La violation du droit à un environnement sain comme menace à la stabilité au Burkina Faso
Pendant longtemps, l’on a eu une approche restrictive des problèmes liés à la paix et à la sécurité en n’y prenant en compte que des questions éminemment politiques. Aujourd’hui, une telle approche ne peut qu’être rejetée si l’on analyse le comportement des organisations internationales et des États dans les actions visant la paix et la sécurité. Sont désormais pris en compte d’autres aspects liés à la santé et à l’environnement. À titre d’exemple, cela s’est ressenti dans les travaux du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine qui s’est plusieurs fois prononcée sur la maladie à virus ébola comme menace à la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique de l’ouest. Aussi faut-il constater cet élargissement au niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a eu à considérer les questions liés au VIH/SIDA et la mauvaise gestion du genre comme des menaces à la paix.
Au Burkina Faso, alors que l’on est dans un processus de transition, il est plus qu’impératif de prévenir les différents facteurs pouvant compromettre la stabilité. À ce titre, un élément important qui ressort d’une analyse de la situation nationale est la question du droit à un environnement sain.
Le droit à un environnement sain a pour objectif d’assurer à l’homme un cadre de vie suffisant pour lui et pour les générations futures. Il a été affirmé à l’article 29 de la Constitution de juin 1991 en ces termes : « le droit à un environnement sain est reconnu ; la protection, la défense et la promotion de l’environnement sont un devoir pour tous ». C’est dans cette dynamique que le Code de l’environnement « vise à protéger les êtres vivants contre les atteintes nuisibles ou incommodantes et les risques qui gênent ou qui mettent en péril leur existence du fait de la dégradation de leur environnement et à améliorer leurs conditions de vie » (article 3). Il est également un droit fondamental comme le précise l’article premier de la Déclaration de Stockholm : « l’homme a un droit fondamental […] a des conditions de vies satisfaisantes, un environnement dont la qualité de vie lui permette de vivre dans la dignité et le bien être ».
Il se trouve donc être un droit de l’homme qui est également lié au droit de l’environnement. L’objectif de la présente contribution est de montrer que la violation de ce droit au Burkina Faso est une menace à la stabilité nationale et que l’État devrait prendre les mesures appropriées. Comme le disait Louis Pettiti, ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme, le respect des droits fondamentaux est une condition à satisfaire pour parvenir à la paix.
Jean Baptiste DUROSELLE nous enseigne que dans tout conflit, il existe deux éléments : une action de l’unité politique et une réaction de la population. Les évènements de fin octobre au Burkina Faso en sont un exemple patent. Partant de cet axiome, on peut distinguer quatre types de déclenchement des conflits : le déclenchement par décision ou déclenchement artificiel, le déclenchement par occasion, le déclenchement par contrecoup et le déclenchement par maturation. Le dernier cas semble correspondre le mieux à notre situation en raison du fait que les questions environnementales donnent rarement naissance à de vives contestations immédiates pouvant déboucher à des conflits, sauf dans des hypothèses de catastrophes naturelles spontanées comme celles de Fukushima, de Probo Koala, etc.
En général, les conflits qui naissent par maturation portent sur les questions liées au développement. En effet, il y a une prise de conscience collective croissante des droits et une négation grandissante de la situation alors existante. On peut citer à titre d’exemple le printemps arabe dans le nord de l’Afrique et même l’insurrection populaire contre le Président COMPAORÉ.
La maturation dont il est ici question porte sur trois facteurs intimement liés : la croissance démographique, les problèmes socio-économiques et le courant idéologique.
Au niveau de la démographie, on a une croissance exponentielle du nombre de personnes victimes de violation du droit à un environnement sain. On compte plus de personnes souffrant de nuisances sonores en raison de la prolifération des bars et des engins à moteurs. Il y a également plus de personnes qui respirent de l’air pollué émanent des véhicules à moteurs et des usines, etc. Vient ensuite l’épineuse question des mines et carrières dont l’impact sur le droit à un environnement a été plusieurs fois dénoncé sans suite importante, créant une pléthore de mécontents. À ceci s’ajoute une situation plus insidieuse qui touche de très nombreuses personnes à savoir l’utilisation des Organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l’agriculture. Le problème est qu’une telle pratique a des conséquences sur la santé et l’environnement, ce qui pourrait à long terme, compromettre l’existence de l’agriculture familiale et créer du même coup un décalage énorme entre les ressources naturelles disponibles et les populations à satisfaire. Il se construit donc de jour en jour un potentiel bloc de résistance vis-à-vis de l’inaction de l’État pour empêcher ces nuisances de façon utile.
Sur le plan socio-économique, la maturation se fait par la contestation de plus en plus grande aux industries extractives surtout. Ces contestations ont un quadruple pendant. Premièrement, les populations sont profondément affectées par les activités extractives qui causent des délocalisations mal organisées en sus d’un dédommagement insuffisant. Deuxièmement, les populations riveraines font face à une inflation exorbitante qu’elle ne supporte que difficilement, justifiant la fuite des écoles, des champs et des pâturages pour un orpaillage clandestin et dangereux. Troisièmement, on note une pollution abondante avec une incertitude sur l’impact à long terme, ce qui met en question la viabilité dans ces espaces une fois les extractions terminées. Enfin, et dans une échelle nationale, il y a une insatisfaction générale quant à l’apport de ces activités extractives au développement du pays qui est infime relativement à la valeur de la matière exportée.
Ces éléments démographiques et socio-économiques viennent enfin donner force à un mouvement émergent prônant un meilleur respect du droit de l’environnement et spécialement du droit à un environnement sain. C’est la clé de voute du processus. Une fois les frustrations créées et entretenues, c’est l’idéologie environnementaliste qui viendra donner force aux revendications pour un meilleur cadre de vie, un environnement sain, moins de pollution, etc. L’ampleur de ces revendications est dépendante du niveau de frustration des populations. On pourrait alors avoir à faire à des mouvements de revendications incontrôlés qui peuvent compromettre la stabilité nationale.
Éviter ce conflit n’est pourtant point hors de porté. Les conflits par maturation sont par définition les plus faciles à prévenir dans la mesure où ils suivent un processus long avant de naître. Il ne faut tout de même pas les banaliser car une fois nés, ils prennent facilement des tendances radicales. Pour ce, l’État doit entreprendre deux catégories de mesures, la première étant sous l’angle des droits de l’homme et la seconde sous l’angle du droit de l’environnement.
Sous l’angle des droits de l’homme, l’État, au nom de ses engagements internationaux doit s’acquitter de trois obligations : respecter, protéger et instaurer le droit à un environnement sain. De façon succincte, respecter signifie que l’État évite d’intervenir ou d’entraver l’exercice du droit à un environnement sain. Protéger signifie qu’il doit cuirasser les individus et les groupes contre les violations dudit droit. Instaurer (ou mettre en œuvre, ou encore donner effet) signifie qu’il doit prendre des mesures positives pour faciliter l’exercice du droit à un environnement sain. Au niveau africain, et dans le cadre de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, on parle plutôt de quatre niveaux d’obligations : respecter, protéger, promouvoir et réaliser le droit à un environnement sain. Ces obligations ont d’ailleurs été rappelées par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples dans sa décision sur la célèbre affaire Ogoni rendue le 27 octobre 2001. Rappelons que cette affaire traitait de la violation du droit à un environnement sain des peuples Ogoni du Nigeria causée l’extraction pétrolière débutée dans les années 1960. Cette situation donna lieu également à des violences en raison de l’inertie du gouvernement face aux exigences des populations.
Sous l’angle du droit de l’environnement, les obligations de l’État sont plus nombreuses et contenues dans divers instruments juridiques. Pour l’essentiel, on peut retenir qu’il doit veiller au respect de la législation en matière de pollution et de nuisances de même que le cahier des charges des industries extractives. À cet effet, la relecture du Code minier et le renforcement des capacités de contrôle et de sanction de l’Etat seront capitales pour un meilleur encadrement des activités extractives. L’ensemble de ces mesures devrait être entreprises avec la participation des populations afin de bénéficier de la légitimité nécessaire.
Enfin, il est bien de savoir que la violation du droit à un environnement sain cause la violation de nombreux autres droits de l’homme, qu’ainsi la promotion d’un environnement sain est d’intérêt général et une obligation pour toutes les personnes physiques et morales et que « toute personne peut porter plainte devant les autorités administratives ou judiciaires compétentes afin de faire cesser les nuisances générées par les activités qui troublent la tranquillité, portent atteinte à la sécurité ou à la salubrité publique » (article 5 du Code de l’environnement).
Il serait désastreux que pour des raisons quelconques l’on soutienne un développement économique d’ailleurs vain en violation du droit à un environnement sain et en méconnaissance des enjeux sécuritaires et de paix.
Jessie Josias OUEDRAOGO
Membre du Cadre d’action des juristes de l’environnement / Burkina Faso (CAJE/BF)
jessiejosias@gmail.com ou cajeburkina@yahoo.fr
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