Haïti : L’aménagement du territoire comme support nécessaire au développement durable
dimanche 5 mars 2006
Par Jean-Olthène Tanisma [1]
Soumis à AlterPresse le 28 février 2006
Le développement durable est devenu depuis le début des années 80, l’une des pierres d’assise de l’aménagement et du développement des collecivités humaines à travers la planète.
Cette approche qui réfère essentiellement à l’urgence de lier le développement socio-économique des territoires à la préservation de l’environnement, a monopolisé l’attention des experts du monde entier à la conférence des Nations-Unies sur le développement à Stockholm en 1972. Ces réflexions se sont poursuivies lors des conférences internationales de Rio en 1992 et plus récemment, à Kyoto en 1997.
Les grands principes du développement durable ont, depuis, monopolisé l’agenda des gouvernements du monde entier. L’intérêt de ces différentes conférences réside dans le fait qu’elles ont pu recueillir un consensus solide entre les experts des pays du Tiers-monde, de ceux en voie de développement et des nations nanties, en regard des nouvelles pratiques environnementales qui doivent soutenir et favoriser l’essor socio-économique des collectivités. À Rio, une attention spéciale a été portée sur les problématiques d’organisation des villes en rapport avec le développpement durable.
Si les pays riches disposent des moyens économiques, techniques et institutionnels essentiels à l’application de ces nouveaux paradigmes, force est de constater que le défi est énorme pour les pays pauvres en raison notamment de la précarité ou de l’absence des ressources et des outils précédemment mentionnés.
À ces lacunes s’ajoutent malheureusement, l’instabilité socio-politique chronique de bon nombre de ces nations, l’absence d’une culture environnementale dans les institutions et dans les moeurs et, enfin, leur dépendance politico-économique vis-à-vis des pays développés. De plus, dans certains cas, leur situation géographique les expose continuellement aux cataclysmes naturels et de leurs conséquences funestes.
Qu’en est-il pour la nouvelle République d’Haïti ?
Au lendemain des élections du 7 février 2006 en Haïti, qui ont confirmé la victoire d’un nouveau président en la personne de René Préval, le moment est venu, une fois de plus, de stigmatiser les sempiternelles dissensions qui minent de façon chronique le développement de ce pays.
Faut-il bien, néanmoins, scruter de manière lucide et objective les différents potentiels et les leviers socio-économiques capables de relancer l’espoir et de concrétiser les rêves des Haïtiens du pays, de ceux de la diaspora ainsi que de plusieurs partenaires étrangers relativement au développement durable.
Rappelons que la pauvreté, la déforestation sauvage et incontrôlée du territoire, l’incapacité et l’irresponsabilité des institutions étatiques, l’insensibilisation d’une grande partie de la population en regard de l’écologie, ont plongé les principales agglomérations dans un marasme environnemental inquiétant, qui compromet sérieusement toute tentative de développement socio-économique viable.
Outre Port-au-Prince qui a subi au fil des ans les affres de l’exode rural et qui étouffe littéralement sous le poids démographique, les trois autres importantes agglomérations du pays, en l’occurrence, les Gonaïves, le Cap-Haïtien et les Cayes font face à une désuétude pitoyable des équipements de santé, d’énergie, de transport, d’éducation et de communications. Ces villes totalisent plus de la moitié de la population du pays et sont incapables de jouer le rôle de moteurs pour leurs communes et leurs bourgs respectifs.
Dans cette perspective, bien que la réforme et la revalorisation des terres agricoles demeurent une priorité, comme l’a annoncé le président élu, il est néanmoins impératif de prendre des actions d’aménagement urbain énergiques en parallèle, ne serait-ce que modestes, pour asseoir le développement économique dont l’agriculture se veut le tremplin.
En effet, l’efficacité de cet objectif essentiel de revitalisation agricole passe par la capacité, entre autres, des villes à favoriser le transport, la transformation, la vente et l’exportation des produits et des marchandises issus de l’arrière-pays ou des villes-centre.
Or, ces conditions ne semblent pas être réunies pour le moment. Certes, il est aisé de comprendre que tout ne peut pas être réalisé en un mandat ou deux, étant donné l’ampleur incommensurable des besoins en Haïti. Mais il convient tout de même de sonner l’alarme pour rappeler que l’on a trop tendance dans ce pays à mettre les charrues avant les boeufs et à ignorer ou à négliger des méthodes et des pratiques de planification territoriales intelligentes qui ont fait leurs preuves dans d’autres pays de la zone.
Par conséquent, l’aménagement intégré du territoire des grandes agglomérations urbaines et régionales du pays constitue incontestablement l’un des virages qui peut amener la Perle des Antilles sur cette voie tant souhaitée du développement durable. En effet, cette initiative essentielle majeure permet d’établir des objectifs de développement cohérents à court et à long termes dans plusieurs secteurs d’activités desdites agglomérations. Elle permet aussi d’évaluer de manière efficace et réaliste, les impacts des différents projets identifiés sur l’environnement.
Alors que plusieurs pays en voie de développement s’attèlent à comprendre et à maîtriser les outils de la planification urbaine et régionale intégrant des exigences environnementales, force est de constater que Haïti est encore au stade "des projets et programmes à la pièce". Il faut refuser cette approche et revigorer les institutions et les ressources humaines aptes à favoriser ce projet collectif.
Actuellement, les structures administratives territoriales proposées par la Commision nationale de la réforme administrative (CNRA) en 2002 offrent une avenue intéressante pour une organisation et une gestion plus rationnelles du territoire. Si les principaux bailleurs de fonds du cadre de contrôle intérimaire (CCI, 2004-2006) désirent être cohérents avec la vision du développement durable dont ils font l’écho, il leur importe de rédéfinir avec le gouvernement haïtien les orientations de certains projets pour y intégrer la planification intégrée immédiate des agglomérations importantes plutôt que de privilégier des interventions isolées.
Le rôle des organisations non-gouvernementales (ONG)
On en dénombre environ une centaine de ONG en Haïti. La présence de bon nombre des ces organisations sur le terrain permet de combler des besoins immédiats dans différents secteurs d’activités économiques et contribue à certains égards, à une prise de conscience des masses populaires quant à leurs responsabilités sociales et environnementales.
Cependant leur actions sur le terrain reste mitigé en raison de leur multiplication exponentielle et de la grande diversité de leurs projets. De plus, certains observateurs soutiennent à tort ou à raison que bon nombre d’entre eux sont dans les faits, les courroies de transmission des intérêts particuliers de certains organismes étrangers.
Sans préjuger du bien-fondé de ces affirmations, il faut parvenir à une gestion plus efficace de leurs interventions par la création d’une instance publique-privée qui aurrait pour mandat entre autres de contrôler et d’orienter et leurs multiples interventions lesquelles doivent absolument s’inscrire dans le cadre d’un plan plus global élaboré par les institutions haïtiennes compétentes.
La conférence de Montréal avec la diaspora haïtienne tenue en décembre 2004 avait suscité un peu d’espoir dans cette perspective. Cependant, certaines études intéressantes de planification dont celle du développement durable intégré de l’agglomération des Gonaïves durement touchée par l’ouragan Jeanne en septembre 2004, sont malheureusement restées lettre morte.
Cette étude préparée par l’Alliance gonaïvienne de Montréal, aurait permis aux autorités compétentes canadienne et haïtienne d’entreprendre un première démarche en ce sens. Malheureusement, les interventions identifiées dans cette étude ont été éparpillées dans plusieurs autres initiatives des ONG et, l’on a perdu complètement le sens et l’intérêt du projet global.
Aux grands maux, les grands moyens
L’objectif de développement durable appliqué au territoire des villes, tel que défini dans les nombreux textes et rapports internationaux sur ce thème n’est pas un concept utopique pour un pays comme Haïti. Par contre, Il exige une volonté ferme de la part des collectivités locales à prendre en main les rênes de leur avenir. Ces dernières devront, pour y parvenir, faire montre de discipline, de maturité et surtout, écarter les démons de la division, du régionalisme stérile, du "chacun pour soi" qui hantent perpétuellement notre communauté.
Car, si Haïti veut rattraper le temps perdu et combler les fossés socio-économiques et technologiques qui le séparent de ses pays amis voisins, il lui faudra édifier un projet de société solide et réaliste dans lequel chaque haitien verra un motif de fierté. Le processus de la planification et de l’aménagement des agglomérations urbaines, paralèllement à la revitalisation de l’agriculture, s’avère donc une démarche essentielle qui, compte tenu du niveau de collaboration et de consensus exigé, pourra réellement démontrer la capacité des multiples acteurs sur le terrain à consolider les bases de ce projet collectif qu’est le développement durable.
En terminant, il convient de rappeler qu’en 1960, le président du Brésil, Joscelino Kubitschek a inauguré la nouvelle capitale, Brasilia, dans le centre du pays alors que l’ancienne capitale, Rio de Janeiro, établie le long de la plage d’Ipanema explosait littéralement sous le poids de l’exode rural et de ses conséquences néfastes sur le cadre bâti. Brasilia a été créee de toutes pièces en l’espace de 3 ans.
Le projet de réalisation de cette ville fut l’oeuvre de Lucio Costa, urbaniste et de Oscar Niemeyer, architecte. Malgré les critiques formulées par des experts quant à sa localisation et à certains éléments architecturaux du plan de la ville, Brasilia est classée aujourd’hui comme patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle attire les visiteurs du monde entier et constitue un motif de fierté incomparable pour les brésiliens.
Aujourd’hui les villes sont appelées à jouer de plus en plus un rôle majeur au sein de leur hinterland respectif, il faut parvenir à prendre les mesures de planification et d’aménagement appropriées pour leur permettre de faire face aux défis du développement durable. Aux grands maux, s’imposent quelquefois les grands moyens.
[1] Montréal
Membre de l’Association des aménagistes et des urbanistes municipaux du Québec (U.A.U.M.Q)
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