Par Gabriela De Cicco*, AWID 22/02/2013
La
18e Conférence des parties (COP18) à la
Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC)
s'est tenue du 26 novembre au 8 décembre 2012 à Doha au Qatar.
L'AWID s'est entretenue avec l'anthropologue
Iara Pietricovsky, de
l'Institut
d'études socioéconomiques du Brésil, et Marcela Ballara, du
Conseil international d'éducation des
adultes (ICAE), dont le siège est en Uruguay, afin de connaître
leurs impressions sur la conférence.
Un
chemin pavé de déceptions
Les activistes féministes, de l'environnement
et appartenant à d'autres mouvements sociaux s'accordent à dire qu'à
Doha,
rien n'a avancé et qu'une fois encore le lobby exercé par les grandes sociétés
a remporté la victoire puisqu'aucune décision de fond n'a été prise concernant
le changement climatique.
L'un des points les plus épineux des
négociations porte sur les " responsabilités communes mais
différenciées " (Common but Differentiated Responsibility, CBDR). Ce
concept, inclus dans la Déclaration de Rio de 1992, soutient ce qui suit :
" Étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l'environnement
mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées. Les
pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l'effort
international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que
leurs sociétés exercent sur l'environnement mondial et des techniques et des
ressources financières dont ils disposent[1] ".
La COP-18 a approuvé une prolongation de huit
ans du
Protocole de
Kyoto, qui a suscité la sortie de certains pays importants tels que
le Canada, le Japon, la Nouvelle Zélande et la Russie. Ces pays, dont les
émissions de gaz font partie des plus élevées à l'échelon mondial, souhaitaient
introduire des changements dans le concept des responsabilités communes mais
différenciées.
Iara Pietricovsky signale que le financement
est l'un des autres thèmes épineux de cette conférence. Elle revient sur la
Conférence des Parties de Cancún tenue en 2010 et rappelle qu'un fonds pour le
financement sur la question du changement climatique avait alors été établi.
Elle précise à cet égard qu'en dépit de cette mesure, les fonds disponibles ne
suffisent pas à promouvoir des actions fermes d'atténuation ou d'adaptation,
qui sont pourtant nécessaires si l'on veut affronter de manière concrète le
changement climatique. Elle signale qu'il existe tout un débat autour du
financement que l'on peut même rattacher à Rio 20, qui porte sur la question
de la privatisation des institutions multilatérales telles que les Nations
Unies. L'une des modalités proposées aux fins du financement consiste dans un
rapprochement vis-à-vis du secteur privé par le biais de la privatisation de
ces espaces afin de mobiliser de nouvelles ressources. Mais une telle mesure
implique que les grandes sociétés seraient amenées à occuper une place plus
importante dans les processus multilatéraux, qui sont des instances dans
lesquelles les gouvernements s'efforcent de promouvoir des accords conjoints
pour un équilibre des forces à l'échelon mondial. Remettre ces espaces entre
les mains de la demande et de la vision du secteur privé des affaires
susciterait un problème immense pour la démocratie et l'indépendance.
Lors de Rio 20, la question de la
privatisation a été associée au concept d'économie verte. D'après Pietricovsky,
il s'agit d'un concept problématique du fait qu'il cherche à mettre en rapport
un modèle de développement qui existe, sans rien changer, tout en promouvant
une espèce de révolution verte, avec à la clé la maximisation de technologies
qui rentreraient dans la logique du système et en conséquence continueraient de
reproduire les différences et les inégalités et de monopoliser les processus et
les pouvoirs entre les mains d'une poignée de sociétés ou de quelques rares
États puissants et jouant de ce pouvoir avec ces sociétés.
Les
droits des femmes
Une autre question complexe soulevée à Doha
concerne les droits des femmes et, comme l'explique Pietricovsky, à l'échelon
local cette question a également suscité certaines difficultés puisqu'il s'agit
d'un pays arabe où la question de la femme suscite de grands débats. Peut-être
dans la continuité de ce qui s'est passé à Río 20, la conférence tenue à Doha a
permis de constater un recul flagrant en matière de droits, qui touche tous les
sujets qui sont particulièrement importants pour les femmes, tels que les
droits sexuels et reproductifs, l'avortement, etc. C'est à dire des questions
n'ayant en apparence rien à voir avec le changement climatique (d'après le
document final de Rio 20), mais qui y sont en fait liées puisqu'elles
s'inscrivent dans le cadre d'une demande de participation et d'implication des
femmes dans les solutions provenant de politiques publiques de financement en
vue de concrétiser les changements, y compris en matière de changement
climatique. Les droits sont actuellement remis en cause et accusés d'entraver
la reproduction du capital. Il est vrai qu'une femme démunie de droits est bien
plus facile à contrôler, à faire travailler de manière excessive et à
surexploiter. Ces abus sont encore possibles car dans de nombreuses sociétés,
les femmes ne sont toujours pas maîtresses de leur propre corps. C'est un cycle
qui se répète à l'infini et suit une logique qui est celle de l'emprisonnement
et de la réduction des droits conquis jusqu'à présent.
Marcela Ballara est elle aussi de l'avis que
le processus de cette conférence est compliqué. Elle signale qu'il faut
comprendre que le processus de la CCNUCC est différent de toutes les autres
conférences. La CCNUCC organise durant l'année des réunions sur différents
thèmes qui font partie du processus de la Conférence. Celles-ci se tiennent
dans différents pays et il s'avère donc très difficile pour la société civile
d'y participer par manque de financement, ce qui a une incidence négative sur
le lobby qui pourrait être exercé.
Équilibre
de genre
Au cours de la COP-18, divers groupes de
femmes ont mené des actions, telles que l'initiative "
Pas en mon
nom " qui appelait les États à adopter des mesures urgentes
afin d'apporter des solutions concrètes aux problèmes liés au changement
climatique. Celle-ci a donné lieu à une déclaration conjointe sur la COP,
signalant que celle-ci ne saurait parler de manière légitime au nom des peuples
du monde, à moins que les Parties n'avancent concrètement vers des solutions au
changement climatique. Pour sa part, l'organisation Women and Gender Constituency
a organisé chaque matin des réunions de communication consacrées à tout ce
ayant trait aux droits des femmes et au changement climatique.
L'un des succès remportés lors de la COP-18
fut la reconnaissance de l'importance de la participation des femmes aux
politiques sur le changement climatique. La Décision L.36, dont l'objectif est
de promouvoir l'équilibre de genre et d'améliorer la participation des femmes
aux négociations de la CCNUCC ainsi que de promouvoir l'équilibre de genre dans
tous les organes de la CCNUCC, a été adoptée. L'ancienne
Haut Commissaire
des Nations Unies aux droits de l'homme, Mme
Mary Robinson, est de
l'avis qu'un équilibre de genre au sein de la CCNUCC permettrait d'améliorer
les processus de prise de décisions lors des futures COP, d'accroître
l'efficacité des politiques sur le changement climatique grâce à une meilleure
prise en compte de la dimension de genre, et que tout cela pourrait avoir pour
résultat que les personnes les plus vulnérables au changement climatique soient
mieux protégées.[i]
D'après Marcela Ballara, la proposition
d'équilibre de genre signifie que les femmes cessent d'être considérées un
aspect secondaire des objectifs de la CCNUCC et dans ce cadre, le Secrétariat
s'est engagé à convoquer un atelier lors de la COP-19 afin de débattre sur les
politiques sensibles au genre et les stratégies de promotion de l'égalité des
genres dans la prise de décisions sur le changement climatique. La prise en
compte des demandes des femmes dans les processus de discussion sur les
politiques et le plan d'action sur le changement climatique, tant à l'échelon
local que national, dépendra du lobby exercé par la Women and Gender Constituency
et les organisations de femmes dans chaque pays sur leurs gouvernements. Elle
est de l'avis que ce lobby est bien plus efficace que la participation à la
CCNUCC en ce qui concerne la prise en compte spécifique de la situation des
femmes.
Alors qu'il était décidé d'inclure le même
nombre de femmes dans les délégations et les organismes, les femmes ont dû
accepter une nouvelle concession, à savoir un changement linguistique de
dernière minute établissant que l'équilibre de genre substituerait l'égalité de
genre. Pietricovsky est sceptique et décrit cette décision comme un mirage dans
le désert : si l'on regarde bien, en fait les femmes ne sont pas là, les femmes
ne décident pas, parce que le Vatican et d'autres forces plus conservatrices
empêchent la plupart des gouvernements de gérer la situation séparément des
contextes religieux. Elle ajoute qu'elle entend parler du concept
d'" équilibre de genre " depuis 1992 et que celui-ci n'a donc rien de
nouveau. Dans la vraie vie, cela ne se traduit pas par des politiques
publiques, et ne motive pas les gouvernements à débattre de manière interne ou
à produire des politiques publiques, de recherche de ressources, de formulation
de politiques de développement qui soient conformes aux droits établis depuis
la Conférence de Beijing.
Un
mouvement de la jeunesse passionné
Le réseau
WEDO a signalé que
l'un des aspects les plus porteurs d'espoir observés à la COP-18 fut la
participation d'un mouvement de la jeunesse passionné et fort. WEDO a précisé à
cet égard que face à des luttes politiques turbulentes et aux difficultés
économiques qui frappent tous les pays de la planète, face à un véritable
manque d'ambition et d'action dans ce processus, les mouvements de jeunes du monde
entier ressurgissent avec une passion, une conviction, une connaissance et une
ambition renouvelées pour impulser les gouvernements à assumer leur
responsabilité vis-à-vis de leur avenir et de l'avenir de toutes les
générations futures. L'organisation Youth Gender Working Group a souligné les
thèmes liés aux droits au financement et à la technologie, à l'impact des
catastrophes sur les femmes et les communautés LGBT, et à la santé sexuelle et
aux droits reproductifs. WEDO décrit le travail mené pendant ces deux semaines
comme celui d'une génération passionnée et informée qui comprend que l'égalité
de genre est la condition sine qua nondu développement durable, et affirme que les
jeunes ont le pouvoir de faire bouger les choses.
Le
programme de développement pour l'après-2015
Un processus de définition d'un nouveau
programme mondial de développement pour l'après-2015 est actuellement en cours,
appelé à succéder aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) qui
touchent à leur fin. Nous avons interrogé Iara Pietricovsky et Marcela Ballara
sur les liens entre les résultats de la Conférence de Doha et le programme pour
l'après-2015[ii]. D'après Ballara, le
processus de l'après-2015 doit inclure parmi ses objectifs l'analyse du
changement climatique, et avancer à partir des propositions ayant déjà fait
l'objet d'un consensus à Doha et lors des CCNUCC précédentes en vue d'atteindre
des objectifs réalistes, représentatifs des intérêts des femmes, des hommes,
des jeunes, et des personnes âgées qui vivent dans les pays les plus touchés
par le changement climatique, y compris les petits États insulaires.
Pietricovsky est de l'avis que le débat
relatif à l'après-2015 porte sur la diminution des institutions, le mode de
fonctionnement de ces institutions, la représentation, la participation, la
redistribution des richesses dans le monde, la question de l'inégalité, le rôle
du secteur privé, le pouvoir public, les États nationaux, la responsabilisation
et la reddition de comptes, et la question de la progressivité et de la
régressivité des impôts, qui a des conséquences importantes pour les États
nationaux au moment de recueillir des fonds pour la mise en oeuvre de politiques
publiques visant à concrétiser les droits. Tous ces thèmes s'inscrivent dans le
cadre de l'après-2015 mais, bien entendu, chacun défend le secteur qui
l'intéresse en ayant ses propres objectifs et concepts établis.
[1]
Déclaration de Rio 1992.
[i]
Voir
http://www.democracynow.org/2012/12/4/fmr_irish_president_mary_robinson_climate#transcript
[ii]
Pour informations supplémentaires, voir les Dossiers du vendredi,
Le programme de
développement pour l'après-2015 %u2013 En quoi consiste-t-il et comment y participer
? et
Une analyse
critique du Programme de développement des Nations Unies pour l'après-2015
* Merci à Alejandra Scampini et Ana Inés
Abelanda pour leurs contributions.