Par M. Juergen Voegele. Il a été nommé au poste de directeur principal des Pratiques sur l’agriculture le 1er juillet 2014.
Voici une donnée que vous ne connaissiez peut-être pas : l’agriculture et le changement d’affectation des terres représentent aujourd’hui 25 % des émissions de gaz à effet de serre. C’est une statistique importante au regard de deux défis lancinants que la planète doit relever : comment concrétiser les engagements pris à Paris en décembre dernier, après la signature d’un accord historique sur le changement climatique, et comment nourrir une population mondiale qui ne cesse de croître.
Plus d’un milliard de personnes dans le monde sont aujourd’hui sous-alimentées. Pourtant, d’ici à 2050, la production alimentaire mondiale devra augmenter d’au moins 50 % pour nourrir une population estimée à neuf milliards. Il nous faudra tenir cet objectif tout en respectant l’accord de Paris sur le climat qui prévoit de limiter l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de deux degrés Celsius et de tout mettre en œuvre pour tendre vers une hausse de 1,5 ° Celsius par rapport aux niveaux préindustriels.
Sur le continent africain, nous savons que le changement climatique pénalise déjà l’agriculture vivrière. En Afrique de l’Ouest, par exemple, la saison des pluies est plus courte et plus irrégulière, et des phénomènes météorologiques extrêmes (sécheresses ou inondations) nuisent aux récoltes. D’après les prévisions, le changement climatique pourrait à l’avenir réduire encore plus les rendements agricoles, à hauteur de 25 %.
Pour s’adapter au changement climatique, les exploitants agricoles d’Afrique de l’Ouest sont formés aux vertus d’une « agriculture climato-intelligente » : une approche intégrée qui leur permet d’augmenter leur production, d’être plus résilients face au changement climatique et de réduire les gaz à effet de serre induits par l’élevage, les cultures et le changement d’affectation des terres.
Grâce au Programme de productivité agricole en Afrique de l’Ouest (WAAPP) de la Banque mondiale, près de six millions d’agriculteurs, convaincus par cette approche « climato-intelligente », utilisent désormais 160 variétés résistantes au changement climatique et développées dans le cadre du programme, une initiative qui a accru d’au moins 30 % leur productivité.
Grâce au concours de la Banque mondiale, 1,7 million d’exploitations laitières familiales situées dans 18 États indiens s’orientent aujourd’hui vers une alimentation et un fourrage de meilleure qualité pour leur bétail. Le recours à un fourrage vert et des céréales locaux et saisonniers a eu pour effet d’augmenter les rendements laitiers, de réduire les coûts de production et les émissions de méthane de près de 12 %, tout en accroissant le revenu journalier d’environ 25 roupies par vache.
Les producteurs convertis à l’agroforesterie obtiennent des moissons abondantes, qui ne nécessitent pas d’engrais onéreux. En Zambie, par exemple, avec un maïs planté sous le couvert d’acacias Faidherbia, les récoltes sont trois fois plus importantes qu’à l’ordinaire. Au Sénégal, l’absence de précipitations, lors de la saison des plantations, a entraîné un dépérissement des cultures et des rendements médiocres, obligeant les agriculteurs à semer de nouveau, pour tenter de recouvrer leurs pertes. Un programme d’urgence mené dans le cadre du WAAPP accorde des subventions exceptionnelles pour la vente de près de 2 000 tonnes de semences homologuées de maïs, de millet et de sorgo. Les semences améliorées offrent des cycles de culture plus courts, résistent mieux à la sécheresse, ce qui contribue à de meilleurs rendements.
L’Asie n’est pas en reste. Au Viet Nam, 33 000 riziculteurs ayant adopté la méthode d’arrosage et d’assèchement en alternance du riz ont vu leur production augmenter à hauteur de 10 %. Cette technique a l’avantage de diminuer les engrais, ce qui réduit également les émissions de méthane et de protoxyde d’azote issues des rizières.
On en sait désormais plus sur la part de l’agriculture dans les émissions de gaz à effet de serre, qu’il nous incombe de diminuer afin de respecter les objectifs décidés à Paris pour la planète. Lors de la COP 21, 113 pays se sont engagés à réduire les émissions du secteur agricole dans le cadre de contributions décidées à l’échelle nationale (INDC) ou de plans d’action nationaux en faveur du climat.
Si les États, les scientifiques et les agriculteurs du monde entier agissent pour faire advenir un système d’alimentation climato-intelligent et durable, il reste à faire beaucoup.
Pour les pays les plus pauvres au monde, notamment ceux qui reçoivent l’appui de l’Association internationale de développement (IDA), le fonds de la Banque mondiale pour les plus pauvres, l’agriculture climato-intelligente est cruellement vitale : elle permet aux agriculteurs de cultiver plus et de réduire le manque à gagner après récolte, afin d’accroître la production alimentaire dans un contexte de changement climatique.
En Afrique, la plupart des plans nationaux en faveur du climat, les INDC élaborés en vue de la COP21, privilégient l’adaptation. Au Niger, par exemple, l’INDC, qui prévoit une gestion des terres et des forêts durable ainsi qu’une agriculture climato-intelligente, fait également la part belle à la sécurité alimentaire, aux exploitations agricoles et aux communautés pastorales.
Ces priorités figurent également dans le Business plan pour le climat en Afrique, promu par la Banque mondiale et dévoilé à Paris, ainsi que dans son Plan d’action sur le changement climatique, élaboré dans le sillage de la COP21 afin d’aider les pays à tenir les engagements pris à Paris.
La Banque mondiale a agi sans délai. Début 2016, elle a approuvé le Projet d’appui à l’agriculture climato-intelligente au Niger, première opération de notre institution en Afrique spécifiquement conçue pour promouvoir ce type d’agriculture, ainsi que le prévoit le Business plan pour le climat en Afrique. Ce projet bénéficiera à près de 500 000 producteurs et agropasteurs, répartis dans 44 communes. Cette initiative est une avancée majeure. Nous espérons qu’avec le concours financier de l’IDA elle ouvrira la voie à un système alimentaire climato-intelligent au Niger et dans d’autres pays.
La Banque mondiale a également fait de l’agriculture climato-intelligente une composante clé de ses opérations. L’an dernier, 50 % de ses interventions liées au secteur agricole ont tenu les objectifs relatifs à l’agriculture climato-intelligente : hausse de la productivité, promotion de la résilience et diminution de l’empreinte carbone. On a ainsi constaté une diminution de la pollution aquatique par les nitrates et une moindre dégradation de la biodiversité.
Chaque pays aura une approche différente de l’agriculture climato-intelligente et sa mise en œuvre sera d’autant plus délicate en raison de ressources limitées. C’est pourquoi la Banque mondiale a mis au point des outils et des travaux analytiques afin que les pays puissent évaluer leurs opportunités, trouver des compromis, hiérarchiser leurs investissements et identifier les principaux points d’ancrage de leur agriculture climato-intelligente.
La transition vers un système alimentaire climato-intelligent n’est plus l’ambition de quelques-uns. Pourtant, nous nous devons d’être plus ambitieux : notre capacité à nourrir les prochaines générations dépend de notre volonté à tous de devenir climato-intelligent.
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Source : Banque Mondiale
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