La population vieillit, les maladies chroniques augmentent, la médecine devient hyperspécialisée, les exigences des patients s’accroissent et les inégalités d’accès aux soins se creusent entre les territoires. Face à la question des déserts médicaux, les professionnels de santé sont appelés à mieux coopérer. Notamment à travers la délégation de compétences à des professionnels de santé non-médecins.
Soigner autrement est devenu un impératif de santé publique. C’est également un impératif économique qui touche particulièrement la France dont les dépenses de santé croissent aujourd’hui plus fortement que le PIB. Comment repenser l’accès aux soins dans ce contexte ?
Améliorer l’accès aux soins
Le 13 octobre 2017, le Premier ministre, Édouard Philippe, et la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, ont lancé un « plan pour renforcer l’accès territorial aux soins » qui s’appuie sur une démarche partant des territoires, et associant l’ensemble des acteurs du parcours de soins : professionnels de santé, collectivités territoriales, élus locaux et usagers.
Quelles en sont les grandes orientations ? Favoriser l’intervention de professionnels de santé dans les territoires qui en manquent, faciliter l’installation de jeunes médecins dans les zones en tension, déployer la télémédecine, doubler le nombre de maisons de santé et organiser des délégations de tâches à des professionnels non médecins.
Sur ce dernier point, la ministre explique : « Il existe déjà un protocole Asalee dans lequel des infirmiers coordonnent avec des médecins le suivi de soins notamment auprès de patients diabétiques. On veut aider ce type d’organisation qui permet de mieux répartir le temps médical entre les membres d’une équipe de professionnels de santé. Dans les zones où l’on manque de professionnels, nous organiserons la possibilité d’établir de telles délégations de tâches ou de compétences en fonction des besoins. Cela permettra de les expérimenter, de les évaluer et voir si ça mérite d’être déployé ailleurs » (1).
Pour mémoire, la notion de « délégation de tâches » repose sur l’article 51 de la loi Bachelot du 21 juillet 2009, portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (loi HPST) qui autorise des « coopérations entre professionnels de santé », sous la forme de protocoles entre professionnels acceptés par l’Agence Régionale de Santé (ARS).
Des coopérations entre professionnels de santé
Le syndicat des infirmiers n’a pas tardé à réagir à l’annonce du plan gouvernemental, s’inquiétant de la multiplication de ces « protocoles de coopération ». Pour Thierry Amouroux, le Secrétaire Général du SNPI CFE-CGC, « ces protocoles ne comportent aucune garantie pour les usagers sur les qualifications et les compétences des professionnels impliqués, ainsi que sur la régularité et les modalités de leur exercice. Le développement souhaitable des partages de compétences entre professionnels de santé, ne doit pas être le prétexte à faire n’importe quoi, juste pour libérer du temps médical ». Il plaide au contraire pour une reconnaissance officielle de « pratiques avancées », avec une rémunération et une formation conséquentes : « Plutôt que cette coopération, propre à chaque hôpital et à chaque service, nous sommes en faveur de pratiques avancées dans un cadre clair. Des pratiques autorisées après l’obtention d’un master 2, comme dans d’autres pays d’Europe. L’infirmier de pratique avancée aura alors toute sa légitimité et pourra exercer sur tout le territoire » (2). En arrière-plan, se pose à l’évidence la difficulté à réformer l’hôpital, qui dépasse la seule question des déserts médicaux…
Les infirmiers sont loin d’être les seuls professionnels concernés par les délégations de tâches. Car 1,4 million de professionnelsexercent une activité de soins. Les professions médicales (médecins, dentistes et spécialistes divers…), les métiers d’infirmier et autres professions paramédicales (masseurs, kinésithérapeutes, manipulateurs en électroradiologie médicale, techniciens de laboratoire en biologie médicale, psychologues) s’exercent en libéral, en clinique privée ou à l’hôpital, dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) et les Centres Hospitaliers Régionaux (CHR).Les aides-soignants et assimilés travaillent, en majorité, dans des établissements de santé. Cependant, un tiers d’entre eux sont employés dans le secteur de l’action sociale, par exemple en maison de retraite, ou en crèche pour les auxiliaires de puériculture ou encore dans des services de soins infirmiers à domicile.Certains professionnels comme les pharmaciens ou les opticiens travaillent principalement dans le commerce de détail.
Les délais d’attente atteignent un seuil critique
Tous ces professionnels sont donc appelés à coopérer pour améliorer l’accès aux soins des Français. Ce dernier s’est en effet dégradé ces dernières années. Principal responsable : la désertification rurale. L’allongement des délais d’attente pour une consultation médicale en est l’illustration la plus frappante. Entre 2012 et 2017, le délai d’attente pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste a augmenté de 13 jours en moyenne. En 2017, il fallait par exemple 68 jours pour décrocher un rendez-vous chez un gynécologue, et même 8 jours pour un médecin généraliste ! Le délai est encore plus long pour les ophtalmologues : « Les derniers chiffres font état d’un délai d’attente moyen de 87 jours pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologue. Cette durée augmente chaque année. Les disparités régionales sont énormes, cela peut monter jusqu’à un an. Le dernier arrêté de novembre 2017 établissant la carte des déserts médicaux montre que le phénomène continue de s’amplifier », déplore Yves Guénin, secrétaire général d'Optic 2000, la plus grande coopérative dans le secteur de l'optique (3).
Notons que les opticiens ne sont reconnus officiellement comme professionnels de santé à part entière que depuis le décret du 12 octobre 2016 sur la profession d’opticien-lunetier, décret qui élargit leurs prérogatives afin de réduire les délais d’attente chez les ophtalmologues. Cela leur permet, grâce au maillage territorial qu’offrent les grands réseaux d’optique, de contribuer à l’accès aux soins visuels dans les déserts médicaux. Et ils se réjouissent, pour leur part, que la délégation de tâches entre professionnels de la santé visuelle commence à être mise en œuvre.Pour Yves Guénin « c’est un axe très intéressant pour lutter contre les difficultés d’accès aux soins visuels. L’opticien est désormais en mesure de se charger des renouvellements de lunettes ou lentilles, dans un cadre précisément défini par la loi, et peut en adapter la correction, après examen du patient. Il peut aussi procéder à des délivrances exceptionnelles de verres en cas de perte ou de casse » (4).
Voilà un exemple de solution simple et efficace pour désengorger les cabinets des médecins, tout en offrant un suivi et des prestations de qualité aux patients. Preuve qu’il va falloir profiter aux mieux de la diversité des compétences médicales présentes dans les zones reculées et faire en sorte que la délégation de tâches devienne un principe central. Les pharmaciens et les infirmières sont compétents pour effectuer la vaccination ! De même, les sages-femmes peuvent réaliser les accouchements lorsqu’aucune intervention spécifique n’est nécessaire… Cette délégation a par ailleurs un vrai sens dans le cadre de la téléconsultation, car elle permettrait de libérer du temps médical pour des consultations physiques plus poussées (5).
09/12/24 à 11h08 GMT