Par Jamie Bartram et Barbara Wallace
Ce texte est un extrait d'un ouvrage intitulé La problématique de l'eau qui sera publié l'été 2010 par le Bureau des programmes d'information internationale. Le lecteur trouvera ci-après un aperçu préliminaire de certaines parties choisies.
Dans ce chapitre : Une longue liste de maladies qui pourraient être évitées ( #longue_liste ) | Continuer le statut quo n'est pas une solution ( #continuer ) | Le rôle des entrepreneurs ( #rôle )
L'importance de l'eau pour la santé a été reconnue à travers les cultures et les millénaires et elle demeure aussi pertinente au XXIe siècle qu'elle ne l'était dans la Rome antique, lorsque Pline l'Ancien remarqua : In aqua sanitas (dans l'eau, la santé).
Une longue liste de maladies qui pourraient être évitées
Selon l'Organisation mondiale de la santé, si l'humanité pouvait gérer ses ressources d'eau convenablement, s'assurer que tout le monde a un accès fiable à de l'eau potable et à des installations sanitaires de base, et adopter des pratiques d'hygiène élémentaire, nous pourrions sauver environ 1,8 million de vies par an - principalement celles des jeunes enfants.
La liste des maladies que nous pourrions prévenir est impressionnante. Un certain nombre des maladies les plus graves du monde s'y trouvent, avec en tête des maladies diarrhéiques qui tuent plus d'enfants que le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme combinés. Il s'agit en particulier de maladies à flambées épidémiques mortelles comme le choléra, la typhoïde et la dysenterie. La diarrhée agit en cercle vicieux avec la malnutrition, provoquant la mort de nombre d'enfants déjà affaiblis par des épisodes répétés de diarrhée.
Les autres maladies sur la liste ne nous viennent pas si facilement à l'esprit. Le trachome est l'une des causes principales de cécité évitable. Il peut être évité moyennant des mesures d'hygiène toutes simples, comme le fait de se laver le visage et d'utiliser des toilettes, étant donné que les mouches qui transmettent la bactérie chlamydia trachomatis, source de la maladie, se reproduisent dans les excréments humains. La schistosomiase ou bilharziose est une parasitose qui touche 200 millions d'habitants dans le monde entier, la moitié en Afrique. C'est, après le paludisme, la parasitose la plus dévastatrice sur le plan socio-économique, mais le schistosome, le parasite qui transmet la maladie, a besoin d'excréments humains pour être transmis dans les lacs (évitable au moyen d'un assainissement amélioré), pour infecter certaines espèces de mollusques (maîtrisé au moyen d'une meilleure gestion des ressources en eau) et pour infecter les humains - lorsque la larve pénètre sous la peau immergée (évitable en évitant le contact avec l'eau polluée en nageant, en travaillant dans l'eau ou en allant chercher de l'eau.)
In aqua sanitas se heurte aussi à des difficultés qui appartiennent réellement au XXIe siècle. Des immeubles chauds et des matériaux modernes facilitent le développement de certaines bactéries dans les systèmes d'eau. Normalement ces habitants naturels des milieux aquatiques ne retiennent guère l'attention des experts de la santé, mais certains font la une. En juillet 1976, des décès parmi un groupe de légionnaires américains à la retraite ont été retracés à une espèce de bactérie inconnue jusqu'alors et qui fut ensuite nommée legionella pneumophila. Depuis, des centaines de flambées de la maladie du légionnaire ont été signalées, touchant jusqu'à 18.000 personnes par an rien qu'aux États-Unis. D'autres risques posés par des parasites qui vivent dans l'eau ont été de plus en plus constatés. Certains risques sont dus à une ingestion, d'autres à un contact et d'autres encore à l'inhalation - par exemple, en respirant des vapeurs d'eau contaminée en prenant une douche.
À mesure que nous adoptons des moyens de plus en plus complexes et perfectionnés de gestion de l'eau - comme des climatiseurs refroidis par l'eau, des étalages munis de systèmes de pulvérisation d'eau, des dispositifs intégrés de plomberie, et des systèmes massifs d'adduction d'eau dans de grands bâtiments - le risque que quelque chose aille mal s'accroît. Mêmes les méthodes perfectionnées de traitement de l'eau que nous utilisons pour assurer sa salubrité ne sont pas sans risques. Les processus de traitement de l'eau tels que la désalinisation détruisent les micro-organismes et les produits chimiques toxiques, mais ils éliminent aussi presque tous les minéraux. Une recherche assez captivante explore la possibilité que la réduction de ces minéraux dans l'alimentation pourrait être néfaste pour la santé, en particulier pour la santé cardiovasculaire.
Réaliser in aqua sanitas semble être un objectif assez élémentaire. Ne suffit-il pas, pour un pays, de convenablement gérer ses ressources hydriques et de s'assurer que la population a un accès fiable à de l'eau potable, à des installations sanitaires de base et se lave les mains ? Certains pays ont réussi à éliminer ces problèmes de manière efficace depuis des décennies. Pourquoi donc l'eau représente-t-elle toujours un problème de santé crucial dans le monde ? Les statistiques sont brutales : en chiffres arrondis, seule la moitié des ménages dans le monde ont de l'eau sous conduite ou une simple latrine ou des toilettes. Il est difficile d'envisager des progrès réels sans ces deux commodités de base. Et l'avenir ne s'annonce pas très rose. En effet, au rythme actuel du progrès, en 2015, plus de 1,5 milliard d'habitants vivront dans des foyers sans eau sous conduite ou sans latrines salubres.
Continuer le statu quo n'est pas une solution
Par conséquent, la solution est-elle tout simplement de continuer à faire la même chose - mais plus rapidement ? Forer des puits et construire des latrines ; construire des systèmes d'eau sous conduite et des égouts sanitaires ? D'évidence, non.
L'expérience montre que les gens n'accordent pas de valeur aux choses qui ne leur appartiennent pas - ce qui aboutit à des pannes précoces et aux échecs. Ainsi, les efforts de nombreuses organisations caritatives et fondations pour forer des puits en milieu rural, par exemple, n'aident pas autant qu'ils le pourraient - environ 48 % des puits en Afrique subsaharienne ne fonctionnent pas à un moment ou à autre. En fait, il est moins cher et plus efficace d'améliorer une simple opération et l'entretien des infrastructures existantes, que d'en construire davantage, bien que cela soit une initiative nettement moins spectaculaire et avec moins de séances de photos que pendant l'inauguration d'une nouvelle installation. De plus, l'avantage réel d'un puits communautaire amélioré pour les ménages risque de ne pas être de grande importance. Si le puits n'est pas situé plus près des foyers que la source d'eau traditionnelle, il pourrait toujours constituer un long trajet pour ceux qui sont responsables de chercher l'eau, généralement les femmes et les enfants, et une perte de temps qui autrement pourrait être consacré à d'autres tâches ou à l'école. Même si le puits est bien construit, l'expérience prouve que l'eau est généralement contaminée au moment de sa consommation.
Le problème sanitaire n'est pas plus facile à résoudre que l'énigme de l'eau potable. Pour de nombreuses personnes qui vivent dans les pays développés, les toilettes à chasse d'eau sont tellement familières qu'il est difficile d'imaginer une autre forme d'assainissement. Mais il s'agit d'un accident de l'histoire - né des circonstances particulières de la révolution sanitaire qui a eu lieu il y a plus de 100 ans dans quelques pays qui sont aujourd'hui parmi les pays industrialisés. Et ce type de toilette n'est pas nécessairement une bonne idée partout. Le simple geste de tirer la chasse d'eau signifie utiliser l'eau peu abondante qui pourrait être utilisée à d'autres fins, ensuite la traiter et la pomper à un coût très élevé afin d'éliminer des déchets qui, s'ils ne sont pas traités, iront contaminer l'environnement. D'autre part, les égouts et les toilettes à chasse d'eau coûtent cher à installer et à opérer - il est donc peu probable qu'ils soient abordables ou durables, tout au moins aujourd'hui, dans de nombreux coins du monde.
Quelle est donc la solution ? Devons-nous essayer de développer ces types de services fiables d'eau sous conduite et d'égouts sanitaires que l'on trouve dans les agglomérations urbaines d'un grand nombre d'économies émergentes et à travers une bonne partie des pays développés ? Pour certaines régions, oui certainement. Mais ces solutions ne réussiront pas partout et il est peu probable qu'elles soient une solution miracle ou durable pour de nombreuses régions du monde en développement.
Heureusement, il existe certains signes encourageants de façons nouvelles, novatrices et intéressantes de relever ces défis.
Au cours des quinze dernières années, des groupes de chercheurs d'organisations internationales, d'universités et des secteurs privé et public ont exploré des méthodes permettant de traiter l'eau à domicile et d'obtenir de l'eau potable à un coût très faible. Ces solutions diffèrent largement :
. la désinfection de l'eau par le soleil dans des bouteilles usées ;
. la désinfection de l'eau avec des produits chimiques tels que l'eau de javel en solution ou en tablettes ;
. le filtrage de l'eau à travers un lit de sable, de matériaux céramiques ou d'autres matériaux modernes perfectionnés ; et
. des produits de traitement d'eau en sachet permettant de traiter l'eau un seau à la fois.
Toutes ces solutions habilitent les ménages qui ont accès à de l'eau au moyen de puits ou de points d'eau traditionnels non améliorés tels que les cours d'eau (ou même des conduites d'eau non salubre) à prendre les commandes de leur propre santé plutôt que de demander littéralement et figurativement de " faire la queue " pour attendre qu'un système d'adduction d'eau amélioré leur soit offert dans un avenir lointain. Certaines études ont constaté une amélioration considérable en matière de santé - près de 60 % de réduction des maladies diarrhéiques lorsque ces méthodes ont été adoptées en cas de catastrophe.
Alors qu'une bonne nouvelle est qu'environ la moitié de la population mondiale a accès à de l'eau sous conduite à domicile, la mauvaise nouvelle, est que seulement une fraction de ces ressources en eau est salubre et fiable. Améliorer la gestion des systèmes d'adduction d'eau afin que l'eau puisse arriver salubre et régulièrement 24 heures par jour, sept jours par semaine est un exploit difficile à réaliser. Au cours des 20 dernières années, un groupe international coordonné par l'Organisation mondiale de la santé a intégré des points de vue administratifs et scientifiques dans le fonctionnement des systèmes d'adduction d'eau. Le résultat est une approche exhaustive de gestion appelée la " planification de la sécurité sanitaire de l'eau ". Les plans de la sécurité sanitaire de l'eau adoptent une approche préventive, afin que les problèmes puissent être évités, plutôt que d'être dépistés et résolus seulement une fois que l'eau contaminée a été distribuée et consommée, comme c'est le cas de l'approche traditionnelle du suivi. Cette approche pourrait faire baisser sensiblement les coûts liés au suivi et à l'analyse de l'eau en laboratoire - une économie appréciable à l'échelle mondiale et en particulier dans les pays en développement et les régions éloignées où ces coûts sont prohibitifs.
Un rôle pour l'entrepreneuriat
Plus récemment, l'ingéniosité commerciale et l'entrepreneuriat se sont mis à apporter des solutions aux problèmes tenaces d'eau et d'assainissement. En effet, à mesure que le monde devient de plus en plus urbanisé, l'approvisionnement fiable en eau salubre est un défi croissant dans les bidonvilles tentaculaires qui entourent de nombreuses grandes villes. Dans les quartiers insalubres du monde entier, les difficultés d'ordre technique s'ajoutent aux contraintes économiques et aux tensions politiques pour faire obstacle aux efforts du développement. Dans plusieurs pays, des kiosques à eau gérés par des hommes d'affaires de la localité commencent à apparaître comme une solution. La vente de l'eau par l'intermédiaire de kiosques a un double avantage - les habitants des bidonvilles ont accès à de l'eau potable à proximité de leur lieu de résidence et l'entrepreneur peut gagner sa vie. Tendance moins répandue, mais peut-être encore plus intéressante, certains hommes d'affaires ont commencé à se lancer dans l'approvisionnement d'eau sous conduite - souvent sous forme de petits réseaux de tuyaux d'arrosage qui fournissent de l'eau aux habitations à proximité, à un certain prix, et dans des endroits où ces logements n'auraient aucune possibilité d'obtenir de l'eau sous conduite de la municipalité.
L'eau et la santé juxtaposent des défis historiques et contemporains et ajoutent des défis futurs à ce mélange. L'augmentation de la demande de produits vivriers et, ce faisant, de la demande d'irrigation, soumet les ressources en eau à une pression plus forte que jamais. Des activités industrielles toujours plus nombreuses et variées introduiront de nouveaux polluants dans l'eau. Ces derniers et l'incertitude suscitée par les prévisions en matière de changement climatique contribueront à rendre encore plus coûteuse et complexe la tâche de garantir un approvisionnement en eau et en assainissement. Des maladies anciennes telles que le choléra risquent de réapparaître avec un regain d'intensité si les problèmes modernes de pollution, d'essor démographique, d'urbanisation et de changement climatique font de l'eau salubre une ressource encore plus rare. À mesure que nous introduirons de nouvelles façons de gérer l'eau pour la santé, ces méthodes elles-mêmes pourraient introduire de nouvelles difficultés et avoir des retombées imprévues.
L'eau est une ressource précieuse, indispensable à la vie et à la santé. L'histoire très riche des efforts déployés pour fournir de l'eau et de l'hygiène aux populations ne nous offre que des lignes directrices limitées pour le XXIe siècle. Un proverbe coréen dit que " l'eau en aval ne sera pas limpide si l'eau en amont est boueuse ". Ceux qui travaillent en amont - dans l'élaboration de la politique, dans le gouvernement, dans les médias et dans le développement de programmes - doivent faire de l'eau et de l'assainissement une priorité, et chercher des solutions innovatrices en partenariat avec les milliards d'habitants qui vivent en aval, pour faire de in aqua sanitas une réalité de notre génération.
Jamie Bartram est professeur de santé publique à l'université de la Caroline du Nord, à Chapel Hill, et directeur de l'Institut de l'eau de cette université. Il a passé 10 ans avec l'Organisation mondiale de la santé dans des domaines afférents à l'eau et à l'assainissement et il possède plus de 20 ans d'expérience en politique gouvernementale dans plus de 30 pays. En 2004, Jamie Bartram a reçu le grand prix de l'Association internationale de l'eau pour ses réalisations.
Barbara Wallace, titulaire d'une maîtrise en santé publique, est directrice des relations avec les entreprises et les fondations à la faculté de santé publique de l'université de la Caroline du Nord, à Chapel Hill. Elle a dirigé et conseillé des initiatives de prévention du VIH/sida pour CARE USA, l'État fédéré de Géorgie et la Fédération des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant- Rouge à Genève. Elle a également occupé les fonctions de directrice adjointe des services de santé publique en Grande-Bretagne.
Source : Bureau des programmes d'information internationale du département d'Etat.
Site Internet : http://www.america.gov/fr/
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