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Invasions de criquets : un impact durable



  • Les criquets pèlerins sont de retour au Mali et au Niger.

    La FAO a mis en garde les deux pays contre de nouvelles invasions durant l'été 2012. Cette " malédiction des bonnes pluies " menace leurs cultures et leur sécurité alimentaire. Mais elle peut aussi avoir des effets socio-économiques sur le long terme, jusque-là méconnus.

    Une équipe de l'IRD et de ses partenaires(1) vient de révéler le fort impact des invasions majeures de 1987-89 sur l'éducation des enfants des villages maliens touchés à l'époque. Ceux-ci ont vu leur taux de scolarisation chuter de 25 %, tombant à moins de 18 %. Les filles ont été plus particulièrement touchées : elles quittent les bancs de l'école encore plus tôt que les garçons. Sont en cause le manque de nourriture dû à la destruction des récoltes par les criquets, qui affecte la réussite scolaire, ainsi que la baisse de revenus des parents agriculteurs, qui peut motiver un retrait de l'école.
    Ces résultats s'avèrent inquiétants dans les contextes malien et nigérien actuels de menace acridienne. A la prolifération des insectes s'ajoute le conflit politique qui entrave les actions de lutte antiacridienne.


    Au mois de juin 2012, suite à d'abondantes pluies, des nuées de criquets pèlerins ont envahi le Nord du Niger et du Mali. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a mis en place en conséquence un plan d'action pour l'été. Ces voraces insectes, comme le souligne la FAO, détruisent les cultures de céréales, fruits ou légumes ainsi que les pâturages, et menacent donc la sécurité alimentaire dans ces deux pays. Mais les invasions acridiennes peuvent aussi avoir des conséquences socio-économiques durables, comme le révèle une équipe de l'IRD et de ses partenaires(1). Bien qu'elles surviennent régulièrement dans plus de 60 pays d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Asie du Sud-Est, ces effets demeuraient peu étudiés jusque-là.

    La scolarisation a baissé jusqu'à 25 %
    Les chercheurs viennent pour la première fois de mettre en évidence le fort impact à long terme de telles catastrophes naturelles. Ils révèlent que les invasions majeures de 1987-89, qui ont frappé en particulier le Mali, ont eu des conséquences négatives sur l'éducation des enfants des villages maliens affectés(2). Nés ou en âge d'être scolarisés durant ces graves épisodes, ils ont vu pour nombre d'entre eux s'envoler leurs chances d'aller à l'école. Leur taux d'inscription a chuté d'un quart, passant de 24 à 18 % pour les garçons et de 15 à 11 % pour les filles. La proportion d'élèves qui achèvent le cycle primaire baisse d'environ 15 %. Les filles sont toutefois plus profondément touchées car elles sont retirées de l'école plus tôt que leurs camarades masculins. Le temps qu'elles passent à l'école primaire est réduit d'une année.

    En cause : la faim et la baisse des revenus
    Les essaims de criquets ont affecté de différentes manières le taux et le niveau d'éducation dans les zones concernées. Tout d'abord, les invasions provoquent localement un manque de nourriture pour les jeunes enfants ou pour les femmes enceintes. La détérioration du statut nutritionnel des enfants ou de leur mère lors de la grossesse affecte leur réussite scolaire. Ceux-ci risquent d'en conserver des séquelles sur leur santé ou de souffrir d'un retard de croissance et voir ainsi leurs capacités cognitives réduites. Et ce, même si le manque de nourriture peut être en partie compensé par l'apport en protéines que représentent ces insectes. Frits, bouillis ou rôtis, les criquets constituent un met réputé dans de nombreux pays sahéliens et notamment au Mali. A condition de ne pas avoir été pulvérisés d'insecticides...
    Ensuite, les enfants d'agriculteurs peuvent subir la baisse soudaine de revenus de leurs parents suite à la destruction des cultures. Ils se voient alors retirés de l'école ou bien y entrent quelques années plus tard.
    Les pertes des récoltes sont également susceptibles d'induire une envolée locale des prix des denrées alimentaires. Les ménages les plus pauvres souffrent alors de la même manière des suites des invasions de criquets, y compris pour les familles de non agriculteurs.

    Les criquets : le revers de la pluie
    Les invasions de criquets pèlerins sont " la malédiction des bonnes pluies ". Les insectes proviennent de régions d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient, appelées zones de rémission, qui ne sont pas ou peu cultivées et où la pluviométrie ne dépasse pas 200 mm par an en temps normal. Mais lorsque les précipitations excèdent cette moyenne, les criquets prolifèrent - comme au printemps 2012.
    L'augmentation de la densité de population des criquets modifie leur comportement et stimule leur instinct grégaire : ils se regroupent en nuées de milliards d'individus. Ces immenses essaims, couvrant jusqu'à plusieurs centaines de km², sont capables de migrer sur de très longues distances en dehors de leur zone de rémission pour trouver leur nourriture. Un nuage de criquets d'un km² ingère 120 tonnes de nourriture par jour, soit la quantité nécessaire pour nourrir 2 500 personnes durant 4 mois. Une réelle razzia dans les zones d'invasion.

    Dans le contexte actuel au Mali et au Niger d'invasion acridienne et de conflit politique qui entrave également les opérations de prospection et de lutte, comme la pulvérisation de pesticides, les résultats de la présente étude s'avèrent inquiétants. Ils soulignent les effets à long terme des chocs économiques de telles catastrophes naturelles et permettent d'analyser la capacité des populations locales à faire face à ce fléau.

    Rédaction DIC, Gaëlle Courcoux


    (1) Ces travaux ont été menés en partenariat avec des chercheurs de l'université Paris Dauphine et de l'Institut de la statistique malien.
    (2) Sur l'ensemble du pays, 10 % des villages ont été envahi en 1987-89.


    Pour en savoir plus

    Contacts:

    Sandrine MESPLE-SOMPS, chercheure à l'IRD
    Tél. : 33 (0)1 53 24 15 55
    sandrine.mesple-somps@ird.fr

    Nathalie GUILBERT, doctorante à l'Université Paris Dauphine
    Tél. : 33 (0)1 53 24 15 50
    guilbert@dial.prd.fr

    Philippe DE VREYER, professeur à l'Université Paris Dauphine
    Tél : 33 (0)1 44 05 44 05
    philippe.devreyer@dauphine.fr

    UMR Développement, institutions et mondialisation - DIAL (IRD / Université Paris Dauphine)

    Adresse
    DIAL
    4, rue d'Enghien
    75010 Paris

    Références :
    DE VREYER P., GUILBERT N., MESPLE-SOMPS SANDRINE. The 1987-89 Locust Plague in Mali: Evidences of the Heterogeneous Impact of Income Shocks on Education Outcomes, Working paper DIAL n°2012-05 et Working paper EEP G-MonD n° 2012/25.


    Retrouvez les photos de l'IRD concernant cette fiche, libres de droit pour la presse, sur : www.indigo.ird.fr

    Mots clés :
    Criquets pèlerins, invasion, éducation, Mali

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