Transition énergétique ne signifie pas seulement évolution du mix énergétique. L’urgence climatique implique un changement de modèle énergétique, certes, mais invite également chacun à repenser ses modes de consommation d’énergie.
Evolution des comportements vers plus de sobriété énergétique, développement des technologies numériques et décentralisation de la production énergétique, face à l’urgence de la situation, toutes les pistes doivent être explorées.
Le climat fait grise mine
Les nouvelles du climat ne sont pas bonnes. La concentration en CO2 au-dessus du pôle Sud a récemment passé le cap des 400 parties par million (ppm), seuil jugé critique par les climatologues, au-delà duquel le climat devient hautement instable. Les perturbations saisonnières pourraient donc empirer.
De 28 milliards de tonnes en 2005, les émissions mondiales de CO2 sont censées diminuer de moitié à l’horizon 2050 pour mettre un terme à la tendance actuelle (étude Blue Map de l’Agence internationale de l’énergie). Pourtant, si la production d’énergie se maintient dans sa dynamique actuelle, c’est exactement le contraire qui risque d’advenir : les émissions de CO2 passeraient à 60 milliards de tonnes d’ici 2050.
« Ce que nous sommes en train de vivre n’est pas de l’ordre d’une transition mais d’une révolution industrielle »
Selon Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie, les Etats ne doivent pas être les seuls concernés par la transition énergétique. Citoyens et entreprises ont également un rôle à jouer dans ce changement de paradigme qui nous impose de revoir intégralement nos modes de production comme de consommation d’énergie. Cela est particulièrement valable pour les grands groupes mais concerne également les consommateurs qui disposent désormais d'une grande liberté de choix dans l’offre énergétique proposée (offres d’électricité 100% d’origine renouvelable, produits estampillés « verts » etc.)
Seulement consommateur…
Mais un phénomène s’affirme également, qui constitue peut-être le cœur de la révolution verte : celui d’une disparition de la frontière entre producteur et consommateur. Le développement des énergies peu ou pas émettrices de CO2 comme le solaire, l'éolien et le gaz naturel (énergie fossile certes mais moins polluante que le pétrole ou le charbon) entraine une diversification des sources de production d'énergie. Conséquence directe, la multiplication des petites unités de production (panneaux solaires, éoliennes, puits géothermiques, etc.) à la fois être installés dans le cadre des projets étatiques mais également par des particuliers soucieux de prendre en charge une partie de leur consommation et capables de réinjecter l’énergie produite en cas d’excédent.
C’est là l’un des bouleversements majeurs induit par la transition énergétique : à la fois producteur d’énergie et à même d’alimenter les réseaux collectifs, le consommateur tend à s’imposer comme un acteur à part entière du marché de l’énergie.
… ou tous consom’acteurs ?
La réalité que sous-tend ce néologisme est enthousiasmante. Passée aux mains des usagers des réseaux, la production énergétique pourrait être gérée par des coopératives énergétiques ou des unions locales de particuliers producteurs d’énergie, comme c’est déjà en partie le cas en Allemagne et au Danemark, où pas moins de 80% des éoliennes du pays sont détenues par des particuliers. La France est plus timide dans ce domaine. Portées par le local, les initiatives doivent venir de mouvements citoyens sur le modèle de la « Journée du Consom’acteur » organisée conjointement par la Ville de Nancy et l’Agence Locale de l’Energie et du Climat le 12 novembre dernier. Présentant la notion de consom’acteur, cette journée proposait une initiation aux modèles énergétiques émergents.
Vers une décentralisation des modes de production énergétiques ?
En marche, ce mouvement de décentralisation demeure néanmoins un processus au long cours. Selon Isabelle Kocher, à l’horizon 2050, 50% de l’énergie proviendra de grandes unités alimentant des territoires entiers tandis que les autres 50% seront produits par de petites unités de production décentralisées, productrices d’énergie consommée localement.
Dans ce contexte, le rôle des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) est déterminant. L’une des caractéristiques principale des sources d’énergie renouvelable étant l’intermittence, la mise au point d’outils de gestion optimisée de cette multiplication des foyers de production est cruciale afin de préserver l’équilibre des réseaux.
Aussi, au cœur de cette évolution des mœurs, le numérique et en particuliers les réseaux intelligents ont toute leur place, en cela qu’ils ont vocation à permettre d’imaginer des infrastructures proches de la consommation, sobres et décarbonées. Cette proximité se matérialise déjà via le développement des microgrids, réseaux électriques de petite taille conçus pour fournir un approvisionnement électrique fiable et à un petit nombre de consommateurs. Pouvant être raccordés directement au réseau de distribution ou fonctionner en autosuffisance, ils agrègent de multiples installations de production locales (panneaux photovoltaïques, mini-éoliennes, mini-turbines etc.), des installations de consommation, de stockage et des outils de gestion de la demande. Proches du consommateur, les microgrids offrent une meilleure efficacité énergétique grâce à une production directement ajustée au besoin de l’unité alimentée.
Linky : un précurseur ?
Précurseur de ce mouvement de déploiement des NTIC au sein du réseau énergétique français, Linky, compteur électrique communicant conçu et déployé sur tout le territoire par Enedis, remplacera 90% des anciens compteurs dans 35 millions de foyers en France d’ici 2021.
Présenté comme un véritable outil de rationalisation de la consommation des ménages, Linky devrait permettre un suivi précis et instantané de la consommation de et par les usagers. Au-delà de ce suivi qui devrait engendrer un phénomène de conscientisation face à sa propre consommation énergétique, Linky devrait également permettre d’établir des profils de consommation qui serviraient de socle au projet de décentralisation de la production électrique. En effet, l’analyse des données anonymes des ménages permettrait, à terme, de mieux équilibrer le mix énergétique français selon les régions et les conditions climatiques, et donc d’accélérer la transition vers des énergies renouvelables.
Jean Peletier