Par Hugo Poitout
Le barbecue est en route. Le bœuf est sur les braises. Dans le parc Jeanne Mance, à Montréal, entouré de mes amis, je profite de cette belle soirée d’été un verre de vin à la main. Le soleil se couche alors que mon regard se pose sur l’emballage en plastique du bœuf, encore dégoulinant de sang. En lettres majuscules, caractère gras, il est écrit : USA. Moi, qui voulait devenir plus éco-responsable, voilà que je me rends compte que j’ai carton plein : plastique, viande, et production internationale ! ‘Faux départ’ me dis-je pour me rassurer. Un sentiment de culpabilité germe en moi en pensant que j’aurais bien pu aller chez le boucher du coin pour une viande produite localement. Ai-je vraiment raison ? Est-ce que manger local réduira mon empreinte écologique ? Suis-je vraiment le démon de l’environnement ? Cette question me taraude !
Mon objectif étant de comprendre comment on peut atteindre une mobilité durable, il est important de savoir comment je peux réduire mon besoin de mobilité. C’est un des trois volets de la mobilité durable avec ‘les moyens de transport plus durable’ et une ‘énergie plus verte’. Aujourd’hui je me déplace pour manger. Logiquement, en mangeant localement, j’émettrai moins de gaz à effet de serre dû au transport et réduirai mon empreinte carbone globale. Cela m’a l’air élémentaire. Il faut le vérifier. Je veux comprendre le lien entre mobilité durable et système agroalimentaire. Un défi d’envergure ! Je partirai sur les routes du Québec, j’arpenterai les couloirs des bibliothèques et les pages éclairées du net. Allez, partons !
La première étape de mon voyage sera Granby. Mais avant de partir, je passe à la bibliothèque nationale du Québec à Montréal. Je pense trouver des pistes à mes questionnements sur les produits non transformés au Québec. Agriculture et transports, voilà les deux mots clefs. Je feuillette des livres rapidement. Le secteur alimentaire serait responsable de 15 à 30 % des émissions de gaz à effet de serre dans les pays développés d’après l’association Québécoise, Equiterre. En poursuivant les lectures, je me rends vite compte que mon intuition originelle de manger localement pour réduire mon empreinte carbone est simpliste. Le système agroalimentaire doit être étudié dans son ensemble, de la ferme à l’assiette. On ne peut seulement regarder le transport sans prendre en compte la production, par exemple. C’est comme étudier une voiture seulement en regardant ses pneus. C’est limitant !
Un arrêt qui n’en finit pas. À quoi ressemble le système agroalimentaire occidental ?
Un système est « l’ensemble d’éléments considérés dans leurs relations à l’intérieur d’un tout fonctionnant de manière unitaire » (CRNTL, 2018). En d’autres termes, c’est plusieurs éléments liés entre eux ; ces liaisons forment un tout, uni et indivisible. Au centre du système agroalimentaire, se trouve le fermier. N’oublions pas que c’est ‘lui, qui doit tous nous nourrir’ comme le murmure Amelia Barr dans son poème « The Farmer » au XIXème siècle. Son activité a bien évolué depuis le milieu du XXème siècle grâce aux avancées scientifiques et technologiques premièrement destinées à gagner les deux guerres mondiales mais dont l’agriculture a donné une seconde vie. Par exemple, les tanks de la première guerre mondiale sont devenus tracteurs, et le gaz moutarde a permis la production de pesticides. Cette révolution agricole s’est opérée en occident et a eu pour conséquences flagrantes une hausse les rendements agricoles et un exode rural. Elle a permis d’atteindre une autosuffisance au niveau global, une baisse des prix qui a libéré le pouvoir d’achat des ménages, et un essor de l’activité économique. C’est pour cela que la majorité des gens travaillent au bureau et non pas à la ferme. Il est d’ailleurs intéressant de citer quelques conséquences de ce tumulte de la biodiversité. Entre 1961 et 2002, « les rendements mondiaux moyens de riz ont doublé (2 à 4 tonnes/hectare), ceux du blé ont triplé (1 à 3 tonnes/hectares) » (Rastoin, 2012). Avec la libération des emplois dans le secteur des services, une société de consommation de masse et d’abondance s’est alors peu à peu dessinée, caractérisée par des choix presqu’illimités et des satisfactions hédonistes (Rastoin, 2012). En tête, il y a les États-Unis. Ils illustrent l’archétype du système dit ‘agro-tertiaire’ où pour « chaque bien alimentaire, la portion du prix lié au service (marketing, packaging…) représente 2/3 du total alors que le bien seulement 1/3 du prix final (Piter, 2013). Par exemple, l’association Equiterre révèle qu’entre 1977 et 1998, « le prix d’une boîte de Corn Flakes a augmenté de 2,44 $ alors que le prix revenant aux fermiers ne s’est accru que de 0,03 $ » (Equiterre, Aout 2017). Pour information, le Québec, quant à lui, respecte un schéma dit ‘agro-industriel’, où pour chaque bien alimentaire, la portion destinée aux industries agroalimentaires est aussi importante que celle destinée à l’agriculture. (Piter, 2013).
Un système qui se globalise
Je regarde ma montre. Les heures passent et je pense que je remettrai ma visite à Granby à demain. Je rencontrerai aux premières lueurs du jour Catherine Bernard, responsable des jardins collectifs de Granby, afin d’en savoir plus sur une partie du monde de l’agriculture urbaine. Pour le moment, continuons sur le système agroalimentaire occidental. Il est donc intensif, concentré, et spécialisé… mais pas que. Ce système est aussi en voie de globalisation. En effet, comme le révèlent Jean-Louis Rastoin et l’association Equiterre cette « spécialisation géographique de la production liée au faible coût du transport encourage le déplacement de millions de tonnes de nourriture partout sur le globe tout en allongeant les circuits de mise en marché au cours des dernières années ». Afin d’illustrer le propos, l’institut Worldwatch montre que le trajet moyen parcouru par un aliment, du champ à la table, est de 2500 km à 4000 km (Equiterre, 2003). Sacré voyage ! Le XXème siècle apparaît comme l’ère de l’abondance en occident ; à l’échelle de l’humanité, c’est l’heure de la démesure qui a sonné. Ayant peur que ce système agroalimentaire soit poussé à ses limites physiques, certains s’effraient d’entendre bientôt résonner le glas. En effet, si on altère, pour ne pas dire détruire, les écosystèmes qui assurent aujourd’hui la survie du système agroalimentaire, alors on met en danger notre capacité à nourrir la population. C’est ce qu’on appelle : scier la branche sur laquelle on est assis.
Les défis modernes du système alimentaire
Je regarde ma montre. Les heures passent et je pense que je remettrai ma visite à Granby à demain. Je rencontrerai aux premières lueurs du jour Catherine Bernard, responsable des jardins collectifs de Granby, afin d’en savoir plus sur une partie du monde de l’agriculture urbaine. Pour le moment, continuons sur le système agroalimentaire occidental. Il est donc intensif, concentré, et spécialisé… mais pas que. Ce système est aussi en voie de globalisation. En effet, comme le révèlent Jean-Louis Rastoin et l’association Equiterre cette « spécialisation géographique de la production liée au faible coût du transport encourage le déplacement de millions de tonnes de nourriture partout sur le globe tout en allongeant les circuits de mise en marché au cours des dernières années ». Afin d’illustrer le propos, l’institut Worldwatch montre que le trajet moyen parcouru par un aliment, du champ à la table, est de 2500 km à 4000 km (Equiterre, 2003). Sacré voyage ! Le XXème siècle apparaît comme l’ère de l’abondance en occident ; à l’échelle de l’humanité, c’est l’heure de la démesure qui a sonné. Ayant peur que ce système agroalimentaire soit poussé à ses limites physiques, certains s’effraient d’entendre bientôt résonner le glas. En effet, si on altère, pour ne pas dire détruire, les écosystèmes qui assurent aujourd’hui la survie du système agroalimentaire, alors on met en danger notre capacité à nourrir la population. C’est ce qu’on appelle : scier la branche sur laquelle on est assis.
Les défis modernes du système alimentaire
Assurer les besoins alimentaires de notre population tout en diminuant l’empreinte écologique est donc l’enjeu du siècle. Et ça, ce n’est pas une sinécure ! Il y a dissonance entre la demande alimentaire continuelle dans les pays développés, tels qu’en Europe ou en Amérique du Nord, et ce que la nature est capable de donner. En effet, la culture de la majorité de nos aliments, encore une fois, a des limites physiques, qu’elles soient dans l’espace (géographie) ou dans le temps (saison), alors que la demande n’a pas de limites car elle est majoritairement associée au désir et plaisir dans nos sociétés occidentales. Consommer ! On ne sera jamais repu. Notre désir sera toujours plus présent. C’est le tonneau des danaïdes ! Alors comment ferons-nous demain pour nous assurer une alimentation en produits frais en toute saison ? Il y a trois solutions :
Importer pour survivre
En premier lieu, on peut s’approvisionner par une production non locale. L’importation de produits alimentaires peut être profitable pour l’économie. Concernant l’environnement, comme on va le voir dans les articles suivants, l’empreinte carbone d’un produit importé dépend de l’efficacité relative du pays importateur à produire le même bien et du moyen de transport utilisé pour l’échange.
Il faut souligner que les articles traiteront principalement de l’empreinte carbone et non de l’empreinte écologique, qui est ‘la superficie biologiquement productive qui est nécessaire pour satisfaire à la consommation d’une population donnée’. Les articles ayant comme toile de fond le thème de la mobilité durable et l’empreinte carbone associée, il est plus logique de ne pas étudier l’empreinte écologique. Toutefois, on peut souligner que l’empreinte carbone est responsable dans le monde pour près de 52% de l’empreinte écologique. Au Canada, les terres cultivées et l’empreinte carbone, d’après une étude de WWF en 2005, représenteraient près de 80% de l’empreinte écologique.
Entreposer pour manger toute l’année
Deuxièmement, nous pouvons utiliser des moyens d’entreposage afin d’assurer la consommation de produits frais toute l’année. Une fraise produite en juin au Québec sur l’île d’Orléans, peut très bien être consommée en décembre. Mais, est-ce écologiquement acceptable ? La question dépend principalement des conditions d’entreposage et de la source d’énergie de ce dernier. Une étude compare le cycle de vie de la pomme, ou les impacts environnementaux de la pomme au fil de son existence, de la production jusqu’à sa consommation (Canals et al. 2007). Ils comparent une pomme produite en Nouvelle-Zélande, transportée en Europe, et consommée au Royaume-Uni avec celle produite au Royaume-Uni, entreposée pendant 9 mois et consommée sur place. Il s’avère que l’empreinte carbone de la pomme de Nouvelle-Zélande est de 185 kg CO2 par tonne et celle du Royaume-Uni est de 271,8 kg CO2 par tonne (Misak Avetisyan, 2013). Il y a donc une différence de 86,8 kg CO2 / tonne. C’est l’équivalent d’un aller-retour Montréal-Québec avec un bon vieux ‘Volkswagen Transporter’ de 150 chevaux. L’effet du stockage, qui dépend majoritairement de la source d’énergie utilisée afin de maintenir les conditions de stockage, sur l’empreinte carbone peut donc être fondamental.
Au Québec, les solutions de stockage, aussi bien résidentielles qu’industrielles, sont majoritairement dépendantes de l’électricité. En 2015, 90% de la puissance électrique de Québec est de source hydraulique, responsable de 0,20 Mt équivalent CO2 – soit 0,2% des émissions Québécoises. Ainsi, on peut dire que l’empreinte carbone associée à l’entreposage au Québec est minime. Toutefois, il n’en est probablement pas ainsi pour l’empreinte écologique qui peut être plus grande due à la surconsommation et le gaspillage des biens alimentaires au Québec. Au Canada, le gaspillage alimentaire se chiffrerait à 40% de la nourriture produite, soit 2% du PIB Brut annuel du pays. Pourquoi dépenser de l’énergie, de l’eau, et des ressources pour en jeter presque la moitié. Prenez-vous deux billets d’avion pour une personne quand vous voyagez ?
Un environnement protégé pour des cultures continues
La dernière solution serait de cultiver en serres. Dans leur grande majorité, celles-ci peuvent être très énergivores. Si cette énergie n’est pas propre alors l’empreinte carbone des aliments produits dans ces serres augmentera. Elémentaire, me diriez-vous ! En effet, en 2002, Carlsson-Kanyama et son équipe ont étudié le système de production et son impact sur l’empreinte écologique. Ils ont démontré que pour produire un kilogramme de tomate, il faut consommer 66 Mégajoule dans les serres de Suède — soit à peu près l’équivalent de l’énergie journalière nutritionnelle pour une femme ne pratiquant pas une activité physique — alors que seulement 5,4 mégajoules sont nécessaires dans le sud de l’Europe.
Étonnant ? Pas tant ! Cela est dû au besoin d’énergie. Assuré par le soleil dans le sud de l’Europe, il y a un déficit à combler lorsque l’on fait pousser ce genre d’aliment dans les pays nordiques, qui ont un ensoleillement moindre.
Au Québec, la question se pose aussi. Afin d’augmenter l’offre de produits frais à Montréal, et de surcroît, l’indépendance alimentaire de la cité, une initiative est apparue : Les Fermes Lufa, fermes sur les toits de Montréal. Au nombre de trois depuis 2017, elles ont une superficie cumulée de 138.000 pieds carrés, près de deux terrains de football, et offrent un rendement d’environ 700kg l’été et la moitié en hiver (Jouan, 2014). La culture en hydroponie permet la réduction des besoins en eau et l’utilisation des toits permet de se servir d’espaces vacants en ville. De plus, les Fermes Lufa ont divisé par deux la demande en énergie relativement aux serres conventionnelles sur sol en utilisant la chaleur du bâtiment qui les supportent, couplée à un chauffage au gaz naturel la nuit en hiver. Pourquoi ne pas utiliser demain un chauffage à l’énergie électrique ? C’est à travailler ! En se situant dans les villes, ces fermes sur le toit réduisent drastiquement le besoin de transport et l’empreinte carbone des produits alimentaires. Elles arrivent comme une alternative intéressante à l’importation de produits frais au Québec.
Vers où nous mènera notre expédition pour comprendre le lien entre mobilité durable et système agroalimentaire ?
Le premier défi accapare principalement mon énergie. Au cours de ces recherches à la bibliothèque, on peut se rendre compte que le transport dans le système agroalimentaire n’est pas la partie prépondérante, mais une des parties. Encore une fois, bien qu’importante et signifiante, afin de répondre à mes questions, je ne peux malheureusement m’intéresser seulement au transport. J’espère que j’en ai fait la démonstration. Je me pencherai sur la production internationale vis-à-vis de la production locale, des limites de la production locale, et du poids des régimes alimentaires relativement à une production locale.
Mais pour l’heure, il faut que je me couche. Mes pensées continuent, plus faiblement à émerger. Telle qu’une bougie sur sa fin, la flamme vacille et faiblit en intensité. La nuit prend de plus en plus ses droits. Je quitte la terre pour les bras de Morphée. Je serai bientôt sur les routes du Québec pour découvrir comment réduire, par le système agroalimentaire, mes besoins de mobilité. Je pourrai donc avoir des éléments de réponse pour atteindre une mobilité durable.
Bibliographie
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : ‘Système’ , Consulté le 11 Juillet 2018 ; http://www.cnrtl.fr/definition/syst%C3%A8me
Equiterre. (2003). Document de référence Système alimentaire et sécurité alimentaire : comprendre et agir. Montréal: Direction de santé publique de Montréal.
Equiterre. (2011, 01 01). KILOMÉTRAGE ALIMENTAIRE. Consulté le 2018, sur Equiterre: https://equiterre.org/fiche/kilometrage-alimentaire
Equiterre. (Aout 2017). Les impacts négatifs de notre système alimentaire actuel. Montréal
Equiterre (2018) ‘Gaspillage Alimentaire, Non Merci’ ; n.a ; Consulté en Juillet 2018 sur http://equiterre.org/geste/gaspillage-alimentaire-non-merci
Fermes Lufa (2018) ‘Trousse d’information pour la presse’, Fermes Lufa ; Consulté en Juillet 2018 ; https://montreal.lufa.com/fr/Trousse-information-Fermes-Lufa-pour-la-presse
Jouan Julia (2014) Fiche Initiative N°3 IUFN, ‘Fermes Lufa’ ; http://www.iufn.org/wp-content/uploads/2014/01/IUFN-2014-Fiche-INITIATIVE-N%C2%B03-Fermes-Lufa-Montr%C3%A9al-Canada.pdf
Piter, Z. (2013, . .). Vers des systèmes alimentaires durables. Réflexion autour de la notion de systèmes alimentaires et sur leur rôle à jouer face aux enjeux environnementaux de demain. ., ., France: Ecole Boulle 2013.
Québec (2018) ; MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, 2018. Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2015 et leur évolution depuis 1990, Québec, ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Direction générale de la réglementation carbone et des données d’émission, 33 p. [En ligne].
Rastoin, J.-L. (2012). L’industrie agroalimentaire au cœur du système alimentaire mondial- Chapitre 11. Dans R. K. Pierre JACQUET, Regard sur la Terre – Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ? (pp. 275-285). Suprago, France: Armand Colin.
À propos de l’auteur: Hugo Poitout est étudiant en Master en Economie et Administration des Affaires – Environnement, Energie, et Ressources Naturelles - à la Norwegian School of Economics, il s’intéresse de près aux sciences de l’environnement. Sa Devise : Le savoir est genèse de l’action.
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