Communication
présentée par Mohamed BEHNASSI (Dr. Prof. en Politiques Mondiales de Durabilité
et Directeur du NRCS) au Colloque international: Santé,
Environnement et Développement Humain durable, organisé conjointement par la
Faculté des Sciences Juridiques, Économiques et Sociales d’Agadir et le Centre Nord-Sud de
Recherches en Sciences Sociales (NRCS), Agadir, 23 et 24 mai.
Résumé:
Dans un monde
politiquement divisé en États-nations autonomes, mais interdépendants, un
ensemble de principes, de pratiques et d'institutions communes concourent à la
formation de normes collectives qui s'imposent aux États, à la définition des
orientations de l'action collective, ou à la fixation de règles directement
applicables aux acteurs privés. C'est dans ce cadre où on a inventé le terme
"gouvernance mondiale", considéré comme un néologisme utile parce
qu'il s'agit de réfléchir à la façon dont l'économie mondiale est gouvernée, vu
que le terme usuel de "gouvernement" porte une connotation de
centralisation susceptible d'en affecter la compréhension.
La gouvernance
mondiale, en tant que possibilité de gouverner sans gouvernement, repose sur la
coopération intergouvernementale ou sur l'action d'institutions multilatérales
spécialisées dotées d'instruments propres, dans certains cas aussi sur l'action
normalisatrice d'opérateurs privés. Elle s'exerce au niveau mondial ou par le
canal d'organisations régionales. Elle tient, ou ne tient pas, sa légitimité de
la délégation des États, de la ratification des traités par les parlements, de
la prise en compte des points de vue exprimés par les différentes représentations
des sociétés civiles dans le cadre du débat démocratique, mais ne relève
d'aucune autorité politique centrale et ne fait l'objet d'aucune sanction
démocratique d'ensemble.
L'utilisation des questions environnementale et sanitaire, vu leur interaction,
comme élément de critique radicale du système de gouvernance mondiale est
actuellement un fait qu'on peut difficilement nier.
D'une part,
qu'il s'agisse de biodiversité ou de changements climatiques, les nouveaux
problèmes d'environnement présentent les caractéristiques des enjeux globaux
dont les impacts sont indivisiblement répartis sur la surface du globe (à
l'opposé des problèmes environnementaux locaux, qui peuvent être traités au
niveau national). En conséquence, et pour éviter le problème du passager
clandestin, les impacts des enjeux globaux sur la stabilité mondiale ne peuvent
être relevés que via une véritable coopération multilatérale. À cet égard, la
mise en place d'une meilleure gouvernance mondiale de l'environnement s'inscrit
dans le même projet que celui qui avait motivé la constitution, après guerre,
des différentes institutions à vocation économique, qui au-delà de l'efficacité
visaient à contribuer à la paix.
D'une autre
part, les nouvelles préoccupations sanitaires, liées ou non aux questions
environnementales, intéressent actuellement la gouvernance mondiale, vu que
leurs impacts négatifs ne se limitent pas aux frontières de quelques Etats.
Certes, la santé, en tant qu'objet de préoccupations internationales, bénéficie
depuis quelques années d'un intérêt plus marqué de la part des acteurs de la
gouvernance mondiale. Mais il faut dire aussi que cet intérêt manifesté n'est
pas d'ordre strictement sanitaire. L'épidémie de VIH, mais aussi les problèmes
environnementaux ou la recherche de politiques favorables au développement
contribuent à cette élévation de la santé au rang des priorités affichées.
Cependant, il existe un décalage parfois important entre les problèmes de
santé, les réponses politiques qui leur sont apportées et le cadre dans lequel
elles doivent s'inscrire. Mais, compte tenu de l'urgence de certaines
interventions sanitaires, la perpétuation de ces décalages peut conduire à des
situations de tension dont les effets se feraient ressentir au-delà de la
santé: instabilité des Etats et de zones régionales, frein au développement
économique et heurts dans les négociations commerciales. Pour cette raison, la
santé est appelée sans doute à devenir à la fois l'un des domaines
d'intervention majeurs des politiques internationales et l'un des enjeux les
plus importants de la gouvernance mondiale, dans la mesure où elle remet en
question ses modes de régulation. En conséquence, les différents acteurs de
cette gouvernance sont désormais supposés adapter leurs pratiques à ce nouvel environnement.
Une mésestimation des enjeux pouvant sans doute conduire à une plus grande
instabilité globale.
Pour éviter un
tel scénario, on s'accorde actuellement sur le fait que le développement
harmonisé de la gouvernance mondiale dans les domaines de la santé et de
l'environnement, vu leur interdépendance, est un objectif qui s'impose, sachant
que sa réalisation est fortement tributaire à la fois de la fixation des
objectifs globaux et du règlement des questions redistributives. L'expérience
des changements climatiques par exemple ne cesse de montrer actuellement que
les nouveaux enjeux sanitaires environnementaux soulèvent des questions
d'équité redoutables entre les pays du Nord et ceux du Sud. Certains vont
jusqu'à parler de l'existence d'une grave "fracture sanitaire et
environnementale" entre ces deux mondes, mais aussi en leur sein, entre
riches et pauvres, urbains et ruraux, instruits et analphabètes, hommes et
femmes. C'est dans ce sens qu'en septembre 2000, dans le cadre d'une
Déclaration des Nations Unies adoptée par 189 pays, la communauté
internationale s'est fixé huit objectifs du millénaire pour le développement
(OMD) à atteindre d'ici à 2015. Parmi eux, quatre concernent directement la
santé (réduction de la mortalité infantile, amélioration de la santé maternelle
et lutte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose) et l'environnement
durable. Mais il s'agit aussi plus globalement de lutter contre l'extrême
pauvreté, la faim et la malnutrition étant donné que lorsqu'un pays est pauvre,
il le paie en termes de santé publique. Les crises sanitaires auxquelles font
face les pays pauvres ont réussi à introduire, quoique timidement, cette
problématique au coeur des débats internationaux, mais également dans l'agenda
des décideurs politiques des pays développés et des institutions
internationales.
La présente
communication a pour finalité de montrer l'importance des enjeux sanitaires et
environnementaux pour la gouvernance mondiale et de faire l'état des
transformations qu'ils suscitent ou requièrent au niveau global. Dans un
premier temps, nous ferons le point sur l'état actuel des choses pour montrer
comment la gouvernance mondiale s'est développée de manière pragmatique et
sélective en fonction de l'importance politique et/ou économique de certains
enjeux pour les intérêts égoïstes des grandes puissances. Dans un second temps,
nous montrons comment la santé et l'environnement, parents pauvres de la
gouvernance mondiale en comparaison avec d'autres thèmes (tels que le commerce,
le terrorisme et l'armement), aggravent davantage la fracture entre les pays du
Nord et ceux du Sud, condamnant par ce fait les chances de développement de ces
derniers. Dans un dernier temps, nous essaierons de proposer, à l'instar des
différentes formes de gouvernance mondiale dont les moyens de régulation
jouissent d'une certaine efficacité - mais pas toujours d'une pleine légitimité
- un ensemble de recommandations visant à expliciter l'importance stratégique
des enjeux sanitaires et environnementaux et la nécessité de les placer au rang
des priorités de la gouvernance mondiale.
Mots clés : Gouvernance mondiale, Nord/Sud, enjeux sanitaires
et environnementaux, fracture, équité, agenda mondial.