Sascha Gabizon est directrice internationale de WECF, Women in Europe for a Common Future (Femmes en Europe pour un avenir commun). Centré sur le thème santé et pollution, cette ONG trouvent des financements pour des projets portés par des femmes d’Europe de l’Est, et mènent une action de lobbying international.
Sascha Gabizon déclare n’être pas venue « par hasard » à la défense de l’environnement : très impliquée dans l’écologie, sa mère l’y a vivement encouragée. Après une formation en gestion, elle n’est pas restée longtemps dans la filière classique. Son travail pour des managers « verts » l’a conduite au Sommet de la Terre à Rio en 1992. Elle y a rencontré un professeur allemand qui venait de fonder un Institut sur l’écologie, où elle l’a rejoint. Progressivement, elle a de plus en plus travaillé sur les femmes, mettant sur pied pour l’Institut un réseau de chercheuses en bio.
En 1995, Women in Europe for a Common Future (WECF), fondé en 1992 cherche quelqu’un pour monter son dossier de participation à la Conférence de Pékin. Sascha Gabizon s’en charge, et finalement décide de rester au sein de l’ONG.
Les femmes plus avisées que les technocrates
Aujourd’hui, WECF a un bureau en Allemagne, un autre en Hollande et en France ; quelques salarié-es, quelques stagiaires et des bénévoles. De plus en plus d’organisations de femmes de pays de l’Est viennent lui demander son soutien pour régler un problème concret de pollution faisant barrage au développement. C’est le « bouche à oreille » qui les a amenées. WECF trouve des fonds, mais aussi des experts, dans le nucléaire, les produits chimiques ou l’agriculture biologique, obtient des informations sur la législation européenne dans le domaine concerné, et grâce au lobbying, introduit ses partenaires auprès des décideurs.
Pourquoi porter ses efforts sur l’écologie ? « Il y a beaucoup d’injustices liées à l’environnement, explique Sascha Gabizon. Ce sont toujours les plus pauvres qui habitent à côté des décharges, qui boivent l’eau la plus polluée, qui respirent l’air le plus pollué… « Et pourquoi les femmes ?» «Quand on travaille dans ce domaine, on voit que ce sont les personnes qui s’occupent des enfants, de la famille, qui doivent se débrouiller avec les effets de la pollution. Par exemple, c’est sur les femmes que retombe la charge de s’occuper d’un enfant malade ou handicapé. On voit aussi que ce sont souvent elles qui veulent changer les choses. Les femmes n’ont pas seulement le droit de voter, mais aussi celui de prendre des décisions sur l’environnement ! Les technocrates sont souvent des hommes. C’est dommage, parce que les femmes ont une perspective plus durable, elles préfèrent des solutions moins risquées aux technologies très chères qui vont poser de graves problèmes de pollution.»
Un très lourd héritage écologique
Les statuts de WECF ne lui imposent pas de limiter ses actions à l’Europe de l’Est. Mais quand l’association est devenue vraiment opérationnelle en 1995, des réseaux très forts existaient déjà en Amérique Latine, en Afrique et en Asie, pas chez nos « voisins », pourtant en butte à des problèmes graves. Et la spécialisation a fait boule de neige.
L’Europe de l’Est regroupe des populations de religions et de cultures différentes. Elles ont toutes en commun l’héritage communiste, aussi lourd d’un point de vue écologique qu’économique. Dans le sud de l’Oural, c’est le nucléaire qui sévit depuis plus de 50 ans. Douze organisations de femmes y ont monté des projets, en acceptant les risques que peut comporter un engagement écologique. Leur objectif : si possible stopper la contamination, du moins en subir le moins possible les effets – et pour certaines malheureusement, obtenir des compensations pour les ravages déjà exercés, à savoir les handicap ou maladies de leurs enfants. Autour de la mer d’Aral, à la fabrication d’armement, s’est ajoutée l’usage intensif de pesticides pour la culture du coton. WECF a initié des tests très larges pour cerner le problème. Il va maintenant s’agir de trouver comment mieux se protéger des méfaits du DDT, en attendant qu’il soit enfin interdit comme dans l’Union Européenne. En Roumanie, c’est la pollution de l’eau qui devient une catastrophe d’ampleur nationale.
Emancipation par l’action
Les partenaires locales de WECF sont des femmes simples, de milieu rural, dont c’est généralement le premier projet de ce type. Un budget leur est ouvert pour trouver des solutions pratiques à un problème précis. Mais une solution durable. Et c’est pourquoi WECF s’attache à leur donner les moyens de leur indépendance. La collaboration commence par une formation à la gestion des fonds accordés. « Il faut savoir faire marcher une ONG de façon professionnelle, explique Sascha Gabizon. Ça passe aussi par apprendre à se servir d’un ordinateur, installer un email… Parfois, il faut déjà installer une ligne téléphonique ! De façon à ce quand on sera parti, le projet continue. »
En Arménie, une initiative a été montée par une épidémiologiste autour de l’amarante ; elle combine éducation à la santé et création d’activité économique. L’amarante est une plante qui possède de grandes qualités nutritives et qui se satisfait très bien du climat aride de la région. Six Arméniennes en ont commencé la culture sur 5 hectares. Leur récolte sera utilisée dans une maternité voisine, en complément d’alimentation pour les femmes enceintes. La réussite passe par une étude de marché, notion neuve sous ces latitudes.
Les Bashkirs de l’Oural, elles, outre des méfaits du nucléaire, souffrent d’une double discrimination : femmes et membres d’une minorité ethnique. Leur projet s’articule autour de l’alphabétisation, la maîtrise du russe parlé et écrit pouvant leur ouvrir les portes d’un emploi, et donc améliorer leur statut, dans leur communauté comme à l’extérieur. Comme une activité agricole autonome a permis à des femmes d’Ouzbekistan d’ouvrir un dialogue avec les mâles de leur entourage. « Ce qui prouve que les choses peuvent changer, » souligne Sascha Gabizon. Les projets sont réservés aux femmes. Mais si elles le désirent, WECF les aide à organiser des ateliers pour communiquer aux hommes leurs acquis, conclusions et propositions. A eux, ensuite, de saisir l’opportunité d’un changement bénéfique à tous.
En URSS, le mot « féminisme » était banni. Les femmes des nouvelles républiques hésitent encore à l’employer. Mais lutter pour les droits des femmes, à l’issue d’un projet bien mené, cela leur paraît tout à fait envisageable !