La ténacité, capacité d'un matériau à résister à la rupture en présence
d'une fissure, est considérée comme le talon d'Achille des céramiques.
Pour pallier leur fragilité intrinsèque, celles-ci sont parfois
combinées à d'autres matériaux plus tenaces, métalliques ou polymères.
L'adjonction de tels matériaux s'accompagne généralement de limitations
plus ou moins sévères. Par exemple, les polymères ne résistent pas à des
températures supérieures à 300°C, ce qui limite leur utilisation dans
les moteurs ou les fours.
Dans la nature, il existe un matériau
proche de la céramique qui est extrêmement tenace : la nacre qui
recouvre la coquille des ormeaux et autres bivalves. La nacre est
composée à 95 % d'un matériau intrinsèquement fragile, le carbonate de
calcium (l'aragonite). Pourtant, sa ténacité est forte. La nacre peut
être vue comme un empilement de briques de petite taille, soudées entre
elles par un mortier composé de protéines. Sa ténacité tient à sa
structure complexe et hiérarchique. La propagation de fissures dans ce
type d'architecture est rendue difficile par le chemin tortueux que
celles-ci doivent parcourir pour se propager. C'est cette structure qui a
inspiré les chercheurs.
Comme ingrédient de base, l'équipe du
Laboratoire de synthèse et fonctionnalisation des céramiques
(CNRS/Saint-Gobain) a pris une poudre céramique courante, l'alumine, qui
se présente sous la forme de plaquettes microscopiques. Pour obtenir la
structure lamellée de la nacre, ils ont mis cette poudre en suspension
dans de l'eau. Cette suspension colloïdale (1) a été refroidie de
manière à obtenir une croissance contrôlée de cristaux de glace. Ceci
conduit à un auto-assemblage de l'alumine sous forme d'un empilement de
plaquettes. Finalement, le matériau final a été obtenu grâce à une étape
de densification à haute température.
Cette nacre artificielle
est dix fois plus tenace qu'une céramique classique composée d'alumine.
Ceci est dû au fait qu'une fissure, pour se propager, doit contourner
une à une les " briques " d'alumine. Ce chemin en zigzag l'empêche de
traverser facilement le volume du matériau.
L'un des avantages
du procédé est qu'il n'est pas exclusif à l'alumine. N'importe quelle
poudre céramique, pour peu qu'elle se présente sous la forme de
plaquettes, peut subir le même processus d'auto-assemblage. De plus,
l'industrialisation de ce procédé ne devrait pas présenter de
difficultés. L'obtention de pièces composées avec ce matériau
bio-inspiré ne devrait pas entraîner de grands surcoûts. Sa forte
ténacité pour une densité équivalente pourrait permettre de fabriquer
des pièces plus petites et légères. Il pourrait devenir un matériau de
choix pour les applications soumises à des contraintes sévères dans des
domaines allant de l'énergie au blindage.