Les grandes entreprises ayant la réputation d'être de bons citoyens corporatifs sont celles qui pourront le mieux attirer et retenir les professionnels de la génération " Y ". C'est ce qui ressort des sondages, mais, malgré le lustre que confère à une entreprise le statut de citoyens corporatif responsable, cela ne suffit pas toujours. Mal à l'aise dans le vivier corporatif, de nombreux jeunes professionnels se tournent vers le monde communautaire.
Ces professionnels " Y " ont aujourd'hui moins de 28 ans. Ils sont en tout début de carrière. On dit dans le monde des ressources humaines que ces jeunes sont difficiles à retenir et qu'ils sont négociateurs quand vient le moment de discuter des conditions de travail. Malgré le ralentissement économique, le marché du travail actuel permet en effet à ces jeunes d'être plus difficiles qu'avant. Les entreprises font de grands efforts pour les retenir. Cela se révèle d'autant plus important dans certains milieux où les jeunes peuvent facilement aller frapper à la porte de la concurrence. Dans certains cas, c'est leur conscientisation sociale qui les pousse à prendre de grands virages. Ils ne vont pas frapper à la porte du concurrent ; ils changent littéralement de monde.
Ce fut le cas de Stéphanie Claivaz-Loranger, une jeune avocate québécoise qui a décidé de descendre une quarantaine d'étages pour quitter le monde des grands cabinets d'avocats. Elle voulait depuis longtemps offrir son expertise dans le milieu communautaire. Le plus dur a été de faire le premier pas. Avocate de formation, Madame Claivaz-Loranger a été reçue au Barreau en août 2007. Stage y compris, elle a travaillé près de 2 ans pour le même cabinet.
Elle résume sa démarche simplement : " Mon expérience dans un des plus grands cabinets du Canada a été très enrichissante, mais, malgré toutes les opportunités que l'emploi offrait, j'ai réalisé que je désirais plutôt mettre mon expertise au profit de causes sociales et environnementales qui me tiennent à coeur ".
Madame Claivaz-Loranger aurait certainement pu contribuer à des causes pro bono en restant dans cette entreprise. Elle voulait aller plus loin. Elle fait partie des individus qui ne peuvent séparer action et rhétorique. Les causes sociales lui tenant à coeur sont nombreuses : promotion du transport durable en ville, consommation responsable, responsabilité sociale et environnementale des entreprises, droits de la personne. Après quelques mois de discussions avec des proches, elle décide de quitter son emploi au sein d'un grand cabinet d'avocats afin de s'orienter vers un mode de vie pouvant lui offrir la possibilité de faire une différence quotidienne dans la communauté. " Et pas seulement en marge des heures facturables " explique-t-elle. Elle cherchait aussi un secteur dans lequel les heures de travail sont plus souples. Cela lui permet de se consacrer à diverses activités bénévoles et de mener une vie plus équilibrée. Depuis, elle a commencé à s'impliquer comme avocate bénévole auprès d'un organisme environnemental de Montréal.
Madame Claivaz-Loranger est maintenant coordonnatrice du programme Droits de la personne et VIH/sida pour la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-Sida). Elle déménage du coeur du centre-ville de Montréal aux confins du Quartier Latin.
Un scénario fréquent entourant l'engagement communautaire est celui du témoin d'une iniquité sociale qui décide de passer à l'action. Ce n'est pas le cas de l'avocate. En arrivant à la COCQ-Sida, elle découvre une toute nouvelle perspective sur les enjeux juridiques auxquels sont confrontés des individus qui, en plus de devoir apprendre à vivre avec une maladie, sont souvent mis en marge de la société. La stigmatisation et discrimination à laquelle les personnes vivant avec le VIH ou le sida sont trop souvent confrontées sont alimentées par de nombreux préjugés.
" J'apprends énormément depuis que je suis à la COCQ-Sida, je réalise qu'il y a beaucoup à faire pour améliorer les conditions de vie des personnes vivant avec le VIH ou le sida " explique-t-elle. Énergique, elle est prête à relever le défi. Le milieu communautaire lui permet de canaliser le dynamisme qui l'anime. À la COCQ-Sida, Madame Claivaz-Loranger s'affère entre autres à mettre sur pied une clinique d'information juridique et à coordonner différents projets ayant pour but de promouvoir et de défendre les droits des personnes vivant avec le VIH ou le sida.
Pour ces jeunes qui décident de changer de monde, le plus difficile est de sortir de la cage dorée que confère un éventail d'avantages sociaux ou des salaires parfois considérables. La valorisation fournie par le travail communautaire remplace ces avantages matériels aux yeux de plusieurs. Pour de nombreux professionnels, le plus difficile est le premier pas. L'exemple de Madame Claivaz-Loranger prouve pourtant qu'il est possible de le faire. Même du 40e étage.
Un grand cabinet est un milieu de travail stimulant pour un jeune juriste, mais le milieu des affaires auquel sont associés ces cabinets ne correspond pas toujours à leurs aspirations professionnelles. Or, celles-ci prennent de plus en plus d'importance dans la vie professionnelle de la génération " Y ". On peut donc espérer voir de nombreux organismes communautaires profiter des talents cultivés dans le grand vivier du monde corporatif. Perdre une des avocates du 40e étage n'est peut-être pas aussi tragique pour un cabinet qu'il est heureux d'en trouver une pour un organisme du monde communautaire.
Pour en savoir plus (2076 hits)