Les dirigeants de compagnies actives dans les énergies fossiles ont même livré un vibrant plaidoyer pour rappeler que la demande globale ne saurait être rencontrée qu'en proposant une offre complète et variée de sources d'énergie au consommateur final. Selon Rick George, président directeur général de Suncor, il faut rester pragmatique. " Le futur passera par l'accroissement de l'offre énergétique, pas par sa restriction. C'est l'utilisation de sources d'énergie conventionnelles telles le gaz, le charbon, ou le pétrole qui pourra financer les efforts de développement de sources d'énergies alternatives ", a-t-il exposé. Le président de Peabody, leader mondial de l'industrie du charbon d'ajouter que " Croire que l'Homme ne consommera pas à terme l'entièreté du charbon disponible sur la terre est un leurre (...). Le charbon est la seule énergie qui pourra rencontrer les besoins mondiaux croissants en énergie. "
Le principal message qui est ressorti des discussions de ce congrès est que chaque source d'énergie, qu'elle soit renouvelable ou non, constante ou intermittente, est complémentaire. En fonction des particularités géographiques, politiques, ou économiques de chaque pays, le mixte énergétique doit être adapté à la réalité du terrain, et tant pis si les solutions mises en oeuvre ne sont pas les plus efficaces ou les moins polluantes. C'est une simple question d'offre et de demande, de coût de revient et de prix du marché.
Bons joueurs, tant les entreprises privées que les acteurs politiques, se sont entendus sur la nécessité de limiter les impacts environnementaux de l'accroissement de la production énergétique. Ils ont soutenu une amélioration des technologies actuellement disponibles et l'adoption de politiques plus strictes en matière de responsabilité sociale, plus ouvertes sur l'innovation, la recherche et le développement. Des mesures incitatives pour les populations locales doivent également être prises pour susciter des changements de comportement individuel et dans les communautés locales.
Absence de la société civile et des pays en voie de développement
Alors que toutes les populations de la planète sont directement impactées par les changements climatiques et que l'accès à l'énergie est un problème qui concerne particulièrement les pays en développement (PED), les représentants de la société civile et des PED ont été extrêmement discrets pendant le CME 2010. À l'exception de la fondation David Suzuki venue présenter une initiative pour la stratégie énergétique du Canada et certains ministres invités par l'Organisation Internationale de la Francophonie, les discussions se sont limitées entre acteurs économiques du secteur.
Un représentant du ministère sénégalais de l'environnement faisait d'ailleurs remarquer que, à nouveau, les PED n'ont pas eu droit au chapitre pour les enjeux qui les concernent directement. S'ils avaient un plus grand poids dans les discussions et la gestion des fonds et des politiques qui touchent directement les populations des PED, les acteurs locaux pourraient apporter des solutions innovantes, issues de leur meilleure connaissance des besoins et des spécificités régionales.
L'efficacité énergétique : ignorée des débats
Selon Pierre Gadonneix, président du Conseil mondial de l'énergie, " les nouvelles stratégies énergétiques mondiales doivent répondre à trois critères particuliers : assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique (accessibilité), réduire les inégalités sociales existantes (disponibilité), et limiter l'impact sur l'environnement (responsabilité et acceptabilité). "
Au Québec, le débat sur l'opportunité de commencer l'extraction des gaz de schiste bat son plein. Aux États-Unis et au Brésil, entre autres, certains considèrent les forages de pétrole et de gaz en eaux profondes comme une solution pour diversifier l'offre énergétique et ce malgré le désastre écologique de la récente marée noire dans le golfe du Mexique. Partout dans le monde, et plus particulièrement en Europe, le nucléaire vit une seconde jeunesse. En Chine et en Inde, c'est la production de charbon qui est mise de l'avant. Les exemples sont trop nombreux pour être tous cités, mais le constat est sans appel : la satisfaction de la demande passerait presque exclusivement par un accroissement de l'offre.
Jamais durant le CME 2010 la question de l'efficacité énergétique n'a été sérieusement abordée. Est-ce que notre production actuelle ne pourrait être suffisante pour combler nos besoins futurs? Car, faut-il le rappeler, produire plus, même en utilisant les meilleures technologies disponibles ou à venir, aura toujours pour conséquence d'accroître l'impact environnemental global et les émissions de gaz à effet de serre (GES). À deux mois du sommet des Nations Unies sur les changements climatiques, où les pays de la planète doivent faire des choix capitaux en matière de stratégie climatique, pourquoi ne pas prendre le problème dans l'autre sens et se demander si au lieu de produire plus on ne devrait pas tout simplement produire mieux?
M. Jacques Régis, président de la Commission électrotechnique internationale constate qu'à l'heure actuelle, les infrastructures et la technologie d'exploitation sont loin d'être efficaces. C'est environ 70 % de toute l'énergie brute produite à travers le monde qui disparaissent purement et simplement avant d'arriver chez le consommateur final. On peut dès lors imaginer que la hausse prévue de la demande énergétique mondiale de 40 % à l'horizon 2030 pourrait être satisfaite, non pas uniquement par une hausse de l'offre, mais bien par une amélioration des techniques de production, de distribution, et de stockage de l'énergie.
Créer un avantage compétitif durable
Une augmentation de l'efficacité de la chaîne de valeur énergétique, une gestion améliorée du parc existant et une réduction des pertes des réseaux de distribution, de même qu'une modification des comportements de consommation sont autant de mesures qui permettront non pas de devoir produire plus d'énergie mais de la produire et de la répartir plus efficacement.
Sans un effort accru à l'échelle mondiale, d'harmonisation technologique, de standardisation des modes de production et de distribution, et la mise en place de solutions globales, l'augmentation des capacités de production ne restera qu'un emplâtre sur une jambe de bois, une solution écologiquement et économiquement inefficace.
Il est sans doute moins rentable à court terme pour les entreprises du secteur des technologies fossiles de produire moins et de distribuer mieux, que de puiser plus dans les ressources encore disponibles pour augmenter continuellement le volume d'activité. Toutefois, plaider haut et fort en faveur de cette stratégie va à l'encontre des principes fondamentaux d'un développement durable, qui a pourtant été mis en avant par tous les intervenants.
Les dirigeants de ces entreprises ne semblent pas réaliser que leur potentiel de croissance à long terme et l'augmentation de la valeur ajoutée se trouvent dans l'amélioration de leur performance opérationnelle pour créer un véritable avantage compétitif à long terme. Quand on parle d'innovation c'est une question technologique mais c'est aussi une question de vision, d'organisation, et de stratégie.
Lier énergie, environnement et développement
Les stratégies énergétiques qui seront mises en oeuvre dans les prochaines années seront les premières responsables du succès ou de l'échec de l'atteinte des objectifs définis par l'ensemble des pays du monde en matière de développement humain et de limitation des émissions de GES.
À l'aube de discussions cruciales tant sur les Objectifs du millénaire, dont l'Assemblée générale des Nations Unies fera le bilan quinquennal cette semaine à New-York, que sur les changements climatiques qui auront lieu dans deux mois au Mexique, il est temps de se poser les bonnes questions. Le pessimisme est pourtant de rigueur. Les Objectifs du millénaire seront loin d'être atteints en 2015 et l'objectif défini dans la douleur à Copenhague en 2009 de limiter l'augmentation de la température moyenne du globe de 2 degrés par rapport au niveau préindustriel est également fortement compromis. Les estimations actuelles les plus optimistes font état d'une augmentation minimale de 3 à 4 degrés si rien n'est fait.
S'enfermer dans une vision qui favorise le recours à des sources énergétiques fossiles non renouvelables pour combler une demande en forte augmentation, et ce pour des raisons purement économiques ou politiques, est non seulement une erreur stratégique majeure pour les entreprises du secteur, mais est surtout totalement inconscient. Il est de la responsabilité des tous les acteurs, politiques, économiques, et sociaux de définir ensemble des stratégies et des moyens d'action concrets, respectueux des principes de développement durable, qui assureront un avenir meilleur aux populations les plus fragiles, une rentabilité économique à long-terme, mais aussi, et surtout, un avenir à la planète tout court!
Dans les prochaines décennies, il est évident qu'on ne pourra pas encore se passer d'une certaine quantité d'énergie provenant de sources fossiles, mais l'objectif principal et prioritaire à atteindre doit être de réduire au minimum la durée de la période de transition entre énergies non-renouvelables et énergies vertes, pas de maintenir à long-terme un mixte énergétique incluant des sources d'énergie polluantes ou inefficaces.
Comment y arriver? C'est la réponse à cette question sur laquelle il aurait sans doute fallu se pencher davantage...
Une analyse signée Antoine Bourgoignie.
Mots-clés : énergie, Congrès mondial de l'énergie (CME) 2010, stratégie énergétique, développement durable.
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