Alors que les financements publics alloués à ITER explosent
littéralement, la question de leurs retombées économiques et sociales
reste curieusement éludée. Une situation qui confine au scandale au moment la
crise actuelle exige de juger les dépenses publiques à l'aune de leur impact
sur l'économie et l'emploi.
Sur le site Internet d'ITER la page consacrée aux
relations avec l'industrie et à la répartition des marchés égrène longuement
les missions des différents pays membres. On découvre ainsi avec une relative
précision les contributions prestigieuses demandées aux entreprises chinoises,
indiennes, japonaises, coréennes, russes et nord-américaines... En revanche,
s'agissant de l'Europe, la formulation est des plus laconiques. Le site indique
que le Vieux Continent est chargé... " du reste " et notamment des
bâtiments, en plus de participations aux marchés attribués à titre principal
aux autres membres ! Aucune mention n'est faite des entreprises
sollicitées, ni du montant des contrats alloués selon la nationalité ou la
localisation géographique des entreprises. Circulez, il n'y a rien à
voir !
Difficile dans ces conditions d'évaluer l'impact
d'ITER sur le tissu industriel français et sur l'emploi. D'autant que la page
consacrée à l'emploi n'est pas plus développée. On y lit seulement que
l'organisation ITER " rassemble des
gens venus du monde entier pour participer à cette aventure humaine
excitante ", que " l'environnement
de travail est vraiment multiculturel " et que " l'équipe actuelle comprend quelque 29 nationalités ".
Au passage on apprend aussi que les membres de cette équipe ont bien de la
chance car " le Sud de la France est
béni avec une qualité de vie privilégiée et un climat ensoleillé "... On
se croirait presque sur le site web du Club Med ! Pas un mot en revanche
sur la question autrement plus cruciale des emplois directs et indirects
générés par le projet alors que ces fameux emplois constituaient, lors des
débats initiaux, un argument majeur pour vendre ITER aux opinions publiques et
justifier son coût pharaonique pour les contribuables européens et français.
Sur le site d'ITER, la question du coût est
d'ailleurs, elle aussi, évacuée prestement. Le seul chiffre avancé est celui de
13 milliards d'euros pour la seule phase de construction. Quant à savoir ce que
recouvre ce budget, c'est une autre affaire : " Dans la mesure où chacun des
Membres d'ITER est responsable de la fourniture en nature des éléments de
l'installation, qu'il aura fabriqués sur son propre territoire et financés avec
sa propre monnaie, il est impossible d'être plus précis dans l'estimation des
coûts. " Edifiant aveux : l'organisation
ITER, il serait impossible d'évaluer précisément le budget d'ITER ni les
emplois qu'il induit. Une esquive surprenante de la part d'un consortium
scientifique international prétendant par ailleurs être en mesure de
révolutionner la production d'énergie en donnant naissance à un " soleil
artificiel "...
Situation
pour le moins curieuse : alors que sous pression de Bruxelles et des
théories du New Public Management, l'ensemble des services publics se voient
soumis à des indicateurs de performance et de rentabilité drastiques, ITER
échappe littéralement à cette exigence. Alors que le moindre hôpital public de
province est pointé du doigt en cas de dépassement de budget, le projet ITER
peut voir le sien multiplié par trois par rapport aux estimations initiales
sans que les instances française et européennes ne s'en émeuvent !
Tandis
que la question du " retour sur investissement " est systématiquement
posée à toute organisation recevant des fonds publics, ITER n'est, semble-t-il,
pas concerné. S'agissant d'ITER, Bruxelles notamment ne compte pas. Une
situation qui suscite toutefois la stupéfaction chez un nombre croissant
d'eurodéputés. En décembre 2011, l'eurodéputée belge Isabelle Durant, bonne
connaisseuse du dossier, s'étonnait : " Les Etats membres, qui n'avaient
soit disant plus les moyens de financer le budget européen pour 2012, trouvent
(des fonds, ndlr) envers et contre tout pour sauver ITER tout en mettant en
danger le financement des projets européens à forte valeur écologique ".
Depuis son
lancement, le projet ITER n'a en effet cessé de voir ses coûts exploser dans
des proportions difficilement explicables par les impondérables qui jalonnent
nécessairement tout projet économique et scientifique. " En cinq ans, souligne
L'Expansion, le coût de la construction du réacteur expérimental a plus que doublé,
grimpant de 5 à 12 milliards d'euros, voire à 16 milliards, selon les
estimations. " Une situation inouïe qu'Isabelle Durand explique par
une volonté délibérée de manipulation. " Le
ver était dans le fruit dès le départ. En
2006, pour faciliter l'acceptation politique du projet par les chefs d'Etat de
l'époque, et notamment par les Etats-Unis, qui traînaient des pieds, le budget
a été volontairement sous-estimé, les experts présentant des ébauches de 2001. "
Sur la question de l'emploi aussi, la dissimulation aussi semble
avoir été une stratégie délibérée de la part des partisans d'ITER. Dans une
étude publiée par le Journal des Economistes et des Etudes Humaines, Maurice
Catin, Professeur à l'Université du
Sud Toulon-Var, directeur du Centre de Recherche en Economie Régionale et
Industrielle (CRERI) estime que les effets multiplicateurs d'ITER sur
l'activité économique régionale ont été " majorés
et ne sont pas importants à long terme ", que " les chiffres avancés dans l'étude d'impact citée peuvent être
quelque peu surestimés ", et que " les
retombées de ce type apparaissent de toute manière très limitées sur le plan
productif si les montants sont replacés à l'échelle de la croissance ou de la
taille de l'économie régionale ".
En revanche, au plan budgétaire, l'impact d'ITER est loin d'être négligeable pour les collectivités locales. Sait-on ainsi que le Conseil général des Bouches-du-Rhône compte parmi les plus gros donateurs avec 152 millions d'euros ? Les contribuables du département ont ainsi déboursé quelque 72 millions pour réaliser l'itinéraire routier qui permettra d'acheminer les composants du réacteur depuis Berre. Et 80 millions pour participer au financement direct de la machine. De l'aveu même de Jérôme Paméla, directeur de l'Agence Iter France (AIF), la contribution des 8 collectivités locales (la Région, ses 6 départements et la Communauté du Pays d'Aix) représentait " un quart de la participation financière française pour le projet, qui est de 1168 millions d'euros ".
De telles contributions, consenties de surcroît dans un contexte budgétaire tendu, justifient que les collectivités publiques - tant européennes que nationales et locales - s'interrogent quant aux bénéfices des fonds investis, notamment au plan économique et social. Il semble notamment urgent d'examiner les retombées d'ITER en termes d'emplois direct et indirects, d'obtenir des réponses précises sur la façon dont les contrats sont attribués par l'organisation et repartis entre les différents membres. En un mot, il s'agit de déterminer si les dizaines de millions investis chaque année ITER servent une véritable politique industrielle génératrice de richesse pour tous, ou s'ils sont dépensés en vain. Alors que l'organisation ITER ne cesse de demander des rallonges budgétaires aux collectivités, il convient que ces dernières leur demande des comptes. Car, à défaut, c'est à ces mêmes collectivités que les citoyens, contribuables et électeurs demanderont un jour des comptes.