Intensifier la recherche sur l’impact des substances chimiques sur l’environnement et la santé est aujourd’hui nécessaire et urgent : ce point fait l’unanimité. Mais par quoi commencer ? Un article récemment publié dans la revue Environmental Toxicology and Chemistry propose des réponses à ces interrogations pour guider les politiques de recherche et de réglementation en Europe.
Les objectifs de santé, de prospérité et de protection de la planète du Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies sont entrés en vigueur en 2016. Dans le cadre l’élaboration de ce programme, l’Agence Européenne de l’Environnement a désigné l’impact sur l’environnement et la santé humaine des substances chimiques comme une problématique majeure, malgré la diminution des pollutions industrielles. En effet, les effets de contaminants de plus en plus nombreux et variés dans un environnement également soumis à des facteurs de stress naturels ou liés aux activités humaines (changement climatique, dégradation des habitats naturels…) restent mal connus. Comme il est impossible de s’attaquer en même temps à toutes les questions de recherche que cette situation impose, il faut les prioriser : c’est l’objectif de l’étude prospective pour l’Europe initiée par la SETAC (Society of Environmental Toxicology and Chemistry) publiée en juin 2018.
Une construction collective pour un agenda stratégiqueLes coordinateurs de l’étude ont sollicité dès 2014 plus de 2000 membres de la SETAC pour identifier les questions de recherche en écotoxicologie les plus urgentes et utiles à traiter en se basant sur des critères précis : elles doivent combler d’importantes lacunes de connaissances, pouvoir être mises en œuvre selon un calendrier standard de programme de recherche et moyennant des financements suffisants, suivre un protocole réalisable et apporter des réponses objectives. Cet exercice, mené selon une démarche volontairement restrictive, a produit une liste d’environ 200 questions (90 après révision). A l’occasion du colloque annuel de la SETAC Europe à Barcelone en 2015, un séminaire réunissant 37 participants représentatifs des domaines de l’écotoxicologie et des secteurs académique, industriel et gouvernemental, a permis d’agréger cet ensemble en 22 questions prioritaires classées par ordre d’importance.« La publication rend compte de la formulation et de l’analyse de ces questions prioritaires. Elle vise à offrir une aide à la programmation de la recherche à l’échelle européenne et au-delà, et à l’évaluation et la gestion des substances chimiques dans l’environnement »,résume Marie-Agnès Coutellec, chargée de recherche en écotoxicologie évolutive à l’Inra de Rennes.
Un ensemble de questions multidimensionnel et cohérentCes 22 questions prioritaires sont à la fois génériques, interdépendantes et complémentaires, couvrant les aspects les plus cruciaux de la recherche à engager sur les substances chimiques et les autres facteurs de stress. La liste comprend en effet des questions scientifiques appelant des réponses directes, telles que : « Quelles sont les principales substances responsables de la toxicité des mélanges dans l’environnement ? » (classée 6ème), mais aussi des questions plus spécifiques de l’évaluation et de la gestion des risques dans un cadre réglementaire, telles que : « Comment les interactions entre les différents facteurs de stress opérant à différents niveaux d’organisation biologique peuvent-elles être prises en compte pour l’évaluation du risque environnemental ?», classée n°1.« En milieu naturel, les organismes sont exposés à des mélanges complexes de substances chimiques, dont les effets potentiels sont insuffisamment considérés du point de vue réglementaire, surtout quand ces mélanges sont fortuits et impliquent des familles chimiques différentes », explique Marie-Agnès Coutellec.« L’effet d’un mélange peut s’avérer toxique, alors que la concentration de chaque substance isolée est sans effet.Répondre à ces questions nécessite de poursuivre le développement de modèles d’exposition et d’effets, mais aussi d’extrapoler entre niveaux de réponse, afin d’estimer l’impact des substances chimiques à plus long terme et dans un cadre plus complexe, par exemple d’interaction avec d’autres facteurs de stress environnemental ».
Des questions de recherche pour demain et pour notre avenirAfin de mieux anticiper l’avenir, les questions prioritaires intègrent également des problématiques nouvelles comme l’évaluation de l’impact des polluants émergents (nano-matériaux, microplastiques) et de l’hétérogénéité croissante de l’environnement, mais aussi des effets à long terme des substances chimiques sur les populations.« Dans le contexte environnemental actuel, nous devons être capables de mieux estimer la vulnérabilité à long terme des populations face au stress global, en considérant par exemple les effets épigénétiques potentiels des contaminants chimiques », explique Marie-Agnès Coutellec, qui a notamment été sollicitée sur les différentes questions abordant les effets transgénérationnels et évolutifs des polluants chimiques sur les populations naturelles.
La publication de cette liste apporte ainsi une réflexion experte et cohérente pour répondre avec pertinence aux enjeux actuels de la recherche en écotoxicologie et accompagner les prospectives menées en parallèle dans d’autres régions du globe. La communauté scientifique européenne pourra ainsi jouer un rôle majeur dans l’atteinte des objectifs de développement durable établis par les Nations Unies.
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