Par Catherine Paquette pour GaïaPresse
Grande marche pour le Fjord et la planète
samedi le 10 novembre 2018 à la Ville de Saguenay // Photo : MBPro.Quebec
Des résidents du Saguenay—Lac-Saint-Jean font des pieds et des mains depuis des années pour protéger le paysage qu’offre le Fjord du Saguenay, leur « joyau touristique ». Mais alors que les projets d’exploitation s’accumulent dans la région, est-ce leur impuissance ou leur ferveur qui gagnera la bataille? Les citoyens veulent être entendus.
L’ambiance était tendue lors de la séance du conseil de la MRC du Fjord Saguenay du 12 février, raconte Line Brissette, membre du Collectif Anse à Pelletier. C’est lors de cette soirée que le conseil a voté un nouveau règlement permettant la tenue d’activités industrielles aux abords de la rivière Saguenay, dans la zone visée par la minière Arianne Phosphate. Alors que l’Agence canadienne d’évaluation environnementale a approuvé en octobre la construction d’une plateforme portuaire de 280 mètres permettant l’exportation du minerai, lutter contre le changement d’usage des terrains de la municipalité était la dernière option pour les opposants au projet. Mais c’était peine perdue : le préfet de la MRC a affirmé à maintes reprises dans les médias avoir les mains liées en raison des approbations précédentes par les deux autres paliers de gouvernement.
Pour beaucoup de résidents, le changement de zonage constitue une décision trop hâtive qui ouvre grand la porte à ce projet d’exploitation « insensé ». Alors que beaucoup de citoyens accueillent favorablement le développement économique promis par la MRC, le Collectif Anse à Pelletier craint quant à lui que la minière Arianne Phosphate ne trouve pas les fonds nécessaires à l’avancement du projet*, dont l’investissement initial est estimé à plus de 1,2 milliards de dollars. Ils redoutent aussi de voir le futur port de Sainte-Rose-du-Nord devenir un gouffre financier pour le gouvernement provincial si le projet d’Arianne Phosphate ne voit pas le jour, en plus de « ruiner » le paysage et le patrimoine naturel de la région.
« Le Fjord, c’est notre identité, notre joyau touristique. Ils envoûtent la population avec des promesses de jobs payantes et des retombées faramineuses », regrette Line Brissette, qui milite contre le projet de Arianne Phosphate depuis 2013, munie d’une foule de documents qu’elle entasse dans des boîtes à la maison. Malgré que le projet ait été approuvé, la citoyenne membre du Collectif Anse à Pelletier ne se résigne pas et refuse d’entendre les promesses de développement économique et de redevances avancées par la municipalité, auxquelles elle ne croit pas. « Tout ce que nous pouvons faire, c’est faire du bruit dans les médias », insiste-t-elle.
« Où est-ce qu’on doit se plaindre? Nous n’avons pas d’options »
Anne Gilbert-Thévart, Coalition Fjord
De son côté, la Coalition pour la Protection de l’Intégrité du Fjord (Coalition Fjord) déplore que les mobilisations citoyennes n’aient pas l’impact escompté malgré les consultations qui ont eu lieu au courant des derniers mois.
« En date d’aujourd’hui, il n’y a plus rien à faire dans le dossier Arianne Phosphate », constate la porte-parole de la Coalition Anne Gilbert-Thévard. Cette dernière se dit inquiète quant aux processus démocratiques en lien avec l’implantation et l’accumulation de projets près du Parc marin du Saguenay Saint-Laurent. Bien que les citoyens soient très mobilisés et participent aux consultations, il semble qu’ils ne soient pas entendus, juge-t-elle. Elle déplore que le seul espace de discussion auquel ils aient accès soit offert par des instances non-décisionnelles.
« Quand il y a eu les audiences du BAPE les gens sont allés parler, quand il y a eu l’Agence [canadienne d’évaluation environnementale]tout le monde est allé parlé, mais ce ne sont pas des instances décisionnelles. Tout le monde a parlé, mais c’est comme si on n’avait plus le droit de parler vu qu’on est déjà allés parler quelque part. […] Quand on va [se plaindre]dans une municipalité, ce qu’on se fait répondre c’est que ce n’est pas eux qui décident. Donc nous, comme habitants de la région, notre seule option c’est d’aller parler à Justin Trudeau ou à François Legault. Où est-ce qu’on doit se plaindre? Nous n’avons pas d’options », déplore la porte-parole.
Alors que la route est pavée pour l’établissement de la mine Arianne Phosphate au nord de la rivière Saguenay, la Coalition Fjord promet d’être présente lors des consultations concernant le projet Énergie Saguenay, un projet de complexe de liquéfaction de gaz naturel qui nécessitera également la construction d’un gazoduc reliant le nord-est de l’Ontario, l’Abitibi et le Saguenay.
De concert avec 33 autres organisations et comités, la Coalition Fjord a demandé lors d’une conférence de presse en janvier l’évaluation globale des impacts de ces projets à venir. Le regroupement militant y a alors dénoncé le délai et le format d’une consultation lancée par le Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. « Le lancement en catimini d’une consultation sur la partie gazoduc du projet (une annonce discrète dans un quotidien régional) le 19 décembre, à la toute veille du congé des Fêtes, apparaît tout à fait inapproprié », peut-on lire dans le communiqué du regroupement. Cette critique illustre les inquiétudes que met de l’avant la Coalition Fjord quant aux processus démocratiques.
Photo : Coalition Fjord
Anne Gilbert-Thévard estime que les multiples mobilisations pour l’environnement à travers le Québec donneront un coup de pouce aux actions citoyennes des Saguenéens qui souhaitent protéger le Fjord. Elle entrevoit un « momentum » d’action pour les mois à venir. Elle a un rêve : voir se réunir tous les experts et les acteurs politiques et citoyens du Saguenay-Lac-St-Jean dans une grande démarche de collaboration pour définir les orientations futures de la région. Elle assure que la Coalition n’est pas contre les projets industriels, mais espère que le développement soit coordonné adéquatement, de façon démocratique, et de manière à diminuer les impacts cumulatifs sur l’environnement.
« On est à un croisement en ce moment au niveau écologique et au niveau de la mentalité de la population : il faut changer les choses. On pourrait faire du Saguenay Lac St-Jean une région qui expérimente, soit économiquement, soit pour la transition, peu importe comment on appelle ça. Moi, j’en rêve, lance-t-elle remplie d’espoir. J’aimerais voir un méga forum ou un grand comité pour réunir tous les experts possibles pour décider ce qu’on veut faire de l’économie de notre région dans le futur au lieu d’accepter n’importe quel projet industriel. »
*La future rentabilité du projet Arianne Phosphate a aussi été mise en doute par un économiste de la direction générale de l’évaluation environnementale et stratégique du ministère de l’Environnement du Québec, tel que rapporté par Le Devoir et Radio-Canada. Le Gouvernement du Québec a toutefois déjà investi plus de 3,4 millions de dollars dans le projet.
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