Voici le paradoxe de la consommation de fruits de mer au Québec : on y importe de grandes quantités de produits tels le saumon d’élevage du Chili, tout en exportant une bonne partie de la production locale. Ainsi, les Québécois surconsomment des espèces déjà fragilisées au lieu de profiter des excellents produits locaux plus durables. La certification Fourchette bleue, affiliée au musée Exploramer, ambitionne de faire changer cette situation.
Sandra Gauthier, directrice et fondatrice d’Exploramer, dresse le portrait de la consommation de fruits de mer des québécois : En 2017, 26 000 tonnes de produits de la mer toutes espèces confondues ont été exportées par le Québec pour une valeur d’environ 17 692 $/tonne, tandis que 51 500 tonnes ont été importées, pour environ 10 252$/T. Ainsi, les Québécois exportent leurs produits locaux de qualité tout en consommant des produits importés de qualité moindre. Pourquoi ? Par méconnaissance des trésors que recèle le Saint Laurent, selon Sandra Gauthier.
Le programme Fourchette bleue a pour objectif d’amener la population à diversifier sa consommation de produits marins locaux, de façon à permettre aux pêcheurs de diversifier leurs prises, de minimiser les rejets en mer, et de réduire l’import / export de fruits de mer. Pour ce faire, La Fourchette bleue travaille en collaboration avec l’industrie de la pêche et des chercheurs afin de revoir la quantité et la variété de produits exploités. En effet, les rejets en mer ont lieu lorsque les pêcheurs, en cherchant une espèce spécifique pour laquelle ils ont un permis, font des « prises accessoires », c’est-à-dire capturent accidentellement d’autres espèces moins en demande. On peut citer en exemple les « crapauds de mer », délicieux mais vilains à regarder, tels que la baudroie, le chaboisseau, et l’hémitriptère : ce sont des espèces peu connues et donc peu recherchées par les acheteurs. « Au Québec on aime les beaux poissons comme les belles morues, les beaux maquereaux brillants. On s’intéresse moins aux poissons moins jolis », explique Sandra Gauthier. Si le pêcheur sait qu’il ne parviendra pas à vendre ces prises, il risque de les rejeter en mer afin de garder l’espace de sa cale pour les espèces plus demandées. Ceci est à la fois un gaspillage de ressources, les bêtes pêchées mourant des suites de leurs blessures, et une pression accrue sur les espèces recherchées qui sont les seules à être consommées.
C’est pourquoi le musée Exploramer a créé un «écoguide» qui propose une liste de produits du Saint Laurent à privilégier pour la consommation, répartis en cinq catégories : « poissons », « fruits de mer », « algues », « mammifères marins » et « mariculture ».
À propos de l’auteure : Bérénice La Selve est étudiante à la maîtrise en environnement à l’université de Montréal et elle se passionne pour les questions de gestion des matières résiduelles et d’alimentation.
Cette liste est établie selon une méthodologie en quatre étapes. L’équipe d’Exploramer commence par procéder à un échantillonnage des espèces comestibles. Ensuite, elle analyse les rapports de stocks de fruits de mer dans l’estuaire et le golfe du Saint Laurent afin de sélectionner les espèces disponibles en quantités suffisantes. Puis elle analyse des techniques de pêche en termes de respect des fonds marins. Enfin, le degré de méconnaissance du produit par les marchés de consommation est évalué en comparant la demande par rapport aux quotas pêchés, de façon à prioriser les espèces méconnues. Une liste préliminaire est établie sur la base de toutes ces informations, puis est soumise à un comité composé de l’industrie de la pêche et de scientifiques (universités, centres de recherche, différents ministères, etc.).
« Ce qui fait de La Fourchette bleue un programme fédérateur, estime Sandra Gauthier, c’est que nous sommes les seuls qui parviennent à rassembler à la même table de discussion l’industrie de la pêche et les scientifiques ». La raison ? « Au lieu de pousser au boycott, nous encourageons à repenser la consommation », explique-t-elle.
Cette démarche offre donc à la fois des perspectives d’avenir aux pêcheurs, et diffuse le message de protection de la biodiversité que souhaitent faire passer les scientifiques.
Quels sont les projets à venir de Fourchette bleue ? Sandra Gauthier en énumère quelques-uns : soutien au développement des techniques de pêche respectueuses de l’environnement, élargissement des créneaux de certification aux écoles et usines de mariculture, et la mise en place de « paniers prise du jour », qui proposeront les espèces en saison selon le même principe que les paniers de légumes.
En conclusion : bien que le gaspillage des ressources marines soit loin d’intervenir uniquement à l’étape du rejet des prises accessoires, comme nous l’avons exposé dans cet article, l’initiative Fourchette bleue est un bel exemple de collaboration aux divers niveaux de la chaîne alimentaire, depuis les pêcheurs jusqu’aux consommateurs en passant par les scientifiques et les restaurateurs. Cette collaboration permet la mise en pratique de solutions tendant vers plus de durabilité. A quand la même démarche pour valoriser les produits industriels de la mer ?
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