Par Denise Proulx – La ministre de l’Environnement, Isabelle Melançon, aura beau afficher un optimisme débridé quant à l’atteinte de l’objectif de diminuer de 20% d’ici 2020 sous le seuil de 1990 les émissions de gaz à effet de serre du Québec, plusieurs chercheurs du climat n’en croient rien.
Telle une bonne vendeuse d’espoir, elle laisse derrière ces bons mots des réalités qui en choquent plusieurs. Et ce que Québec ne finance pas s’ajoute aux coupures dramatiques pratiquées par le gouvernement de Stephen Harper, lesquelles n’ont connu aucune correction par le gouvernement Trudeau.
« Malgré les discours, Trudeau a continué à mettre la hache dans les programmes fédéraux de recherche sur la science du climat. À cela se sont ajoutées les quatre années de coupures de Québec qui n’a, malgré ses discours positifs, ni stratégie, ni financement pour la relève, ni budget pour les chercheurs et professionnels qui s’intéressent aux sciences du climat. Ils ne comprennent pas le besoin de maintenir, voire de développer la formation continue pour comprendre l’interdépendance des différents facteurs de risques climatiques pouvant engendrer des désastres», s’indignait il y a quelques semaines, le chercheur Philippe Gachon, titulaire de la Chaire de recherche sur les risques hydrométéorologiques liés aux changements climatiques de l’UQÀM et professeur au département de géographie.
Il est avec René Laprise et Jean-Pierre Blanchet notamment, l’un des membres actifs du centre ESCER (Étude et Simulation du Climat à l’Échelle Régionale), de réputation mondiale, qui mène depuis 25 ans, des études sur la modélisation régionale et les changements du climat.
Les outils développés par la dizaine de chercheurs du centre ESCER font référence au Canada et étaient fermement soutenus par des collaborations avec Environnement Canada. Les Américains étaient impressionnés par l’avancée canadienne sur les enjeux climatiques.
Relève famélique
Depuis presque dix ans maintenant, les choses stagnent.
L’absence de programmes de financement, tant au fédéral qu’au provincial pour la relève étudiante, inquiète grandement. Les programmes de financements fédéraux pour participer à des projets de collaboration internationale ont tous été coupés.
Le centre ESCER avait autrefois les moyens de payer des bourses d’études supérieures à des étudiants étrangers (incluant les frais majorés) ou québécois. Aujourd’hui, le centre est exclu du Fonds Vert (pas de financements dédiés aux sciences du climat), ne peut pas appliquer sur des fonds dédiés aux universités autrement que pour des projets ponctuels (le plus souvent sur des horizons à court terme de 2 ans). Ce qui affaiblit inévitablement son expertise et sa capacité de postuler à des appels de proposition internationaux.
« Actuellement, le fédéral tue les collaborations internationales et le Québec n’investit pas, ou très peu. Avec les coupures récurrentes en éducation[1] qui ont imposé des réductions de 300 millions de $ à l’UQÀM pour la seule année de 2018, on s’en va vers un écroulement de la recherche sur les questions climatiques », poursuit le chercheur.
De chercheurs admirés et leaders mondiaux en études en sciences climatiques et en modélisation, l’expertise québécoise est en train de glisser vers le peloton de queue.
« C’est tout le milieu de la recherche qui est en péril s’il n’y a pas de réinvestissement massif au provincial et au fédéral », analyse Philippe Gachon.
Le défi Ouranos
Ouranos n’a-t-elle pas obtenu 6,9 M$ pour mener des recherches sur les inondations et le lien avec les changements climatiques ? À cette question, le chercheur se montre dubitatif.
« Pour nous, cela ne signifie pas un investissement pour le centre ESCER, alors que nous développons le modèle régional que l’on livre gratuitement à Ouranos pour ces analyses d’impacts. Pour affronter le problème des inondations et réduire les risques de désastres associés, cela nécessite des outils de modélisation à haute résolution et un investissement en recherche afin de mieux les anticiper dans l’avenir», dit le professeur de géographie.
Il déplore que le Québec ne mette tous ses œufs dans le même panier, et que la recherche universitaire soit systématiquement le parent pauvre des investissements annoncés dans le domaine du climat.
« Ce manque de vision sur la nécessité d’un support à la recherche en amont pour régler les problèmes environnementaux majeurs, et à la formation de la relève au sein des institutions académiques et des experts dont les organisations publiques et privées ont grandement besoin, est systémique au Québec et au Canada », poursuit-il.
Cri d’alarme
Ce que Philippe Gachon dénonce, plus de 250 chercheurs du monde entier sont venus l’appuyer en janvier 2018[2] lors d’une lettre adressée au premier ministre du Canada.
Auparavant, sept lettres avaient été envoyées depuis deux ans et demi à différents leaders politiques à Québec et Ottawa par le centre ESCER pour prévenir du démantèlement imminent de la recherche et de la formation en sciences du climat, alors que l’UQAM est la seule université au Canada à offrir un programme francophone en sciences de l’atmosphère. Les ministres de l’Environnement du Québec et du Canada, de la Science et technologie, de l’Enseignement supérieur n’ont pas daigné répondre à ce cri d’alarme.
Depuis, le dernier budget fédéral de février réservait des millions de dollars pour la recherche fondamentale. Mais rien n’indique que le programme de recherche sur les changements climatiques (Climate Change and Atmospheric Research[3]), non renouvelé en juin 2017, pourra reprendre du service.
« On ne peut pas évaluer les risques climatiques et s’y préparer si on ne fait pas de recherches et si on ne donne pas de formation aux experts de demain dont la société a grandement besoin. Il faut investir dans la relève », rappelle Philippe Gachon.
[1] Le mode de financement dans les universités québécoises, Automne-Hiver 2017-2018 : http://fneeq.qc.ca/wp-content/uploads/Finan-univ-2017-11-30.pdf
[2] Article dans The Guardian : https://www.theguardian.com/world/2018/jan/22/canada-climate-science-faces-looming-crisis
[3] http://www.nserc-crsng.gc.ca/Professors-Professeurs/Grants-Subs/CCAR-RCCA_eng.asp
Au sujet de l’auteur : Madame Proulx est journaliste indépendante et chargée de cours à l’UQAM, Elle est co-fondatrice de GaïaPresse.
Crédit Photo: Ivars Krutainis sur Unsplash
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