Mots-clés : gaz de schiste, shale gas, indépendance énergétique,
hydrocarbures, exploitation, André Caillé, Québec (province de).
Les choix énergétiques du Québec ne seraient-ils
qu'une affaire d' " enthousiasme", de "conviction profonde", de foi
joviale en somme, comme on peut lire dans la libre opinion d'André Caillé, publiée récemment dans Le Devoir (6 juillet 2010) et le Soleil (13
juillet)? Les promoteurs se lancent dans une entreprise de "grande
séduction" du public, qu'il importe de convaincre du bien fondé, de la
nécessité et de l'urgence d'exploiter les hydrocarbures, en particulier
le gaz de schiste (shale gas) au Québec. Car le
problème se situerait non pas dans ce projet lui-même, qui annonce un
nouvel Eldorado, mais dans l'ignorance et les préjugés des citoyens. En
vue de favoriser le développement de cette filière énergétique, on se
hâte - en toute "transparence" - d'informer les incultes et de faire
la démonstration de l'acceptabilité sociale du projet : l'exploitation
des ressources gazières "est bonne pour le Québec, tant sur le plan
énergétique, économique qu'environnemental". André Caillé dixit et le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) aussi.
Mais qui donc serait contre une telle vertu? Tous
ceux qui examinent sérieusement ce dossier! Un nombre grandissant de
citoyens, d'organisations et de groupes environnementaux - l'AQLPA en
tête, avec Nature Québec, la Coalition Eau Secours!, la Fondation David
Suzuki, Équiterre, Greenpeace et autres - ont compris l'incohérence et
les problèmes d'envergure inhérents à ce projet, et réclament d'urgence
sa remise en question.
On apprend entre autres que les informations
communiquées à la population par le MRNF proviennent des experts des
compagnies gazières elles-mêmes et n'ont pas fait l'objet de
vérifications. Bien qu'il s'agisse d'une situation de risques majeurs,
le développement du gaz de schiste a été soustrait à la démarche
gouvernementale d'évaluation environnementale. La Loi sur les mines a préséance sur toute autre loi canadienne ou québécoise (dont la Loi sur la qualité de l'environnement, la Loi sur l'eau, la Loi sur le développement durable, etc.). Et le secret commercial scelle le couvercle.
A défaut de déconstruire ici un à un les arguments
de monsieur Caillé et des porte-parole du MRNF, voici quelques
affirmations qu'il sera possible d'appuyer dans un autre contexte.
- L'exploitation du gaz de schiste
implique de nombreux problèmes. Entre autres : utilisation et
contamination de très grandes quantités d'eau (alors que les plans d'eau
sont en bas des niveaux historiques); utilisation d'une quantité
importante de divers produits chimiques (multipliée par le nombre de
puits et par le nombre d'années); risques d'émanation de gaz nocifs
(dont le radon et le méthane); problème d'acceptabilité sociale dans une
zone d'exploitation densément peuplée, avec de nombreux
conflits d'usage potentiels, dont l'usage industriel des meilleures
terres agricoles; absence de réglementation; gestion des risques et
mesures d'urgence inexistantes ou inadéquates; techniques d'extraction
générant beaucoup de gaz à effet de serre et mise à disposition de
nouvelles ressources en hydrocarbure, de nature à accroître la demande;
absence d'études sur le bilan carbone d'une telle filière; retombées
économiques douteuses en raison, entre autres, des nombreuses
externalités; etc.
- Les "leçons d'ailleurs" - via
les médias et les rapports d'enquête - sont de nature à nous inquiéter
vivement (fuites, explosions et incendies, fissures dans le ciment et
les tuyaux devant contenir les boues de fracturation, etc.). En
l'absence d'études rigoureuses et validées - connaît-on bien entre
autres les spécificités du sous-sol de la vallée du Saint-Laurent et la
dynamique de circulation des eaux profondes et des gaz souterrains? -
l'exploitation du gaz de schiste correspond à une vaste expérimentation,
aux dépens des citoyens et des écosystèmes.
- Les messages concernant les
retombées économiques et les emplois potentiels de cette filière
(beaucoup de camionnage!) se basent sur un scénario de développement à
grande échelle, avec évidemment des impacts à grande échelle. Par
ailleurs, les chiffres avancés (2 milliards de revenus pour le Québec)
ne sont pas mis en perspective du budget global et au regard
d'alternatives, et ils sont très contestables en termes de retombées
collectives : tout au privé!
- Aux "leçons d'ailleurs"
s'ajoutent les "leçons du passé". L'histoire de l'énergie au Québec
montre qu'il y faut se méfier des "bulles" : souvenons-nous du
nucléaire dans les années 60, de l'éthanol (maïs grain), du Suroît. Le
développement du gaz de schiste est une "bulle" politico-économique
qui pourrait être très préjudiciable au développement énergétique à long
terme du Québec.
- Le fait de privilégier les
hydrocarbures empêche de mettre résolument l'accent sur le développement
des énergies renouvelables en opérant une distorsion sur les forces du
marché et en déviant les actions du gouvernement des objectifs fixés
dans ses programmes relatifs à l'environnement et au développement
durable, dont celui des changements climatiques.
- Il n'y a pas d'urgence : le gaz ne
s'échappera pas. Le seul véritable facteur qui pousse à une
exploitation rapide est l'expiration des permis octroyés aux compagnies.
Un moratoire s'impose, dès maintenant - sans attendre la nouvelle
politique et le cadre législatif qui s'annoncent (et qui seront créés en
collaboration avec l'industrie). Les activités gazières en cours
deviennent le point de départ d'un engrenage fort inquiétant et qui
pourrait s'avérer très coûteux pour le Québec s'il fallait racheter les
droits de produire (qu'on pense aux échecs des centrales de Bécancourt
ou de Gentilly).
- En cohérence avec le principe de
précaution, il faut exiger des études d'impacts aux échelles locale,
régionale et macro-régionale de ce développement industriel majeur; ces
études doivent être à l'abri de toute collusion politico-économique.
- Une consultation publique
(audience générique) doit être mise en place par le Bureau d'audiences
publiques sur l'environnement (BAPE), abordant tous les aspects de la
problématique et aussi les solutions alternatives.
- Des études comparatives de
rendement énergétique et de rentabilité économique à long terme entre
différentes filières devront être menées en vue de produire une nouvelle
politique énergétique véritablement éclairée - qui ne se limite pas à
générer des mesures réglementaires pour mieux permettre des choix
inappropriés.
- Il existe des liens étroits entre
les différentes problématiques énergétiques au Québec : le gaz de
schiste, le forage pétrolier, les ports méthaniers, les pipelines, le
nucléaire, les petites centrales, le harnachement inutile des dernières
grandes rivières, le développement chaotique de l'éolien, etc. Une
réflexion en profondeur s'avère essentielle en cette étape d'un tournant
énergétique majeur au Québec.
Voilà donc quelques-unes des bonnes raisons de
s'opposer, de résister et surtout, de poursuivre la mise en place des
conditions d'une véritable souveraineté énergétique, à long terme. Nous
devons nous y appliquer "sans relâche".