Architecte de formation et cofondatrice du fabricant d’huiles essentielles Aliksir, Lucie Mainguy veut protéger sa serre du gel sans devoir acheter de l’énergie. Ses solutions : récupérer la chaleur produite dans un énorme tas de matière organique en décomposition (lire l’article sur le chauffage au compost dans notre numéro d’hiver 2015) et conditionner l’air frais en le faisant passer dans un puits canadien.
Aussi appelé puits provençal, échangeur de chaleur air-terre ou ventilation géothermique, ce système aurait été baptisé « puits canadien » en 1977 par l’architecte français Claude Michmacher, selon un excellent dossier¹ sur le sujet publié en mai 2012 dans le magazine Inter-mécanique du bâtiment (IMB), de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec (CMMTQ). Il est constitué de longs tuyaux de plastique ou de béton enfouis sous la ligne de gel et raccordés à la prise d’air d’un bâtiment afin de le rafraîchir ou de le préchauffer.
Risques de moisissures?
Mme Mainguy aura plus de détails sur les performances de ses deux systèmes de récupération de chaleur ce printemps. Mais d’ici là, celle qui a déjà installé plus d’un puits canadien tient à souligner que ce dispositif ne favorise pas la croissance de moisissures lorsqu’il est installé et entretenu selon les règles de l’art. Elle ajoute que les craintes de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) à cet effet sont non fondées. « Ce sont des spéculations absolument pas basées sur des données, dit-elle. Les tests que j’ai fait démentent ces affirmations. Les moisissures n’aiment pas les courants d’air, il n’y a pas de problème si l’air est constamment en circulation dans le conduit. »
Au Canada, aucun suivi rigoureux n’a jamais été effectué sur un puits canadien résidentiel et on retrouve peu de données sur la performance des milliers de systèmes installés en Europe, soulignait la SCHL dans un rapport technique² publié en décembre 2011. Ce rapport souligne que « des auteurs demeurent préoccupés par le risque de condensation sur la surface des tuyaux en été lorsque de l’air chaud et humide est aspiré dans les tuyaux en contact avec le sol frais, car cela peut entraîner la croissance de moisissures et de bactéries. Certains adeptes de la norme Passivhaus ont fait état de problèmes de qualité de l’air causé par des installations de ventilation géothermique dans le nord de l’Europe, particulièrement en Scandinavie… »
Comme l’explique le dossier de la CMMTQ, il y a plusieurs moyens de prévenir la croissance des moisissures, notamment : la pente du conduit doit être comprise entre 1 et 3 % pour favoriser l’évacuation des condensats, les tuyaux doivent être lisses car les tubes annelés accumulent l’eau et la poussière, et un regard d’inspection doit être prévu pour nettoyer le système au besoin. L’étanchéité du système est aussi essentielle pour prévenir la pénétration de racines et l’infiltration d’eau et de radon (gaz cancérogène issu du sol) dans le conduit. Le risque de condensation et de contamination de l’air est éliminé en utilisant « un réseau de serpentins transportant une solution de glycol ou de saumure, jumelé à un échangeur d’air ».
Économies d’énergie?
Par ailleurs, selon le rapport de recherche documentaire de la SCHL, « il est fortement déconseillé de laisser fonctionner les installations de ventilation géothermique à longueur d’année ». En effet, des contrôles électroniques sont nécessaires pour stopper le système à certains moments de l’année pour éviter de chauffer la maison plutôt que la rafraîchir durant les nuits d’été (vaut mieux alors puiser directement l’air extérieur) et de la rafraîchir au lieu de la chauffer au printemps (quand l’air extérieur est souvent plus chaud que le sol).
Au chapitre de la rentabilité, la SCHL souligne que le gain thermique en régime de chauffage est minime si le puits canadien est jumelé à un ventilateur récupérateur de chaleur (VRC). Un puits canadien résidentiel type affiche une puissance moyenne de 1,5 kilowatt, avec des pointes de 4 kW. S’il y a des milliers de puits canadiens installée en Europe, c’est surtout pour réduire les besoins de climatisation en été. « Compte tenu des coûts rapportés de l’ordre de 2 000 à 3 000 $ et même beaucoup plus, la période de récupération est souvent longue de 10 à 20 ans et les frais d’excavation doivent être réduits au minimum » car ils représentent la majeure partie des coûts. Par ailleurs, dans les maisons peu étanches à l’air, le puits canadien peut même « fournir un surcoût d’air frais », conclut la SCHL.
Malgré toutes ces ces mises en garde, l’article du magazine IMB est plus encourageant et offre de nombreux détails qui seront très utiles pour quiconque veut installer un puits canadien. Cet article mentionne le produit allemand ECOAIR, fabriqué par Rehau et distribué par le fabricant torontois de coffrages isolants Amvic Building System. Rehau ne le distribue malheureusement plus au pays. « Il n’était pas aussi populaire qu’en Europe », explique Antonio Sacco, gérant des ventes chez Rehau Canada. Bien que les conditions de sol et autres facteurs puissent faire varier les performances d’un système, un puits de 8 po de diamètre et de 40 mètres de long enterré à 2 mètres permet typiquement de faire passer la température de l’air frais à -13,6 degrés Celsius par une journée glaciale de -26,7 oC, selon Rehau.
« Cette performance ne pourrait intéresser personne!, dit Lucie Mainguy. Cela n’est pas du tout comparable aux résultats que j’ai obtenus. Par -20 oC, l’air du tuyau de 4 po entre dans la maison à 9 oC et j’ai eu plus certaines années, entre 12 oC et 15 oC, lorsque la neige a couvert le sol très tôt. À -13,6 oC, c’est nul comme apport, probablement dû à un déplacement beaucoup trop rapide de l’air dans un tuyau trop grand. »
1. Le puits canadien – Une solution économique et verte pour préchauffer ou rafraîchir l’air neuf. IMB – Mai 2012
2. Installations de ventilation géothermique – Possibilités d’application dans le climat canadien – SCHL décembre 2011.
Source: La Maison du 21e siècle
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