Bénévole à la Maison des Femmes de Saint-Denis, j’ai découvert en quelques semaines un monde dont je ne soupçonnais pas la violence.
Lundi 2 janvier, 7 h30.
A mesure que les stations de métro de la ligne 7 défilent, je me demande ce que je fais là. J’aurais pu être à la plage, à la montagne ou bien dans mon lit à dormir quelques heures de plus. Après tout, j’avais un mois de vacances.
Les violences faites aux femmes, ça me connaît. Enfin, je connais plutôt. Une femme violée toutes les sept minutes. 220 000 femmes victimes de violences conjugales. Une femme tuée tous les trois jours par son compagnon. Je vous assure, je connais tout ça sur le bout des doigts. Je finis tout juste un stage de six mois dans le cabinet de la Ministre des Droits des Femmes auprès de la conseillère chargée des violences faites aux femmes. Les chiffres-clés, c’est important. C’est le seul moyen de faire comprendre aux autres, de les faire réagir. Et puis, c’est joli dans un discours. Ça donne un ton dramatique. Ça fait taire les gens.
Le tramway arrive. Je n’ai jamais pris le tramway, c’est drôle. Les gens se bousculent. Les odeurs fétides du matin se mélangent aux eaux de parfum vidées. Saint-Denis se réveille. En fait, je ne suis plus bien sûre que ce soit très drôle. Alice, mais qu’est-ce-que tu fais là ? Je veux lutter contre les violences faites aux femmes. J’ai beaucoup appris pendant six mois. J’ai compté le nombre de viols déclarés et le nombre de plaintes déposées, j’ai compté le nombre de victimes recensées et le nombre d’agresseurs condamnés. Je n’ai pas oublié de compter les victimes de mutilations sexuelles féminines ou de mariages forcés ; je n’ai pas oublié les personnes prostituées. Je n’ai pas oublié les enfants, je n’ai pas oublié les mères, je n’ai pas oublié les belles sœurs, les cousines, les camarades de classe. J’ai compté et on a cherché des solutions. Plus de places d’hébergement d’urgence, plus de professionnel-le-s formé-e-s, des dépôts de plainte facilités.
Alors oui, une femme est violée toutes les sept minutes. Mais la parole se libère. Elle se libère pour dénoncer les violences dont sont victimes les femmes chaque jour, au travail, à l’école, dans les transports en commun, dans leur couple. « Je n’accepte plus les choses que je ne peux pas changer. Je change les choses que je ne peux pas accepter. » (1) J’ai 22 ans et je suis (peut-être naïvement) déterminée à changer le monde, à ma manière au moins. C’est pour ça que je suis là. Je n’ai pas peur. Je n’ai pas peur parce que je sais ce qui m’attend. Je l’ai lu dans les livres. "Mais la vraie vie, ce ne sont pas les livres ma petite."
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