules de manifestants. Une fois la victoire obtenue, ce sont toutefois les islamistes, bien organisés et riches en ressources, qui se sont installés au pouvoir. Tout comme leurs modèles, les Ayatollahs iraniens, leur première mesure a été d'ôter tout pouvoir aux femmes en leur niant les conquêtes si durement acquises. Les quotas ont été annulés et les femmes ont été écartées de la prise de décision de haut niveau. La Charia[i] a été déclarée comme base unique de la législation relative à la condition féminine. Des lois qui étaient le résultat de décennies de combat de la part des femmes, comme le droit des femmes au divorce et l'interdiction de la mutilation génitale féminine, ont été qualifiées de lois à l'occidentale ou " des premières dames ", privant ainsi les femmes activistes, véritables auteures du changement, de leur autodétermination, fierté et pouvoir.

AWID : Quel a été le rôle des mouvements de femmes dans la défense des questions que vous venez de mentionner ?

MA : Les mouvements de femmes ont largement contribué au partage de connaissances et au développement de compétences auprès des jeunes, hommes et femmes, dans la promotion des droits et de la démocratie. En raison de leur situation plus désavantagée en termes de droits et, dans le même temps, des rapports qu'elles ont établis avec des réseaux régionaux et mondiaux, les femmes sont en quelque sorte en avance dans la maîtrise des stratégies de plaidoyer en faveur des droits. Elles ont utilisé des méthodes sophistiquées pour travailler dans les réseaux sociaux qui, grâce à l'expansion des dispositifs mobiles, sont devenues accessibles aux bases. Les femmes de la région MENA perçoivent également les femmes non seulement comme des individus, mais comme des individus vivant au sein d'une famille et d'une communauté. Malgré les conséquences négatives de ces liens et leur interférence exagérée dans leur choix, les femmes sont devenues de plus en plus averties dans l'utilisation de réseaux et de connexions qui ne sont pas exclusivement féminins.

AWID : Face à la conclusion prochaine des OMD en 2015 et aux négociations en cours sur un nouveau programme de développement, quelles sont, à votre avis, certaines des opportunités et menaces en matière de promotion des droits humains des femmes, dans les domaines mentionnés plus haut ?

MA : L'opportunité majeure pour les droits des femmes est que le nouveau programme nous permette d'insister sur le fait que tous les aspects du développement durable dépendent de la participation des femmes et, partant, sur la fixation de priorités et de l'allocation des ressources destinées expressément à la concrétisation de la pleine participation des femmes, sur un pied d'égalité. La menace consiste à cibler une mesure parmi d'autres et de réduire les aspirations des femmes à ce seul domaine. Les domaines prioritaires des OMD étaient l'éducation des filles et la mortalité maternelle, mais,  si importantes soient-elles, ces conquêtes ne peuvent constituer la réponse à un problème qui requiert une approche holistique, transsectorielle et intersectorielle. Quand nous pensons à l'après-2015, nous ne devons pas oublier notre vieux leitmotiv : " tous les problèmes sont des problèmes de femmes ".


[i] La Charia est la base des lois du statut personnel dans la plupart des pays à majorité islamique.

Traduit par : Monique Zachary 

 

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