La Caraïbe insulaire regorge d’une biodiversité foisonnante et unique au monde. De nouvelles espèces végétales et animales endémiques y sont découvertes régulièrement, dont beaucoup sont malheureusement déjà considérées comme vulnérables ou même menacées d'extinction. En cause, la perte d'habitat, le changement climatique ou encore les invasions biologiques. La mise en place de mesures de conservation efficaces pour protéger cet incroyable patrimoine naturel ne saurait se faire sans une recherche scientifique solide. Cependant, la Caraïbe insulaire fait face à un déficit crucial de capacités locales de recherche, ainsi que l'a montré une étude récemment publiée dans Perspectives in Ecology and Conservation.
Dans leur étude, Henri Vallès et ses collègues ont examiné près de 500 articles scientifiques publiés entre 2000 et 2015 dans le domaine de la biodiversité et de la conservation dans la Caraïbe insulaire. Premier constat : la contribution des auteurs basés dans les Caraïbes est faible par rapport aux auteurs basés à l'étranger. En effet, la plupart des articles ont été rédigés entièrement (63%) ou en partie (29%) par des auteurs basés en dehors de la région des Caraïbes, tandis qu'une minorité des publications (8%) n’étaient signés que par des scientifiques basés dans les Caraïbes. Malgré une augmentation du nombre d'articles au cours des années, la proportion d'auteurs basés dans les Caraïbes par article et le nombre d'articles dirigés par ces derniers sont restés faibles sur toute la période étudiée.
L'étude révèle également que les chercheurs basés dans les Caraïbes sont beaucoup plus susceptibles de collaborer avec des chercheurs basés à l'étranger qu'avec des chercheurs basés dans d'autres territoires des Caraïbes, en dépit des menaces et défis similaires concernant la biodiversité de toute la région.
Les auteurs de l'étude ont pointé du doigt plusieurs facteurs qui pourraient expliquer la faible contribution des chercheurs basés dans les Caraïbes, dont l’importance peut être variable d’un territoire à l’autre. Ceux-ci incluent notamment un manque de financement de la recherche, un accès limité à une technologie de recherche de pointe ou à des stations biologiques bien équipées, des charges d'enseignement élevées et moins de possibilités de formation et de participation à des conférences. De plus, le coût élevé des voyages au sein de la Caraïbe insulaire et les différentes langues parlées dans la région contribuent probablement à l'absence de collaborations solides entre les chercheurs de ses différents territoires.
En raison de la biodiversité unique des Caraïbes et des nombreuses menaces auxquelles elle est confrontée, l'augmentation des capacités locales de recherche en conservation dans la région apparaît comme une priorité. Les auteurs encouragent ainsi le développement d'un réseau culturellement diversifié de scientifiques basés dans les Caraïbes avec des compétences et des connaissances complémentaires dans les domaines de l'écologie, de l'évolution et de la biologie de la conservation. Accroître l'accès à l'enseignement supérieur dans les domaines sous-jacents constitue un moyen essentiel d'y parvenir. Ainsi, le financement d'études supérieures par l'ONG Caribaea Initiative a par exemple permis la publication récente de plusieurs articles dirigés par de jeunes chercheurs caribéens.
Les opportunités pour les scientifiques de former et renforcer leurs réseaux, telles que des conférences internationales qui auraient lieu dans la région, sont également à encourager. Les revues scientifiques internationales peuvent aussi jouer un rôle important, par exemple en incluant des chercheurs caribéens dans leurs comités de rédaction.
Les auteurs de l’étude reconnaissent que l'expansion de la capacité de recherche dans la Caraïbe insulaire nécessitera un investissement financier substantiel de la part d'un large éventail de sources, comprenant notamment les gouvernements des Caraïbes, les ONG, les agences internationales de financement de la recherche et les pays étrangers. Cet investissement et ces collaborations apparaissent comme essentiels pour que la région puisse s'unir dans la lutte contre les menaces communes à sa biodiversité tout en contribuant à accroître l’impact à grande échelle de la recherche menée localement.
A propos de Caribaea Initiative
Caribaea Initiative (https://www.caribaea.org/fr/) est une jeune ONG caribéenne dont la mission est de renforcer l'expertise scientifique dans la Caraïbe insulaire dans le domaine de la conservation. Il s’agit de la seule organisation internationale dédiée à l'étude scientifique et à la conservation de la biodiversité des Caraïbes. Entre autres projets, l'ONG finance et facilite la formation de plusieurs étudiants caribéens aux niveaux Master et Doctorat, et encourage la collaboration entre les différents territoires caribéens grâce à des projets et des conférences. En 2021, sept publications ont déjà été publiées avec des étudiants caribéens financés par l'ONG en tant que premiers auteurs.
Référence
Vallès, H., Labaude, S., Bezault, E., Browne, D., Deacon, A., Guppy, R., Pujadas Clavel, A. & Cézilly, F. (2021) Low contribution of Caribbean-based researchers to academic publications on biodiversity conservation in the insular Caribbean. Perspectives in Ecology and Conservation, In press, https://doi.org/10.1016/j.pecon.2021.07.006.
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