Il était une fois une ville où les allégations de corruption
volaient bas. Les promoteurs de tous poils y faisaient des affaires en
béton, avec le support de gouvernements prêts à investir gaillardement
l'argent des contribuables dans de folles aventures immobilières. Seul
grain de sable dans l'engrenage, un dangereux virus avait réussi à faire
dérailler plusieurs projets promis aux plus belles espérances. Le NIMBY
(Not In My BackYard), qui pouvait transformer la plus raisonnable
grand-mère en activiste belliqueuse, donnait bien du souci aux
promoteurs et à leurs amis. Plusieurs citoyens avaient en effet réalisé
qu'ils étaient capables, par voie de référendum, de décider ce qui se
construirait ou pas dans leur voisinage. De référendum en référendum,
ils avaient clairement démontré leur égoïsme et leur totale absence de
sens des responsabilités. Tout ce qui les intéressait, c'était leur
petit jardin ou leur petit quartier tranquille, sans aucune
considération pour les bienfaits du développement... Le pouvoir citoyen
était donc devenu un sérieux obstacle au progrès.
Ce pouvoir provenait d'une loi écrite par un gouvernement révolu qui, dans sa grande naïveté, avait laissé au peuple le droit de décider, sans intermédiaire, du type d'habitat dans lequel il souhaitait vivre. Comme si les citoyens étaient capables de comprendre les enjeux de leur époque et de décider comment y répondre! Comme si leurs élus et leurs experts n'étaient pas les mieux placés pour s'occuper de leurs affaires... Il était plus que temps de laisser les décideurs décider en paix. Ça tombait bien, le développement durable passait par là.
Sur les conseils avisés du milieu de l'immobilier, la loi a donc été réécrite de façon à assurer le développement optimal de cette industrie. Réservant le référendum aux chicanes de voisinage, elle permettrait dorénavent d'affranchir les secteurs stratégiques d'une ville ou d'un village de toute obligation d'approbation référendaire. Quand on parlerait de choses sérieuses, les citoyens conserveraient le droit de " chialer " (en consultation publique), mais plus celui de décider (en référendum). En dehors des secteurs stratégiques, on laisserait les citoyens jouer au référendum, mais juste sur les points vraiment importants pour eux, comme les usages ou la hauteur des bâtiments, mais pas sur les densités, une considération technique qui de toute évidence ne concernait que les décideurs (et leurs amis).
Une fois les citoyens muselés, il restait un dernier irritant potentiel : les conseillers de l'opposition, qui comme chacun sait, ont peut seul objectif de ralentir les dossiers. En remettant leur pouvoir entre les membres d'un comité décisionnel en urbanisme composé de seulement trois " bons " membres du conseil, on limiterait sérieusement le pouvoir de nuisance des opposants puisqu'ils ne seraient plus au courant du détail des dossiers. Et en plus, les simples citoyens auraient à faire deux fois plus d'efforts pour se tenir au courant de ce qui se passe chez eux...
Ceci n'est pas une histoire de peur! C'est ce que vous trouverez textuellement dans l'avant-projet de loi sur l'aménagement durable du territoire et l'urbanisme (LADTU), qui fait tellement consensus dans les milieux municipaux (urbanistes inclus) que tout ce beau monde garde un silence pudique sur des dispositions qui, sous couvert de participation citoyenne, retirent aux citoyens le peu de pouvoir dont ils disposaient face au puissant lobby de la construction! Pour mieux comprendre, on ne peut que recommander la lecture du très instructif mémoire déposé par ce lobby (IDU, ou Institut de développement urbain du Québec) en amont de la rédaction de la loi.
Pour éviter une totale dictature municipale entre deux élections, les citoyens qui auraient envie de garder un minimum de contrôle sur leur environnement ont jusqu'au 25 avril pour déposer des mémoires ou demander à être entendus en commission parlementaire à l'Assemblée Nationale. Ensuite, si cette loi est adoptée telle quelle est présentement écrite, les citoyens auront toujours le droit de " chialer "... mais non plus celui de décider de l'avenir de leur quartier ou de leur village!
ANNEXE :
Extraits de certains articles de l'avant-projet de loi sur l'Aménagement durable du territoire et l'urbanisme
82.Le plan d'urbanisme peut délimiter toute partie de son territoire qu'il juge devoir prioritairement faire l'objet de rénovation urbaine, de réhabilitation ou de densification, qu'il définit en tant que zone franche d'approbation référendaire et à l'intérieur de laquelle aucune modification réglementaire ne sera sujette à l'approbation référendaire. Il définit des objectifs, stratégies et cibles spécifiques à cette fin.
PAS DE RÉFÉRENDUM SUR LES ZONES FRANCHES
205. Malgré l'article 204, n'est pas sujette à l'approbation référendaire :
1˚ toute disposition en tant qu'elle est applicable à une zone franche d'approbation référendaire délimitée conformément à l'article 82;
2˚ toute disposition adoptée dans le but d'assurer la sécurité publique, la santé publique ou la protection de l'environnement.
PLUS DE RÉFÉRENDUM DANS LES ZONES FRANCHES
§2. -- Comité décisionnel
109. Le conseil d'une municipalité locale peut, par règlement, instituer un comité décisionnel d'urbanisme. Toutefois, la constitution d'un comité décisionnel d'urbanisme par un conseil d'arrondissement n'est pas permise lorsque ce conseil d'arrondissement est composé de moins de sept membres.
110. Le comité décisionnel d'urbanisme est composé de trois membres du conseil.
111. Les séances du comité sont publiques.
112. Le comité exerce, parmi les pouvoirs discrétionnaires de portée individuelle prévus à la section III, ceux qui lui sont délégués par règlement du conseil. Toutefois, la délégation prévue au premier alinéa est sans effet quant à une question :
1˚ Lorsque la demande émane d'un membre du comité;
2˚ Lorsqu'un membre du comité est dans l'obligation de divulguer son intérêt dans la question conformément à l'article 361 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (L.R.Q., chapitre E-2.2).
MOINS DE TRANSPARENCE
TITRE V - Dispositions relatives à l'adoption et à l'entrée en vigueur des règlements d'urbanisme d'une municipalité locale
204. Pour l'application des dispositions du présent titre, est sujette à l'approbation référendaire toute disposition qui, une fois en vigueur, aurait pour effet de modifier, dans un lieu donné :
1˚ la liste des usages autorisés, y compris les usages conditionnels;
2˚ une norme relative à la dimension, au volume ou au type des bâtiments autorisés. Est également sujette à l'approbation référendaire toute disposition, adoptée en vertu de l'article 129, prévoyant, à titre incitatif, une norme de remplacement à l'égard de l'un des objets visés au paragraphe 2° du premier alinéa.
PLUS AUCUNE POSSIBILITÉ DE RÉFÉRENDUM SUR LES DENSITÉS
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