Note de synthèse d'une Thèse de Doctorat soutenue en 24 mai 2003 par Mohamed BEHNASSI sous la Direction du Professeur Mahjoub El HAIBA. Département des Sciences Politiques, UFR: Droit International et Relations Internationales. Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales, Université Hassan II-Ain Chock-Casablanca, Maroc
Introduction :
Jusqu'à la fin des années 1970, la grande part des problèmes menaçant les équilibres vitaux de l'écosystème planétaire avaient des dimensions et des effets limités dans le temps et l'espace. Les Etats ont souvent réussi à en contenir les impacts négatifs et à en réduire la gravité par : la délocalisation des activités polluantes; la coopération régionale, l'adoption des mesures efficaces, le développement des techniques anti-pollution, et ce, dans un cadre plus prévisible.
Les années 1980 ont témoigné l'apparition d'une nouvelle génération d'enjeux environnementaux (changements climatiques, biodiversité, couche d’ozone, pollution maritime, désertification…) ayant des impacts globaux et plus graves sur l'équilibre écologique planétaire, sur l'avenir et l'intégrité de l'espèce humaine. Par ailleurs, et devant ce type de défis, on n'a pas pu ni distinguer clairement entre responsables et victimes, ni en déterminer précisément les causes et les sources, ou prévoir toutes les incidences qui en résultent. De plus, le caractère interactif et expansionniste de ces défis leur permet de transcender toutes les frontières géopolitiques et culturelles. Face à ces menaces, la haute fragilité et sensibilité de l’écosystème planétaire vis-à-vis de l’activité humaine, deviennent une évidence.
En outre, les problèmes environnementaux globaux entretiennent une relation étroite avec le système économique mondial d'une part, et avec les différents modèles de développement existants d'autre part. Ces problèmes portent également les germes d'une nouvelle génération de conflits internationaux, pouvant affecter à la fois la stabilité des relations internationales et la sécurité collective. D’où l’apparition du concept de la "sécurité environnementale".
C'est pour toutes ces raisons qu'en dépit de l'importance des actions unilatérales visant à limiter les effets de ces problèmes, les efforts collectifs et communs s'imposent avec acuité, vu le caractère global et interactif de ces défis, et la nécessité d'investir, pour en contenir, d’une multitude de ressources dont il est impossible pour les Etats de garantir individuellement.
Il y a lieu de préciser également que la plupart des solutions efficaces proposées pour résoudre ces problèmes environnementaux planétaires représentent une certaine menace pour l'équilibre économique mondial actuel. La mise en œuvre de ces solutions constitue, dans le court et le moyen terme, une contrainte pour les membres de la communauté internationale, et ce, dans la mesure où elle limite leur processus de croissance économique, affecte leur compétitivité et diminue leurs avantages au niveau mondial.
On peut donc dire que sans engagements conventionnels basés sur des concessions réciproques, et sans un partage des coûts d’une "gouvernance environnementale", certains pays peuvent continuer unilatéralement à déployer des efforts dans ce sens, mais leur impact sera si insuffisant pour diminuer la rapidité du changement environnemental, ou pour permettre l'ajustement des dysfonctionnements dont souffre actuellement l'écosystème planétaire.
Par ailleurs, l'importance accrue que revêtent actuellement les ressources environnementales, ainsi que leur dimension stratégique, ne permettent plus la discussion des relations internationales économiques et politiques sans accorder à ces questions une place prédominante au sein de l'agenda international. Certains facteurs expliquent cette nouvelle situation, à savoir :
- Une interdépendance accrue entre le développement et l'environnement ;
- Une concurrence internationale ardue visant à contrôler les ressources environnementales, vu leur rareté et leur importance stratégique, ce qui est devenu un véritable souci mondial ; et
- un lien organique et de plus en plus évident entre certains problèmes environnementaux, la pauvreté, le sous-développement, le commerce international, l'explosion démographique, la migration, l'injustice internationale, droits de l’homme …etc.
L'impossibilité de résoudre les problèmes affectant l'écosystème planétaire indépendamment de certaines questions liées aux relations internationales, contraint les Etats, non seulement à élaborer des solutions techniques, mais également à conclure un accord politique basé sur la concertation et le compromis. En outre, l'ampleur du changement environnemental planétaire menace sans précèdent les centres de décision politique, diminuant ainsi leur capacité d'en réguler et d'en prévoir les conséquences, particulièrement dans un contexte marqué par de fortes incertitudes scientifiques, économiques et politiques.
Dans ce cadre, les enjeux environnementaux planétaires réussissent à devenir l'une des questions les plus complexes et politiquement importantes de l'agenda international, à tel point que certains observateurs n'hésitent pas à les assimiler à un défi politique dangereux dont les relations internationales n'ont jamais connu.
C'est ainsi que certains milieux politiques et écologiques ont mis l'accent sur la nécessité de développer de nouvelles formes de coopération internationale, pour répondre au caractère spécifique et dangereux de ce type d'enjeux. Mais, ces nouvelles formes de coopération auront-elles la chance d'être concrétisées dans un monde marqué encore par une fragmentation géopolitique et culturelle, et saturé par de multiples contradictions et situations conflictuelles ? Et dans quelle mesure les mécanismes et les approches de cette coopération réussiront-t-ils à coordonner efficacement les efforts déployés dans un cadre caractérisé par l’hétérogénéité et la diversité des intervenants et des intérêts ?
La ‘gouvernance’ n’est pas le synonyme du gouvernement, mais l’ensemble des moyens à travers lesquels les différents acteurs (organismes publics, individus, ONGs, entreprises, média, scientifiques…) gèrent leurs affaires communes. C’est un processus continu où règnent la coopération et la conciliation entre les intérêts divergents et en conflits. La Gouvernance Environnementale Mondiale (GEM) est, dans ce sens, le management des interdépendances écologiques, économiques et sociales par la représentation et la participation de tous les intérêts, notamment ceux des secteurs vulnérables de la société.
L'aspect problématique de la coopération dans le domaine de la (GEM) est imputable au fait que le monde actuel est géopolitiquement divisé en entités (Etats) souveraines et indépendantes s'attachant extrêmement à leurs intérêts égoïstes, et à l'absence d'une autorité supranationale pouvant élaborer et mettre en œuvre des politiques et des règles globales. Cet aspect problématique est dû également aux changements profonds qui ont touché le monde durant ces dernières décennies, englobant des défis et des opportunités :
- d'une part, un monde développé minoritaire caractérisé par une révolution techno- scientifique et économique sans précédent, une culture de consommation excessive et irrationnelle, ainsi que la capacité militaire et politique de contrôler une portion considérable des richesses planétaires ;
- d'autre part, un monde majoritaire où se développent toutes les formes d'exclusion et où se nourrit un sous-développement durable (pauvreté, analphabétisme, explosion démographique, épuisement continu des ressources naturelles et humaines, instabilité sociopolitique, dépendance économique, financière et technique….).
Plus précisément, le monde actuel est extrêmement contradictoire : mondialisation et régionalisation, un fossé croissant entre les nantis et les pauvres, entre le rural et l'urbain, et répartition inégale des fruits du progrès humain dans ses volets économiques, techniques et scientifiques. De plus, le rythme accéléré de ce progrès rend difficile et complexe toute tentative visant à en planifier le processus et en prévoir les effets à long terme. Parallèlement, l’Etat-nation et ses fonctions deviennent l'objet d'une série de changements très profonds.
En définitive, ce monde est le cadre où va se développer toute forme de coopération dans le domaine de la Gouvernance Environnementale Mondiale. Mais il faut dire que les contradictions et les diverses perceptions de la réalité par les acteurs concernés, ainsi que la difficulté d’homogénéiser leurs propositions (idées, expertises..), répondre à leurs attentes ou promouvoir la confiance mutuelle entre eux, constituent de véritables contraintes à la coopération.
Dans cette perspective globale, la diplomatie environnementale a fait jour en tant que l'une des approches les plus privilégiées pour développer ce genre de gouvernance. Son importance est imputable au fait qu'elle traduit une réponse collective vis-à-vis des enjeux écologiques mondiaux, tout en étant relativement capable de gérer l'interdépendance environnementale entre les nations sur une base commune et consensuelle. En addition, l'interaction entre les questions environnementales et la sécurité collective avait pour corrélatif, l'interférence de la diplomatie classique et de la diplomatie environnementale.
La négociation multilatérale est l'instrument privilégié de la diplomatie environnementale. Certains experts l'ont considérée comme le maillon central de la GEM, à côté bien sûr des actions et des réformes qui doivent être menées aux niveaux nationaux et régionaux.
L'objectif primordial de ce type de négociation est l'instauration d'un équilibre entre "l'intérêt environnemental mondial" et les intérêts nationaux et régionaux par le biais du compromis, du consensus et du règlement pacifique des conflits environnementaux. Autrement dit, la Négociation Environnementale Multilatérale NEM est investie de la mission de parvenir aux grands compromis et de consolider la gouvernance environnementale, en vue de neutraliser les impacts nocifs des problèmes écologiques sur l'écosystème planétaire, et sur la bonne marche des relations internationales aussi.
A cette fin, les NEM procèdent à l'élaboration et la mise en œuvre des conventions et des programmes internationaux, comprenant des règles et des normes destinées à réguler le comportement environnemental des Etats, des organismes publics et privés, des communautés et des individus. Cette démarche, complexe et difficile, est souvent précédée par des efforts intenses en vue de mobiliser les acteurs concernés, d'en rapprocher les idées et les perceptions et de collecter les données scientifiques relatives à l'objet de la négociation. De plus, chaque solution proposée au sein des NEM pour un problème environnemental posé se trouve souvent bloquée et conditionnée par de multiples divergences et contraintes de nature politique et institutionnelle, technique et financière…etc.
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